Grève civique aux municipales

mercredi 8 juillet 2020.
 

Hélas, il n’y a eu aucune autre vague dans cette élection municipale que celle d’un tsunami d’abstention. C’est une grève civique sans précédent. Elle a atteint pour le second tour 58,1%. Cela représente une augmentation de 20 points par rapport à la précédente élection municipale.

20 points ! C’est la pire abstention de toute la cinquième République pour une élection municipale. Pire que celle de toutes les élections législatives depuis 1958. Pire que celle de toutes les élections européennes depuis leur création en 1979. Une seule élection a fait pire : l’européenne de 2009. Sinon, aucune autre élection depuis 1958 n’a réuni moins d’électeurs. Dans 488 communes, l’abstention a même dépassé les 75%. Une grande ville, Mulhouse, a vu son maire élu avec moins de 10% des inscrits. Dans les communes de plus de 100 000 habitants, où les Verts par exemple ont réalisé leurs meilleurs scores, les maires sont élus en moyenne avec moins de 18% des inscrits.

Pourtant, ce fait central n’était pas assez vendeur pour la maigre soirée électorale des médias. Et comme il n’était pas très porteur de mettre en scène l’incroyable déroute du pouvoir macroniste, tous les plateaux creusèrent le sillon de « la vague verte ». Tant mieux car cela aide à centraliser le thème écologiste. Mais ce qui est bon pour la gesticulation médiatique est de faible intérêt pour la réflexion politique. Surtout quand cela se couronne dans des délires agiographiques du type du passe-plat comme le rubricard du « Monde » lancé dans des dithyrambes inhabituelles dans les pages plus réservées de ce journal. Sa pauvre expérience électorale est évidemment une excuse dont il faut tenir compte. Mais vraiment. Comparer cette « vague » à celle de 1977 qui amorça la montée du PS vers 1981 est certes de bonne guerre militante. Mais elle serait dangereuse à croire tant elle pousserait à l’erreur tous les gens sérieux qui ont à réfléchir sur la tactique utile pour l’avenir.

On a déjà connu ce genre d’illusion d’optique. En effet en 2001 déjà, après que Paris et Lyon aient été prises à la droite par le PS, d’aucuns avaient parlé d’un triomphe de la « gauche plurielle » alors que des dizaines de villes moyennes passaient à droite. Et la présidentielle de 2002 fut un désastre, injuste mais irrémédiable. À ne pas reproduire ! Car si seulement cette fois c’était la bonne ! Si seulement ! Ce serait alors aussi notre fête. Car nous même, Insoumis, étions bien souvent partie prenante à des coalitions avec EELV. À Lyon, à Tours, à Grenoble, nous gagnons ensemble. À Marseille, EELV a rejoint pour le second tour la liste sortie en tête après avoir exclu au premier la tête de liste Michelle Rubirola. Faut-il tenir pour rien que Sophie Camard ait fait le meilleur score de la ville aux deux tours dans ma circonscription et qu’elle soit par ailleurs ma suppléante ?

Les insoumis n’étaient donc pas absents du paysage de ces élections municipales. Ils n’étaient invisibles que pour ceux qui ont la flemme de regarder de plus près et de bosser un peu, en plus du recopiage de dépêche d’agence. Notre but dans ces élections n’était pas de fanfaronner, de nous mettre en avant ou de revendiquer lourdement le plus de listes possibles. Nous nous sommes inscrits dans une stratégie au long court : aider a émerger des listes « citoyennes ». La stratégie générale est connue : celle de transformer le pays par la mobilisation directe et auto-organisée de son peuple. Les résultats ont été très inégaux. Nous les assumons comme tels. La leçon est si évidente : les quartiers populaires où ont été nos meilleurs scores du passé n’ont pas bougé quels qu’aient été nos efforts. Et c’est une grande frustration pour nous.

