Le nombre de cas positifs au coronavirus continue à augmenter en France. Les Pays de la Loire sont en alerte, car la situation n’est toujours pas sous contrôle en Mayenne. Et au bord de la mer, sur la baie de La Baule, un premier cluster important est apparu dans un restaurant de plage.
L’étiage reste bas, mais l’épidémie de coronavirus reprend bel et bien en France. Dans son bulletin hebdomadaire du jeudi 23 juillet, Santé publique France alerte sur le nombre de tests positifs, en hausse de + 27 % en une semaine.
L’incidence – le nombre de nouveaux cas diagnostiqués pour 100 000 habitants – reste cependant faible en France métropolitaine : 6,6 cas en moyenne la semaine dernière. Mais il était de 5,8 cas la semaine précédente.
Le point noir est toujours le département de la Mayenne, en « vulnérabilité élevée » depuis le début du mois de juillet. Le taux d’incidence y est sans comparaison avec le reste de la France, et ne cesse d’augmenter : selon les chiffres de l’Agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire, communiqués vendredi 24 juillet, il est désormais de 110 nouveaux cas pour 100 000 habitants, en forte augmentation.
En visite en Mayenne lundi, le ministre de la santé Olivier Véran s’est probablement réjoui trop vite, en affirmant : « On est en train de casser la courbe » épidémique. Il s’appuyait sur le seul indicateur qui incitait à l’optimisme en début de semaine : la part des tests positifs ne cessait de baisser. Hélas, il remonte, à 3,8 %, a annoncé le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire, Jean-Jacques Coiplet, lors d’une conférence de presse ce vendredi 24 juillet.
Il y a toujours 6 clusters en cours d’investigation dans le département, dont deux communautaires, les plus inquiétants. Car dans ces clusters, « le nombre de cas est important. Il continue à augmenter malgré les mesures de tracing et d’isolement que nous mettons en œuvre, soit parce que ces mesures ne sont pas suivies, soit parce qu’on n’arrive plus à suivre les chaînes de transmission », a expliqué Lisa King, la responsable de Santé publique France dans les Pays de la Loire, lors de cette même conférence de presse.
Le 22 juillet, en Mayenne, a été repéré un nouveau cluster communautaire impliquant « plusieurs établissements d’hébergements sociaux et un établissement pour travailleurs handicapés, a détaillé Lisa King. On a des dizaines de cas positifs qui sont liés entre ces différentes structures, avec des contaminations à l’intérieur des familles. Les chaînes de transmission se perpétuent ». « Mais on ne baisse pas les bras », a tenu à préciser Jean-Jacques Coiplet.
Engagé depuis la mi-juillet dans une campagne de dépistage massif, d’isolement des cas positifs et de traçage des cas contacts, ce département rural et peu peuplé n’a toujours pas repris le contrôle face au SARS-CoV-2.
Tout est parti des abattoirs mayennais, trois sur six ont été touchés. « De nombreux pays ont rapporté des situations compliquées dans les abattoirs, a expliqué Sophie Vaux, épidémiologiste à Santé publique France lors d’une conférence de presse de l’ARS mardi 21 juillet. La plupart des cas surviennent en fin de chaîne, dans les ateliers de découpe, où les carcasses sont découpées en pièces prêtes à consommer. La promiscuité est importante. L’atmosphère humide et rafraîchie est plus favorable à la survie du virus et à la moindre efficacité des masques. Et ce sont des lieux bruyants : pour échanger, les personnes doivent se rapprocher, sont tentées d’enlever leurs masques. Y travaillent beaucoup de personnels intérimaires, moins bien formés, qui peuvent avoir des contrats dans plusieurs abattoirs. Ils vivent souvent en colocation et font du covoiturage. » Les occasions de transmission du virus sont donc démultipliées.
Depuis l’apparition de ces clusters le 6 juillet, la Mayenne a démultiplié ses capacités de dépistage. Les quatre laboratoires de biologie médicale privés ont été très vite débordés. L’Agence régionale de santé a donc monté quatre centres de dépistage gratuit, sans rendez-vous, sans prescription, ouverts 7 jours sur 7. La petite ville de L’Huisserie, à proximité de Laval, a connu un cluster familial, à partir d’un abattoir, élargi à un voisin de palier. « On a donc ouvert un centre de dépistage le lundi 13 juillet, raconte le maire Jean-Pierre Thiot. Le premier jour, il y avait 3 heures d’attente, puis la situation s’est vite régularisée. »
Ces centres de dépistage temporaires fonctionnent avec du personnel mobilisé par la réserve sanitaire, mais surtout avec des bénévoles de la Protection civile de Mayenne. Ils assurent « le suivi de la file d’attente, le respect des gestes barrières et l’enregistrement administratif. On s’occupe aussi du portage des repas et des courses des personnes qui ont besoin d’aide pour s’isoler », explique le président de cette association, Rémy Besson.
