Il faut supprimer d’urgence les maisons de retraite

mardi 18 août 2020.
 

Peter JANSSEN, gérontologue belge, explique, point par point, pourquoi les institutions dans lesquelles nous parquons les personnes âgées sont indignes, inadaptées et arriérées.

À partir du XVIIIe siècle, on a milité pour l’abolition de l’esclavage. Puis certains ont exigé la suppression de la peine de mort et des prisons. Aujourd’hui, d’autres dénoncent la prostitution, le trafic d’êtres humains, la souffrance animale. Le point commun entre ces “abolitionnistes” ? L’indignation contre l’injustice. Or, la crise du coronavirus nous a montré que l’heure d’un nouveau combat a sonné : il y a au moins huit bonnes raisons de fermer définitivement les maisons de retraite.

1. Ce sont des lieux propices à la propagation des maladies

Le coronavirus a très lourdement frappé la Belgique, et la grande majorité des victimes sont des pensionnaires de maisons de retraite. Cette situation s’explique notamment par une mauvaise préparation, des mesures prises trop tardivement et un manque de moyens matériels et humains. La raison principale est toutefois à chercher ailleurs : il était impossible de faire appliquer les mesures de précaution dans ces résidences où les pensionnaires vivent dans la promiscuité. Ces dernières ont bien essayé de les isoler dans leur chambre, mais cette méthode, aussi invivable qu’inhumaine, n’était pas tenable sur le long terme.

2. Les seniors ne veulent pas y aller

Tous les sondages démontrent que nos seniors ne veulent pas être placés en maison de retraite et préfèrent rester chez eux. Or, la plupart du temps, ce sont les familles qui prennent la décision, faute de meilleure option. Elles se retrouvent alors devant un choix cornélien : le placement de leurs parents ou leurs grands-parents, souvent malades et dépendants, en résidence est synonyme d’exposition à d’autres dangers, comme le nouveau coronavirus.

Or, moyennant des investissements massifs dans les soins préventifs et les services infirmiers à domicile, nous pourrions leur offrir une deuxième option valable. D’autant plus que les baby-boomers, génération par nature plus “revendicatrice”, seront vraisemblablement moins enclins à accepter leur sort que les membres, sans doute plus dociles et conciliants, de la “génération silencieuse”.

3. Elles prodiguent des soins médicaux d’un autre temps

Le vieillissement de la population bouleverse le monde médical. La plupart des maladies ne sont plus aiguës, mais chroniques. Songeons aux troubles cardio-vasculaires, au diabète, au cancer, à l’obésité, à la dépression, à la démence. Les soins de première ligne intégrés [ceux qui peuvent être dispensés à domicile, dans des petits centres ou des cabinets privés] et la prévention prennent la place des soins résidentiels dispensés à l’hôpital. Les maladies chroniques sont des maladies lentes, qui exigent une approche préventive contraignante, similaire à celle adoptée contre le Covid-19.

En intervenant de façon structurelle au niveau de l’environnement et du comportement, il est possible, moyennant une bonne hygiène de vie (arrêt du tabac, alimentation saine, exercice physique et absence de surpoids), d’éviter jusqu’à 80 % des maladies chroniques. Or, une maison de retraite est un milieu justement propice à la perte d’autonomie et aux maladies, et qui favorise donc aussi la vulnérabilité à des virus mortels tels que ceux du Covid-19 ou de la grippe.

4. Elles sont un non-sens gérontologique

Le but de la gérontologie est de permettre que le vieillissement se passe dans de bonnes conditions de santé. Cette science repose sur deux principes de base : l’autonomie et l’activité. En d’autres termes, pour rester en bonne santé au fil des ans, nous devons conserver notre autonomie et rester actifs. Des soins de bonne qualité doivent concourir à ce double objectif. En maison de retraite, vous perdez pratiquement toute autonomie, au point que ces structures en deviennent des prophéties autodestructrices. Elles favorisent ce qu’elles devraient précisément éviter : la dépendance, la maladie, l’abandon.

5. Elles violent les droits humains

Les droits humains sont universels et ne connaissent pas de limite d’âge. Les résidents des maisons de retraite ont donc droit à la liberté, à la dignité, au respect de la vie privée et du domicile, et à de bons soins de santé. Coronavirus ou pas.

Johan Leman, ancien directeur et fondateur du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, devenu Unia, craint que la dépendance aux soins ne conduise à des abus (immobilisations) et à des traitements cruels, inhumains et dégradants (obligation de porter des couches). Dans une tribune publiée par De Standaard, il plaide pour la mise en place d’un Commissariat aux droits des personnes âgées, qui veillerait au respect des droits humains dans les maisons de retraite. Cet organisme serait chargé de traiter les plaintes, de donner voix aux victimes et de lutter contre les discriminations.

6. Elles nous divisent

Les maisons de retraite isolent les personnes âgées du reste de la société, ce qui confirme et renforce l’image négative de la vieillesse. L’exclusion des personnes âgées s’apparente à toutes les autres formes d’exclusion : elle constitue un mécanisme de défense et de déni qui entretient le statu quo. Nous projetons sur les autres ce qui nous inspire malaise ou peur et nous finissons par les bannir de notre vie. En entretenant les stéréotypes et l’image – faussée – de décrépitude qu’on colle habituellement aux personnes âgées, les maisons de retraite favorisent la ségrégation générationnelle.

7. Elles sont dépassées

Au cours du XIXe et du XXe siècle, les grands “rassemblements” en institution étaient considérés comme tout à fait normaux. Nous étions alors à l’âge d’or des couvents, des casernes, des cités industrielles, des pensionnats. On avait tendance à répondre aux problèmes sociaux et sociétaux en créant de grandes institutions “normatives” : asiles de pauvres, orphelinats, maisons de correction et asiles d’aliénés. Et bien sûr, il y avait déjà les “hospices”.

À l’exception de ceux-ci, tous les exemples que j’ai cités, que les sociologues qualifient d’“institutions totales”, ont disparu et ont été remplacés par des solutions plus adéquates. En effet, ce n’est pas parce qu’on regroupe les problèmes qu’on les résout. Au contraire. Ces “institutions totales” ont fait leur temps parce qu’elles entretiennent non seulement les problèmes, mais surtout qu’elles en créent de nouveaux. Même les prisons, prototype d’une institution totale, sont progressivement remplacées par des centres de détention de moindre envergure.

8. Elles sont bien trop chères

Les soins aux personnes âgées coûtent énormément d’argent. Or, mieux vaut investir le peu de moyens dont nous disposons dans l’humain que dans la pierre – c’est-à-dire dans le développement de soins ambulatoires plutôt que dans des structures résidentielles d’un autre temps. D’autant que la vision et l’approche actuelles ne seront bientôt plus soutenables.

En effet, si les (nombreux) baby-boomers connaissent autant de problèmes de santé que leurs homologues de la génération silencieuse, nous aurons besoin demain de deux fois plus d’hôpitaux et de deux fois plus de maisons de retraite. Même en imaginant que nous ayons assez d’argent pour les financer, nous ne trouverons jamais assez de personnel pour en garantir le fonctionnement. Voilà pourquoi il faut déplacer le curseur du curatif vers le préventif : cela permettra d’éviter les maladies et la dépendance aux soins, et donc les maisons de retraite.

Peter Janssen


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