Interview de Mathilde Panot par Paris Match.

samedi 26 décembre 2020.
 

Lorsque Mathilde Panot répond à nos questions, ce mercredi 16 décembre, elle émerge d’une longue nuit de travail à l’Assemblée nationale. La députée de la France insoumise (LFI) a pris part au débat sur le projet de loi de finances, jusqu’au petit matin. A 5h40, à la fin des travaux dans l’hémicycle, elle a tweeté sa « tristesse » face à « une démocratie à la dérive ». Quelques heures plus tard, c’est encore ce sujet qu’elle aborde spontanément. « Le débat de nuit est une aberration. On débat jusqu’à 6 heures du matin alors qu’on y est depuis 9 heures la veille. Le gouvernement ne répond plus à rien, car il est de toute façon trop fatigué… », déplore l’élue du Val-de-Marne. Ces interminables séances nocturnes, critiquées par des élus de tous bords, sont un symptôme de l’affaiblissement de l’Assemblée depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, assure Mathilde Panot, qui juge ses collègues de la République en marche trop disposés à s’effacer devant la volonté gouvernementale. « Ce n’est pas seulement que l’Assemblée nationale a moins de pouvoir ; c’est qu’elle ne se respecte même plus elle-même. »

Vice-présidente du groupe LFI, Mathilde Panot compte parmi les figures de la jeune garde mélenchoniste, qui se prépare à mener une nouvelle campagne présidentielle, après la déclaration de candidature de Jean-Luc Mélenchon en novembre. Au terme d’une année de drames et de bouleversements pour la France et le monde, la parlementaire de 31 ans a répondu aux questions de Paris Match.

Paris Match. Emmanuel Macron a annoncé la semaine dernière la tenue d’un référendum visant à modifier la Constitution pour y inclure dès l’article 1 la défense de l’environnement. Les insoumis ont fait savoir qu’ils voteraient contre. Pourquoi ?

Mathilde Panot. Ce gouvernement n’a plus grand chose à dire sur le fond, alors il multiplie les coups de communication. Le Président aurait pu décider de recourir à l’article 11 de la Constitution pour convoquer le référendum, mais il a choisi l’article 89, qui prévoit que l’Assemblée et le Sénat doivent s’accorder sur le texte. Vous imaginez bien que ça n’arrivera pas. Ça permettra au Président de dire : « Ah c’est pas de ma faute, les élus n’ont pas réussi à se mettre d’accord. » Il existe déjà dans la Constitution un devoir de préserver l’environnement qui, s’il était respecté, pourrait faire échouer nombre de projets que mène Emmanuel Macron. Cette grossière manœuvre intervient l’année où Emmanuel Macron réautorise les néonicotinoïdes, où il renonce sur le glyphosate, où il enterre les mesures de la convention citoyenne pour le climat. Nous ne participerons pas à cette mascarade et si elle parvient à son terme, nous ne la cautionnerons pas.

Si ce référendum se tenait et si le « non » l’emportait, ne serait-ce pas un symbole terrible pour la lutte contre le changement climatique ?

Non ! Vous dites qu’un « non » serait utilisé pour présenter le peuple français comme opposé à l’écologie… Mais alors que signifierait un « oui » ? Un plébiscite pour Emmanuel Macron, alors que la France ne respecte pas ses engagements ? Ce n’est pas sérieux.

Certains à la France insoumise n’ont pas caché leur scepticisme à l’annonce d’une Convention citoyenne pour le climat (CCC). Il apparaît pourtant aujourd’hui que ces 150 citoyens tirés au sort ont imposé dans le débat public des propositions de fond, propositions que vous défendez également pour la plupart. N’est-ce pas une réussite à cet égard ?

A la France insoumise, nous avions dénoncé cette convention comme un élément de communication. Emmanuel Macron avait demandé à la CCC de trouver des solutions alors que toutes les solutions sont connues. Les scientifiques se sont exprimés, les associations aussi… L’exécutif n’a fait cette convention que pour mieux continuer dans l’inaction. Mais je suis assez amusée de voir que finalement, les coups de communication ne fonctionnent pas à chaque fois. Là, c’est en train de se retourner contre eux. Ils ont fait un grand numéro en vantant une première démocratique, en promettant de reprendre les propositions… Encore faut-il être à la hauteur de ces engagements ! Et ils ne le sont pas. Cette convention est pour nous un point d’appui extraordinaire. J’espère qu’elle collera au gouvernement telle une étiquette récalcitrante, tout comme, au début du mandat, la suppression de l’ISF a valu à Emmanuel Macron d’être qualifié de « président des riches ».

« L’énergie nucléaire n’est pas résiliente au changement climatique »

Emmanuel Macron a récemment prononcé un plaidoyer pro-nucléaire, énergie qu’il juge essentielle à la lutte contre le changement climatique et complémentaire des énergies renouvelables. Vous affirmez au contraire que le nucléaire empêche le développement des renouvelables. Pourquoi ?