La tactique d’EELV étaient à l’inverse de rassembler les classes moyennes de centre-ville. Et ce fut un succès. Ces listes remportent de belles victoires symboliques. C’est une grande leçon pour la suite. Ces catégories sociales maintiennent une capacité de leadership sur le reste des secteurs populaires. Leur domination sur les listes d’ancienne union de la gauche en atteste. Et Olivier Faure ne se trompe pas quand il reconnait ce nouveau leadership que le PS n’exercera plus jamais. Du coup on doit quand même noter qu’elles ne gagnent souvent qu’en contenant une coalition. Et le passage de la domination sociale à l’hégémonie n’est jamais loin. Ainsi à Lyon, les Verts prennent tous les postes de maires de secteur inclus celui de la tête de liste soutenue par LFI, Nathalie Perrin-Gilbert qui avait fait 10% sur l’ensemble de la ville au premier tour.

Ces coalitions furent donc la clef, outre dans les villes déjà citées, à Strasbourg, Bordeaux, Poitiers ou Besançon. Souvent, il s’agit d’ailleurs tout simplement d’une union de la gauche traditionnelle dont seule la tête a changé de couleur. Parfois, notamment quand nous y sommes, de coalitions citoyennes plus novatrices. Cependant, tirer comme conclusion de ce second tour que l’union de gauche aurait retrouvé son attrait d’antan est une erreur. Dans des villes où une liste soutenue par la France insoumise se maintient au second tour face à une union de la gauche, elle progresse encore entre les deux tours. C’est le cas à Clermont-Ferrand, aux Lilas ou dans le 20ème arrondissement de Paris. Cela ne veut rien dire d’autre que de souligner la comparaison avec 2001 plutôt qu’avec 1977. Car 2001 fut le signal de la fin de l’union comme impératif catégorique. Et 2005 avec la victoire du « non » à la Constitution européenne consomma un divorce pour faute. Nous y sommes toujours.

En fait, quand on regarde de près les résultats et le nombre de villes conquises, la « vague verte » est certes un précieux renfort mais elle ne bouscule pas un paysage fondamentalement atone y compris dans les villes considérées. Au final, sur les 236 communes de plus de 30 000 habitants, EELV en dirigera 8. C’est toujours moins que le PS, qui en conserve 42 malgré une chute vertigineuse depuis 2008, moins que le PCF avec 18 maires. Il y a aussi à l’issue de ces élections davantage de communes dirigées par des « divers gauche » attestant de la balkanisation de la gauche traditionnelle. Mais surtout, dans les villes de plus de 30 000 habitants, la droite reste majoritaire. Au total le rapport de force de 2014 reste peu ou prou inchangé. Dans les quartiers populaires comme dans les villes moyennes, on n’observe aucune dynamique d’aucune sorte sinon une poussée plus que phénoménale de l’abstention. Le problème stratégique reste entier.

En comptant la majorité de communes pour lesquelles il n’y avait pas de second tour, au total des deux tours, seuls 14% des électeurs ont voté. On voudrait tirer des conclusions politiques positives sur cette base ? Ce n’est hélas pas possible. À moins d’accepter que la démocratie est satisfaite même si le peuple n’y participe plus. Les patriciens romains eurent cette tentation en 494 avant notre ère quand le peuple se retira sur l’Aventin. Ils durent bien vite céder sous la pression du nombre et de l’utilité sociale des absents. Le peuple continue de refuser sa participation aux institutions. Scrutin après scrutin, il amplifie ce mouvement de colère froide. Il atteint désormais même les communes, piliers du pouvoir citoyen depuis la naissance de la République. Il faut dire que les réformes Sarkozy et Hollande avec leur cortège de métropoles, d’intercommunalités obligatoires et autres structures technocratiques éloignées des gens ont bien contribué à dérouter toute compréhension de la démocratie communale.

Ce retrait massif du peuple ne peut s’interpréter que d’une façon : l’exaspération de participer à un système qui ne prend jamais en compte les aspirations populaires. Mais il transforme aussi la cinquième République en régime censitaire de fait. En effet, l’abstention est d’autant plus grande chez les classes populaires et les jeunes. 70% des ouvriers n’ont pas voté comme 72% des 18-34 ans. Pour l’instant, seule l’élection présidentielle est épargnée par les grandes vagues d’abstention. Sa centralité totale dans la cinquième a été complètement intégrée. Ceux, nombreux, qui veulent renverser la table ne voient que cette échéance pour le faire. À mes yeux, la condition de leur retour aux urnes en 2022 sera la présence d’un programme et d’une candidature de rupture.


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