15 août 1944 Ces Africains qui libérèrent Toulon, Marseille et toute la Provence

dimanche 25 août 2024.
 

Le 15 août 1944, l’Armée B (Afrique) débarque en Provence pour libérer la France. Elle compte 260000 soldats dont 50 % de Maghrébins, 32 % de Pieds-Noirs, 10 % d’Africains noirs et 8 % de Français de métropole.

Dès le 29 août, les tabors marocains défilent en turban et djellaba dans Marseille libérée, arborant sur l’épaule la fourragère des unités d’élite. Engagés volontaires, ils ont déjà réussi des faits de guerre épiques en Tunisie, en Italie (Monte Cassino) et en Corse.

Ci-dessous, cinq témoignages concernant des soldats africains de cette armée recueillis par la LDH Toulon le 15 août 2004, lors du soixantième anniversaire du débarquement de Provence.

Jacques Serieys

1) Abdelhadi Ben Rahalat, ancien "goumier" marocain. a été choisi pour être décoré par le président français Jacques Chirac. À 81 ans, il se souvient, les larmes aux yeux, de cette guerre dans laquelle il s’était engagé, à 16 ans, avec deux de ses frères, dont l’un est mort en Italie, au Monte Cassino. " Je suis content et triste à la fois de participer à cette commémoration, content d’être décoré, mais triste car la majorité des anciens combattants est morte ou a été délaissée dans des conditions affligeantes".

" C’est le Moqaddem [le représentant de l’autorité] qui est venu nous dire de nous engager dans l’armée française, suite à l’appel lancé dans les mosquées par le roi Mohammed V", grand-père de l’actuel roi Mohammed VI, pour aider la France. Sur les 120.000 combattants marocains engagés dans l’armée française, il ne sont plus qu’environ 30.000 encore en vie. Parmi eux, quelque 2.000 goumiers et tirailleurs ayant participé au débarquement de Provence. Parti d’Alger avec le 6ème régiment des Goumiers, le jeune Abdelhadi, originaire du Rif, participera donc aux campagnes d’Italie, de Provence et d’Alsace. " On a réussi à libérer Marseille, puis Toulon, après des combats de rue à la baïonnette et à l’arme légère. Ensuite, nous sommes partis vers l’Alsace. Toute ma compagnie avait été décimée et je suis resté seul avec 45 militaires dont j’ai pris alors le commandement. En Alsace, un coup de mortier m’a coupé la main droite".

Le retour au Maroc, en 1946, sera difficile, entre amertume et sentiment d’ingratitude : "Pendant la guerre, c’est aux Marocains qu’on ordonnait d’aller sur les fronts dangereux mais plus tard, c’est aux Français qu’on décernera les médailles. Au Maroc, sous le protectorat français, on souffrait du racisme. Les pensions n’étaient pas suffisantes et on refusait de nous accorder des visas pour la France", soupire-t-il. Handicapé, abandonné à son sort, Abdelhadi Ben Rahalat reprend ses études et intègre la fonction publique, devenant chef de service des portefeuilles à la Banque du Maroc.

Aujourd’hui, après la revalorisation décidée par la France, il touche environ 225 euros par trimestre de "Retraite du combattant". Mais l’augmentation reste selon lui insuffisante, la retraite du combattant marocain représentant le tiers seulement de celle touchée par les Français : "Nos pensions doivent être alignées sur celles perçues par les Français, car nous avons combattu côte à côte". Pour Hamid Ben Rahalat "certains n’ont même pas de quoi manger ou se soigner. Ils ont donné leur jeunesse et leur sang dans la guerre. La France doit, pour sa part, leur donner les moyens de mourir dignement", ajoute-t-il. L’Association des anciens combattants mène également un autre combat, cherchant à ce qu’environ 4.000 veuves bénéficient de reversions des pensions. Actuellement, elles ne sont accordées qu’aux veuves mariées avant la Libération.


