Municipales en Guyane : deux cadres du RN mis en examen pour « faux et usage de faux »

dimanche 8 novembre 2020.
 

Les mises en examen du délégué départemental Jérôme Harbourg et du candidat Serge Bourgeois font suite aux plaintes de cinq « colistiers » affirmant avoir été inscrits à leur insu sur la liste du RN à Iracoubo, une commune du littoral guyanais.

Jérôme Harbourg, délégué départemental du Rassemblement national (RN) en Guyane, et Serge Bourgeois, tête de liste RN aux élections municipales à Iracoubo en mars dernier, ont été « mis en examen et placés sous contrôle judiciaire », d’après le procureur de la République en Guyane.

Une information judiciaire pour « faux et usage de faux en écriture privée » et « déclarations frauduleuses ayant entraîné une inscription sur les listes électorales », ouverte par le parquet à l’issue de la garde de vue des deux cadres du parti d’extrême droite le 20 mai dernier, est en cours. En tout, cinq plaintes ont été déposées et six victimes identifiées.

En mars, Guyaweb révélait le dépôt de deux plaintes de colistières « malgré elles » sur la liste menée par Serge Bourgeois aux élections municipales d’Iracoubo, sous les couleurs du Rassemblement national. Depuis, trois nouvelles plaintes sont venues s’ajouter aux leurs, précise le procureur de la République, menant à cinq le nombre de plaintes déposées à l’heure actuelle dans cette affaire.

En mars 2020, Suzette Anton et Yolande Tourville portaient plainte pour s’être trouvées sur une liste électorale sans leur consentement et sans avoir signé aucun document en ce sens, affirmaient-elles. En plus de cela, la première, 67 ans, découvrait l’existence de trois attestations d’hébergement à son domicile pour Serge Bourgeois et deux de ses colistiers : des documents qu’elle affirmait n’avoir jamais signés et pourtant établis en son nom.

Ces attestations avaient permis d’inscrire un temps les trois hommes sur les listes électorales d’Iracoubo, commune de 1 800 habitants, et d’y présenter une liste au nom du Rassemblement national, validée par la préfecture.

Quelques semaines avant le scrutin, une commission municipale radiait un certain nombre de noms de la liste électorale d’Iracoubo, dont une dizaine de colistiers RN. Parmi eux, la tête de liste Serge Bourgeois, originaire de Saint-Laurent-du-Maroni, et Jérôme Harbourg, vivant à Cayenne.

Contactés en mars par Guyaweb, tous deux niaient avoir commis des faux. Quelques jours avant le premier tour des élections municipales, le responsable du RN en Guyane, Jérôme Harbourg déclarait à Guyaweb « essa[yer] d’être le plus carré possible » : « On sait que l’on est un parti très surveillé. »

Depuis, Serge Bourgeois et Jérôme Harbourg ont été « déférés au parquet à l’issue de leur garde à vue le 20 mai 2020 » précise le procureur de la République, qui a « requis l’ouverture d’une information judiciaire des chefs de faux et usage de faux en écriture privée, de déclarations frauduleuses ayant entraîné une inscription sur les listes électorales ».

Au cours de cette information judiciaire, Serge Bourgeois et Jérôme Harbourg ont été mis en examen, signe qu’« il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’[ils] aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont [le juge d’instruction] est saisi », ainsi que le précise l’article 80-1 du code de procédure pénale.

Le faux ou usage de faux est un délit passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. L’auteur des faits peut également être condamné à payer des dommages et intérêts.

« Six victimes ont été identifiées », précise le parquet. Avec cinq plaintes déposées, cela laisse penser qu’une des victimes n’a pas porté plainte à l’heure actuelle. En mars dernier, Guyaweb avait, en plus des deux plaignantes Suzette Anton et Yolande Tourville, recueilli le témoignage de deux colistiers, dont nous avions préservé l’anonymat, affirmant s’être retrouvés sur la liste menée par Serge Bourgeois sans avoir signé de document pour cela. À l’époque, ils ne souhaitaient pas porter plainte.