D’abord, parce que le nucléaire est une énergie du passé. Elle coûte extrêmement cher et d’ailleurs je ne comprends pas que des partis comme Les Républicains ne le voient pas. Il faudra investir 100 à 160 milliards d’euros pour rafistoler les centrales, l’EPR est un désastre absolu qui coûtera au moins 19 milliards au lieu de 3,2 milliards prévus… C’est autant d’argent qui n’est pas investi dans les énergies renouvelables, qui sont bien plus compétitives. La question des déchets nucléaires n’est pas réglée. Sur les questions de sécurité, il y a des failles importantes. Greenpeace et Mediapart ont récemment révélé que les plans de l’EPR se retrouvaient dans la nature. C’est une bombe, cette histoire ! Le plus important, toutefois, c’est que l’énergie nucléaire n’est pas résiliente au changement climatique, elle est elle-même devenue une énergie intermittente. Chaque été, on arrête des réacteurs en raison du niveau d’étiage des fleuves. Dans un monde où les conflits d’usage de l’eau vont se multiplier, le nucléaire va poser problème.

Plus de 60 000 personnes sont décédées en France après avoir été infectées par le SARS-CoV-2 et notre pays se classe parmi ceux qui ont été le plus durement touchés par la pandémie. Pensez-vous vraiment qu’un autre gouvernement et une autre majorité auraient plus être plus efficaces dans la lutte contre ce virus ?

Oui. C’est vrai, personne n’aurait jamais cru qu’on allait vivre une pandémie mondiale qui aboutirait au confinement de la moitié de l’humanité. Mais passée la première surprise, qui a d’ailleurs démontré la fragilité du modèle porté par Emmanuel Macron, il fallait planifier. Aujourd’hui nous avons moins de lits à l’hôpital qu’au moment de la première vague. Il y a 13 hôpitaux à qui on continue de demander de fermer des lits. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit 800 millions d’euros d’économies l’année prochaine dans l’hôpital public. Aucune leçon n’a été tirée de cette crise.

La France insoumise prône des « alternatives au confinement ». S’agit-il d’une remise en cause des préconisations du gouvernement pour combattre la Covid-19 ?

Nous avons toujours dit que nous respecterions la discipline sanitaire. Nous ne sommes pas des irresponsables. Le problème est le manque de cohérence, on l’a vu avec les masques. Nous avons présenté une quinzaine de propositions de loi depuis le début de la pandémie et nous venons de présenter un nouveau plan d’alternatives au confinement. Au cœur de ce plan se trouve le principe du roulement. Il faut organiser collectivement nos vies en mettant en place les conditions sanitaires dans les petits commerces, dans les lieux de culture. On pourrait s’en sortir beaucoup mieux que ce qui est fait actuellement. Cela permettrait d’éviter ce qu’on a vu au moment du couvre-feu avant le deuxième confinement : des transports en commun absolument bondés. Ce serait intéressant d’étaler les heures de travail pour éviter de concentrer la fréquentation, parce que tout le monde doit rentrer avant 20 heures. On pourrait aussi organiser des roulements à l’école.

L’assassinat de Samuel Paty a suscité une forte émotion en France. Qu’a signifié cet événement à vos yeux ?

C’est effroyable. Qu’un terroriste islamiste tue un professeur dans notre République, c’est un choc immense. J’ai aussi éprouvé une colère très forte contre les paroles extrêmement dangereuses qui ont été prononcées par certains membres du gouvernement, notamment à notre encontre. Jean-Luc Mélenchon a dit que l’on a, plus que jamais, besoin de l’unité du peuple de France, parce que si vous voulez lutter contre le terrorisme, il faut isoler les terroristes. On lui a répondu que nous étions complices des terroristes. C’est contre-productif, c’est grave.

Avant même cet attentat, Emmanuel Macron avait multiplié les interventions sur la laïcité. Comment jugez-vous l’évolution du débat sur ces questions depuis trente ans, des polémiques sur le foulard islamique à la loi sur le « séparatisme » ?

S’ils abîment la laïcité pour pointer du doigt les musulmans de ce pays, alors nous ne sommes pas d’accord pour de nouveau créer une guerre de religions. Seule la laïcité permet le vivre ensemble. C’est d’ailleurs le gouvernement qui est inconséquent sur cette question, pas nous. Le gouvernement veut renforcer la laïcité ? Ok, allons-y ! On peut parler du concordat, on peut parler de l’enseignement privé religieux… Allons au bout. On nous reproche d’avoir participé à la marche du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, qui je le rappelle s’est déroulée après un attentat devant une mosquée. L’erreur fondamentale, c’est justement qu’Emmanuel Macron ne soit pas venu à cette marche. En 2015, nous avons marché avec des dictateurs après les attentats contre « Charlie Hebdo ». Est-ce que quiconque a affirmé qu’avoir défilé avec ces dictateurs, c’était être d’accord avec eux ? Non ! Il fallait une réaction à cet attentat, dire qu’on n’accepte pas cette violence s’abatte sur nous au nom de je ne sais quel fondamentalisme religieux. A ce titre, je crois que c’était responsable que d’être à cette marche.