2) Antandou Somboko Antandou Somboko, ancien sergent de l’armée française, ce Malien de 87 ans fait partie des décorés. Les mots reviennent difficilement au sous-off’ de la coloniale, car il a perdu l’usage du français. Mais il sait faire comprendre qu’il se sent "très heureux". Il raconte que, lorsqu’il a su qu’il allait être distingué, il a tué un poulet. "Pour fêter ça", résume-t-il simplement. Sa surprise était grande : la France se rappelait donc de lui.

Enrôlé de force à l’âge de vingt ans dans le contingent des tirailleurs sénégalais, il embarque 1er janvier 1937 à Dakar pour Toulon. Dès 1939 il est plongé dans la guerre. Ce sera son univers quotidien durant des années. Il prend part à la campagne d’Italie et au débarquement des troupes alliées en Provence en août 44. Après la fin de la guerre en Europe, il participe successivement aux campagnes de Djibouti en 1945 et de Madagascar en 1947. Sa bravoure et ses actions d’éclat lui valent un nombre impressionnant de distinctions : Croix de guerre, médaille coloniale, médaille de la France Libre, médaille commémorative de la seconde Guerre mondiale, médaille coloniale de Tunisie. Au moment de l’indépendance de son pays, le sergent Antandou Somboko s’engage dans le corps de la Garde des forces armées et de sécurité du Mali.

Antandou Somboko voulait le dire au président, mais il n’a pas eu le temps de parler à M. Chirac - ou il n’a pas osé. Evoquer la maigreur des pensions versées aux anciens combattants d’Afrique, qui sont sans commune mesure avec celles des ex-soldats de métropole : chaque trimestre, le sous-officier reçoit chez lui, à Bamako, la somme de 200 000 francs CFA (environ 30 euros).


3) Samba Diallo perçoit une pension un peu plus élevée : 262 000 francs CFA (39 euros) par trimestre, car il avait atteint le grade d’adjudant.

Samba Diallo Né en 1917 à Nioro du Sahel, Samba Diallo a, lui aussi, été engagé de force en 1940 dans le corps des tirailleurs sénégalais. De Dakar, les troupes gagnent Marseille et notre homme effectue tour à tour les campagnes du Maroc, de Tunisie et d’Italie avant d’être engagé dans le débarquement en Provence au sein de la 1ère armée du général De Lattre de Tassigny.

Samba Diallo se souvient comme si c’était hier, du feu nourri de l’artillerie allemande qui, ce 16 août 1944, accueillit sur les sables de Saint Tropez, les tirailleurs maliens, sénégalais et burkinabés et les militaires alliés notamment français et anglais. Dans son unité, se souvient le vieil homme, une centaine d’Africains sont tombés sur les plages de Provence le premier jour du débarquement. Malgré la violence de la résistance allemande, les hommes du général De Lattre de Tassigny enfoncèrent les lignes ennemies et libérèrent Saint Tropez puis Marseille. Parvenus au pied des Alpes, la rigueur du froid était telle que les Africains furent relevés pour être remplacés par un contingent français, raconte Samba Diallo.

Revenu en Afrique, Samba Diallo entre dans la gendarmerie coloniale et sera affecté à Dakar, Bobo Dioulasso, Bamako ...

Reconnaissant envers la France qui vient de lui décerner l’une des ses plus hautes distinctions, Samba Diallo ne décolérait pas contre Paris pour le peu de reconnaissance envers des tirailleurs sénégalais qui lui ont tout donné. Et la “décristallisation” qui était sensée "réparer une injustice dans le traitement entre Blancs et Noirs" n’aura été finalement qu’une pincée de poudre inopérante étalée sur une plaie qui n’en finit pas de cicatriser.

C’est ce sentiment de profonde injustice qui a incité Samba Diallo et 22 autres pensionnés à introduire, le 28 janvier 2002, une action auprès du tribunal administratif de Paris afin d’obtenir une majoration de leurs pensions. Le tribunal n’a pas encore statué sur le dossier. [1]


4) Issa Sesse débarqua à Saint-Tropez à 4h du matin, le 15 août 1944. Aujourd’hui âgé de 83 ans, ce vétéran sénégalais se souvient : "Le bateau ne pouvait pas arriver jusqu’à terre, nous avons sauté à l’eau et pataugé jusqu’au rivage". Dix jours plus tard, Issa Sesse participait à la libération de Toulon. "La France a colonisé le Sénégal, et nous les avons aidés à se libérer", constate-t-il, sans aucune amertume.