Il ne manque pas de volontaires : « Depuis le début de la crise du Covid-19, on a reçu 750 candidatures, on en a retenu 450. Il y a une grande envie de s’engager. » Ce jeune entrepreneur ne dort plus chez lui depuis le printemps, mais dans un centre d’hébergement pour personnes précaires géré par son association, qui accueille des personnes positives au coronavirus qui souhaitent s’isoler en dehors de leur domicile.
Au départ, l’ARS ambitionnait de dépister les 300 000 habitants du département, un objectif irréaliste au rythme actuel de 2 400 tests par jour. Mais toutes les personnes interrogées trouvent aujourd’hui le dispositif de dépistage bien calibré. S’y ajoute depuis quelques jours un bus de dépistage qui sillonne les quartiers de Laval, la préfecture du département, pour aller « vers les personnes qui ont moins de mobilité », explique Rémy Besson.
Les maires ne sont pas tenus informés du nombre de personnes testées positives sur leurs communes, en raison du respect du secret médical. Mais ils le sont en tant qu’employeurs, quand leur personnel est touché. Le maire de Laval, Florian Bercault, compte « huit agents testés, dont quatre cette semaine. La plupart sont des animateurs des centres de loisirs. J’ai dû fermer certains groupes d’enfants. Une crèche est également touchée et a dû fermer. Des enfants ont été testés positifs ». Pour rassurer, il joue « la transparence », mais il constate que « la fréquentation des centres de loisirs a chuté de moitié, surtout dans les quartiers populaires. La rentrée va être compliquée ».
« On attend que les signaux virent à l’orange pour engager des moyens » Le maire de L’Huisserie, Jean-Pierre Thiot, joue lui aussi « la transparence. On a eu un cas positif dans une boulangerie. Elle a fermé, tout le personnel a été testé. On a communiqué et elle a pu rouvrir et retrouver sa clientèle. Je suis en train de préparer des flyers pour inviter la population à se faire dépister au retour de vacances. Ma grande inquiétude est que le soufflé retombe, et que cela reparte comme en mars, et nous plombe la vie. On doit apprendre à vivre avec ce virus, avec des masques, à une distance d’un mètre, en se dépistant souvent ».
La montée en charge du dépistage en Mayenne a connu des ratés. Certains habitants ont attendu leurs résultats de dépistage pendant 10 jours, au lieu de 1 ou 2 jours maximum. « Il y a un souci informatique au CHU de Nantes, qui est en train d’être réglé, explique le directeur général de l’ARS. Mais tous les cas positifs ont été prévenus rapidement. »
Le suivi des cas contacts est assuré par l’assurance-maladie. Celle-ci, en réponse à nos questions, assure n’être pas débordée par cette augmentation du nombre de cas positifs. « 6 000 personnes de l’assurance-maladie ont été formées au contact tracing, pour pouvoir suivre 3 000 cas positifs par jour, et 20 cas contacts, soit 60 000 personnes par jour. » Or, les 15 derniers jours, l’assurance-maladie n’a eu à suivre que « 500 à 800 cas par jour », qui ont un nombre de cas contacts limité, de « 3 à 5 » en moyenne. Pendant l’été, « 850 personnes et 350 médecins-conseils sont mobilisés, 7 jours sur 7 ». Les appels sont passés dans les 24 heures « dans 97 % des cas », assure l’assurance-maladie.
