LA BOMBE PETER BEINART « Je ne crois plus en un État juif »

vendredi 31 juillet 2020.
 

C’est une bombe dans son propre milieu intellectuel et affectif qu’a lancé, au début juillet, l’universitaire américain juif Peter Beinart en publiant coup sur coup deux articles dans lesquels il remet en question l’existence même de l’État d’Israël.

- « Yavneh : A Jewish Case for Equality in Israel-Palestine » (Yavneh : un plaidoyer juif pour l’égalité en Israël-Palestine) est paru le 7 juillet dans le trimestriel progressiste Jewish Currents dont Beinart est rédacteur en chef.

- Le second, sous un titre plus provocant : « I No Longer Believe in a Jewish State » (Je ne crois plus en un État juif), est sorti le lendemain dans le New York Times.

Très imprégné de culture juive, religieusement observant sans être très pratiquant, Peter Beinart (49 ans) est politologue, enseignant à la City University de New York. Il est également journaliste, collaborateur régulier du mensuel The Atlantic et du quotidien juif new-yorkais The Forward. Il s’identifie lui-même, depuis toujours, comme sioniste progressiste (« liberal »). Dans son article du New York Times, il s’adresse directement à ceux de sa propre mouvance sioniste, à laquelle il entend rester fidèle, pour leur dire qu’il a adhéré avec enthousiasme à l’idée phare des accords d’Oslo, signés en 1993, celle des deux États pour deux peuples vivant en paix côte à côte. Ainsi, écrit-il, pouvait-on rester « à la fois progressiste et soutien d’un État juif ». Mais « les événements [qui ont suivi Oslo] ont éteint cet espoir ». Le constat est là : « dans la pratique, Israël a déjà annexé la Cisjordanie depuis très longtemps ». Quant à la possibilité de deux États souverains séparés, elle s’est évanouie (elle est devenue, précise-t-il dans son autre article, un « camouflage » pour mieux aggraver la dépossession des Palestiniens occupés). Nous, juifs progressistes, devons nous confronter à cette réalité et « nous décider ». Quant à lui, l’affaire est tranchée : il faut, conclut-il, « embrasser l’objectif non pas de deux États, mais celui de l’égalité des droits pour les juifs et les Palestiniens » qui habitent cette même terre.

ISRAËL, UN ÉTAT CONSTITUTIVEMENT SÉGRÉGATIONNISTE

Sur le plan politique, cette égalité, selon lui, peut prendre la forme d’un seul État avec des droits équivalents pour tous — un homme, une femme, une voix —, ou bien d’une « confédération de deux États profondément intégrés » l’un avec l’autre. Dans les deux cas, poursuit-il, Israël cessera d’être un État juif. À ceux qui prétendront au mieux qu’il n’est qu’un utopiste, et au pire un traitre à la cause sioniste, Beinart rétorque par avance qu’en premier lieu Israël est déjà de facto un État binational où une nation domine l’autre. Et en second lieu que « la solution de l’égalité des droits est devenue plus réaliste que celle de la séparation », vu l’évolution sur le terrain, où les deux populations vivent de plus en plus imbriquées tandis qu’entre elles la ségrégation se renforce chaque jour. Bref, juge-t-il, l’État juif ne pouvant plus être autre chose que celui qu’il est devenu, un État constitutivement ségrégationniste, le temps d’en tirer les conséquences est venu : cet État n’a plus d’avenir, du moins plus d’avenir digne d’être soutenu.

Quel serait, dès lors, le futur politique des juifs sur cette terre commune aux Israéliens et aux Palestiniens ? Subsidiairement : comment rester sioniste tout en renonçant à l’État juif ? Beinart tente de répondre plus en détail à ces questions dans l’autre article, plus long et aussi plus intime. Le cœur de sa réponse réside dans une idée… pour tout dire saugrenue. « L’essence du sionisme, proclame-t-il, n’était pas d’ériger un État juif sur la Terre d’Israël, mais d’y créer un foyer juif ». D’ailleurs, « les premiers sionistes se préoccupaient, avant tout, de créer un endroit qui serve de refuge et de lieu de revitalisation » du judaïsme, pas un État.

Il en appelle aux mânes d’Ahad Haam (Asher Ginzburg), un des premiers sionistes qui, contre le fondateur du mouvement Théodor Herzl, professa à la fin du XIXe siècle la création non pas d’un État juif, mais d’un centre culturel sur la terre d’Israël qui constituerait essentiellement un pôle spirituel pour les juifs du monde. Ahad Haam critiqua aussi l’attitude des premiers colons juifs en Palestine à l’égard des autochtones.


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