Il n’oublie pas les « copains qui tombent et que tu ne peux ramasser », ni l’accueil qu’on leur a fait. « Je n’avais jamais vu la France », raconte-t-il. « J’étais perdu ! Mais ils nous ont accueillis, les Français étaient très gentils, très chaleureux ». « Les villageois nous ont donné des fleurs, du vin », rigole-t-il car il est musulman. « Oui, Toulon c’était formidable, on était comme leurs frères, comme leurs parents, on dansait. Le lendemain, on pouvait se faire tuer. Alors on se disait, ce soir y a bal, on va au bal, on s’en fout. »

Et puis Issa sourit en se replongeant dans ses souvenirs, se qualifiant de « gâté car il avait beaucoup de marraines », les copines ! « On n’avait pas de boubous à l’époque, on était habillé en américain, ça plaisait aux marraines mais elles regardaient pas ça, elles regardaient l’amour entre nous, elles nous embrassaient et plus ... »

Sa pension d’ancien combattant est aujourd’hui d’un peu plus de 57 000 francs CFA (environ 90 euros), touchée deux fois par an ... Une disparité avec les pensions des combattants français qui a longtemps rendu furieux les Sénégalais. Lorsque la pension d’Issa sera réévaluée, il touchera 216 euros par an (20 % de plus).

« Je ne sais pas pourquoi », soupire le vieux monsieur. "Ils nous payent comme des immigrés".

Ce n’est pas la maigre pension qui l’affecte le plus, non « ce qui est malheureux c’est que les enfants n’ont pas le droit d’aller en France ; d’autres étrangers sont plus considérés que nos enfants avec leurs grands-pères qui ont fait la guerre se croyant français ».

L’autre drame, c’est la mémoire. « J’ai été à Paris, j’ai entendu les jeunes qui me voient avec les médailles et me demandent « pourquoi tu portes ça ? » Je leur explique et eux disent « nous n’avons jamais appris que des tirailleurs sénégalais ont fait la guerre en France », j’ai dit « comment, avec tous ceux tués en France ? » « L’Afrique n’a pas compté dans la guerre... Heureusement, éclate-t-il de rire, tout le monde n’est pas mort. »


5) Ahmed Ben Bella, premier chef de l’État algérien aurait pu être présent aux cérémonies : en tant qu’ancien combattant médaillé de l’armée d’Italie et de la campagne de France.

En 1940, soldat du 14ème régiment d’infanterie alpine, Ahmed Ben Bella obtint la Croix de guerre pour avoir abattu un Stuka dans le port de Marseille. Puis il participa comme sergent à la bataille de Monte Cassino, le Verdun du front italien, où il sauve la vie de son officier, Offel de Villaucourt.

Ahmed Ben Bella, quatre fois cité, dont deux fois à l’ordre de l’armée, est décoré de la Médaille militaire par le général De Gaulle, lors de la prise d’armes du 14 juillet 1944, qui consacre le sacrifice des combattants d’Afrique du Nord en Italie. Un mois plus tard, le 15 août, les mêmes soldats débarquaient sur le rivage varois, dans le cadre de l’opération Dragoon.


Sources :

“Décorés par le président de la République, les vétérans auraient préféré de l’argent aux médailles”, par Pascal Ceaux, Le Monde du 17 août 2004.

“Deux anciens combattants maliens honorés” par B.Coulibaly, L’Essor de Bamako, le 16 août 2004.

“Sénégal : des anciens combattants « payés comme des immigrés »” par Bouallaâm, Marseille Solidaire, vendredi 13 août 2004.

“Je pensais à rien, j’étais à la mort ou la vie”,par Marie-Laure Josselin, Libération, samedi 14 août 2004.


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