Les deux plaignantes avaient initialement porté plainte contre la tête de liste Serge Bourgeois. La justice a élargi l’affaire à Jérôme Harbourg, en troisième position sur la liste présentée aux élections municipales d’Iracoubo en mars dernier, et responsable du Rassemblement national en Guyane.

Sur le site du RN pour la fédération de Guyane, il est la seule personne mentionnée, avec le titre de délégué départemental, toutes les autres fiches biographiques restant vides. La sienne précise qu’il est « originaire de l’Île de la Réunion. Il grandi [sic] à Cayenne en Guyane-Française. Il suit un Master en Droit à l’Université de Guyane. Il devient responsable départemental de la Guyane à l’âge de 21 ans ».

D’après un reportage de Guyane La Première en mai 2017, « après un passage chez les Républicains, Jérôme Harbourg est au Front national depuis janvier [2017] où il s’occupe des jeunes ». Le jeune homme, alors âgé de 20 ans, est alors présenté comme « porte-parole » du Front national en Guyane.

D’après son profil sur le réseau social professionnel LinkedIn, aujourd’hui âgé de 24 ans, il est élève huissier de justice, depuis août 2019, dans une société cayennaise, après y avoir été clerc d’huissier. Jérôme Harbourg n’a pas répondu à nos appels passés sur les deux numéros de téléphone lui correspondant sur le site de la fédération du RN en Guyane. Un des numéros semble avoir été récemment réattribué. Contactée par courriel, la fédération du Rassemblement national en Guyane n’a pas répondu à nos questions.

Jérôme Harbourg est l’homme de la participation du Front national, devenu Rassemblement national en 2018, à des élections guyanaises. En juin 2017, à la suite de la deuxième place de Marine Le Pen aux élections présidentielles, la présence de candidats FN aux élections législatives avait semé la confusion dans les rangs du parti. Après avoir annoncé des candidats, le parti n’en avait finalement pas présenté en Guyane. Le secrétaire général du FN guyanais était alors René Tran Van Nghia, qui avait « pris en main le Front national en Guyane fin 2010 ».

En mars 2018, Jérôme Harbourg, alors âgé de 21 ans, créait la surprise en étant investi par le Front national pour se présenter aux élections législatives partielles, suite à l’annulation du scrutin de juin 2017 dans la deuxième circonscription guyanaise. C’est la première fois que le FN présentait un candidat à des élections législatives en Guyane.

Jérôme Harbourg engrangeait 1,80 % des suffrages exprimés, à une élection lors de laquelle il n’avait pas voté lui-même, étant électeur dans la première circonscription. En 2019, Jérôme Harbourg était en 61e position sur la liste RN menée aux élections européennes par Jordan Bardella.

En mars 2020, le RN avait retenu la commune d’Iracoubo pour y présenter sa première liste à des élections municipales en Guyane : une liste de dix-neuf noms présentée par Jérôme Harbourg comme « 100 % RN ». Début mars 2020, Jordan Bardella, le numéro deux du Rassemblement national, annonçait « 410 [listes déposées] sous l’étiquette du Rassemblement national » aux élections municipales de mars 2020, sur l’ensemble du pays.

Malgré des scores croissants depuis quelques années en Guyane, et notamment à Iracoubo – aux élections européennes de 2019, le RN y arrivait en tête avec 43 % des suffrages, un taux qu’il faut toutefois ramener au nombre de bulletins auquel il correspond : 54 voix, avec une abstention de près de 90 % ; lors du second tour des présidentielles de 2017, Marine Le Pen recueillait à Iracoubo 48 % des suffrages exprimés, soit 198 voix, avec 57 % d’abstention – la candidature RN aux élections municipales de mars 2020 à Iracoubo a été un fiasco, la liste ayant recueilli en tout et pour tout dix voix, soit moins de suffrages qu’elle ne comptait officiellement de colistiers.

Ce n’est pas faute d’avoir remué ciel et terre pour présenter cette liste, quitte à avoir peut-être enfreint la loi : la suite de cette affaire nous le dira. L’information judiciaire est toujours en cours.


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