Du côté de l’ARS des Pays de la Loire, qui s’occupe de tracer les situations complexes, notamment les clusters, une source syndicale indique également que « les moyens ont été mis en œuvre, à hauteur », même s’il regrette un retard au départ : « On attend parfois que les signaux virent à l’orange avant de penser à engager des moyens plus conséquents. »
Or, avec le Covid-19, tout retard est une prise de risque, car plus de la moitié des personnes testées positives au coronavirus ne présentent aucun symptôme. « C’est la difficulté avec ce virus, explique l’épidémiologiste de Santé publique France Lisa King. L’épidémie se poursuit, mais on ne peut intervenir que lorsque les cas symptomatiques apparaissent. »
Peu de personnes en Mayenne présentent jusqu’ici des formes graves : « On a 9 personnes hospitalisées pour un Covid-19, et 3 personnes en réanimation », explique la cheffe du pôle de médecine de l’hôpital de Laval, Anne Schletzer-Mari. Mais le Covid-19 occupe tout de même « la moitié du service de médecine polyvalente, et beaucoup de personnel en raison des temps d’habillage et de déshabillage », détaille la médecin diabétologue.
Elle l’admet sans détour : « Ce retour du Covid-19 nous surprend, et il nous décourage. Et nous sommes inquiets pour nos autres patients. Nous venions de reprendre une activité programmée pour rattraper le retard pris dans la prise en charge de nos patients chroniques. Mais on nous impose un retour à un plan blanc renforcé qui à nouveau nous oblige à déprogrammer nos hospitalisations. L’épidémie est loin d’être terminée, nous ne pourrons pas sans arrêt déprogrammer nos patients. Il y a là une vraie perte de chance. Une vraie réflexion s’impose sur le fonctionnement actuel de nos hôpitaux asphyxiés par les mesures de retour à l’équilibre imposés par les ARS. On a vu fondre les effectifs soignants. »
Le docteur Schletzer-Mari a une solution idéale : « On a une aile vide. On aimerait la transformer en unité Covid-19, à géométrie variable, avec un personnel dédié. Mais pour cela, il faudrait avoir du personnel. » Et il est hors de question pour la cheffe de pôle de le rappeler sur ses vacances : « On respecte les 3 semaines de congé, c’est absolument nécessaire pour récupérer. » Les renforts de la réserve sanitaire sont pour l’instant destinés aux centres de dépistage.
« Le personnel est réellement fatigué, confirme le directeur de l’hôpital de Laval, André-Gwenaël Pors. On a une pénurie d’infirmières, un sous-effectif chronique de médecins. Pendant la première vague, on a fermé 70 lits que l’on ne peut pas rouvrir, faute de personnel. » Pourtant, aux urgences, l’activité a repris normalement, avec en prime « des patients plus graves, sans doute en raison du confinement », raconte le directeur.
Le virus ne s’arrête pas aux portes de la Mayenne. Il est en train de migrer avec les vacanciers, au bord de mer. En pleine saison touristique, il y trouve aussi des conditions très favorables à sa circulation active. Dans une grosse brasserie de plage de Pornichet, sur la baie de La Baule, 14 des 55 salariés ont été testés positifs mardi 21 juillet. Un autre restaurant de la ville a été fermé après un cas positif, les résultats des tests du reste du personnel sont attendus.
Presque comme dans les abattoirs, les salariés y font un travail physique, dans une atmosphère bruyante, travaillent dans la promiscuité en cuisine. Parmi eux, il y a de jeunes saisonniers qui vivent souvent en colocation et pratiquent le covoiturage.
Sur la presqu’île de Guérande, l’atmosphère est longtemps restée détendue. Les mœurs ont changé très vite : désormais, le masque est obligatoire à l’entrée des restaurants et dans tous les déplacements en intérieur.
L’ARS des Pays de la Loire doit lancer, à partir de dimanche, « un dépistage préventif de 1 600 travailleurs de la restauration à Pornichet, La Baule et Le Pouliguen, à partir de dimanche », a annoncé vendredi le directeur général Jean-Jacques Coiplet. Selon la presse locale, des habitants, clients ou non des restaurants touchés, cherchent à se faire tester, avec difficulté.
« Nous ne sommes pas dans le temps de l’inquiétude », a voulu rassurer le préfet de région Claude d’Harcourt, vendredi. Mais son discours est ambivalent : il affiche sa « fermeté » sur l’obligation de respect des gestes barrières, et se fait même menaçant vis-à-vis des « hôtels, des bars, des restaurants, des organisateurs de rassemblements qui ont une responsabilité ». S’ils ne l’assumaient pas, alors le préfet n’hésiterait pas « à prendre des mesures de fermeture ».
Caroline Coq-Chodorge
P.-S. • MEDIAPART. 25 juillet 2020 :
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