Le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer avait, dans une réponse à votre collègue Alexis Corbière, semblé sous-entendre qu’il existait plusieurs lignes chez la France insoumise sur les questions de laïcité. Y a-t-il des débats au sein de votre parti entre « républicains » et « indigénistes », pour reprendre des étiquettes qui sont souvent employées ?

Non. J’en veux pour preuve que Danièle Obono, [députée LFI accusée d’accointances avec les « indigénistes, ndr], à qui on reproche tous les maux de la Terre, était la coordinatrice de notre programme, notamment du livret laïcité. Ce livret, nous nous y retrouvons toutes et tous. Je vous mets au défi de trouver un seul vote que nous aurions fait différemment sur cette question. Mais Blanquer ne s’est pas contenté d’opposer les insoumis les uns aux autres. Il a aussi pointé l’université et les études intersectionnelles comme apportant une contribution idéologique au terrorisme. En fait, les insoumis ont servi de cahier de brouillon de la répression politique. Maintenant, les communistes sont aussi « complices des terroristes » et les socialistes parfois aussi, ainsi que des associations de défense des droits humains, les universités… Il faut arrêter.

Cette année encore, les violences policières ont fait l’objet de très vives polémiques. Comment retrouver l’apaisement ?

Didier Lallement [le préfet de police de Paris, ndr] disait être ne pas être « dans le même camp » que les manifestants. En République, il n’y a pas de camp. Si on commence à introduire ça dans le débat public, on installe l’idée d’une guerre civile. Il faut une politique de désescalade. On ne veut plus détourner le regard et accepter une forme d’impunité policière. Il faut en finir avec la blanchisserie qu’est l’IGPN. Il faut revoir la formation des policiers. Il faut démilitariser la police : ce n’est pas possible de continuer avec des armes létales, des LBD, des grenades GLI-F4. Il faut en finir avec les contrôles non ciblés à tout-va. On a des éléments qui laissent penser que ça ne sert à rien. A New York, [le maire] Bloomberg avait une politique de contrôles massifs, qui a cessé lorsqu’il est parti et la délinquance n’a pas augmenté. Il faut objectiver les motifs de contrôle et mettre en place le récépissé. Sans cela, toute une génération voit ses relations avec la police dégradées.

Les policiers et les gendarmes sont soumis à des conditions de travail très difficiles. Que dites-vous à ces agents qui expriment une détresse ou à ceux qui ont manifesté suite aux propos d’Emmanuel Macron interprétés comme une remise en cause ?

Il y a eu 150 suicides depuis le début de l’année, 150 ! C’est énorme. Il y a aussi ceux qui quittent la police parce qu’ils n’en peuvent plus. Il y a une souffrance terrible. Il faut l’écouter. Mais il y a une différence entre les policiers de notre pays avec qui une discussion rationnelle est possible et les chefs des organisations syndicales, qui sont des factieux, qui appellent parfois au meurtre, qui font des tracts absolument indignes. On ne cède pas à ces gens-là. Oui, on peut parler de contrôles au faciès dans notre pays. Oui, on peut parler de violences policières quand on voit les images du tabassage de Michel Zecler ou les conditions de la mort de Cédric Chouviat. En revanche, nous refusons la casse du statut du gendarme et du policier contenue dans la loi sécurité globale. Le gouvernement est en train d’ubériser la police, alors que nous défendons une police bien formée et dotée des moyens de faire son travail.

L’année 2020 a été très dure pour le monde et pour la France. Si vous deviez retenir une bonne nouvelle, quelle serait-elle ?

J’ai passé beaucoup de temps en décembre et en janvier dernier sur les piquets de grève de la RATP, notamment celui de Vitry-sur-Seine. Ce furent de très bons moments de lutte contre la réforme des retraites, entre 4 heures et 8 heures du matin tous les jours, ça crée des liens très forts. Même si cette lutte n’est pas gagnée, ce n’est pas seulement le coronavirus qui a arrêté cette réforme-là. C’est l’exemple que si des hommes et des femmes se battent pour l’intérêt général, ils peuvent infliger un beau recul au gouvernement. Le peuple français est formidable, car parfois, lassé d’être écrasé, il se soulève. Seule la solidarité permet de faire face dans un moment extrêmement dur comme celui que nous vivons.


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