Le salut par un changement de République, par Paul Allies

mardi 16 mai 2006.
 

Le délabrement des institutions affecte avant tout le régime constitutionnel sous lequel nous vivons. Il faut imaginer d’en changer d’ici à 2007.

La France vient de vivre un épisode singulièrement illustratif du délabrement de ses institutions. Il est de nature à augmenter les risques politiques qui pèsent sur la prochaine élection présidentielle. Il affecte avant tout le régime constitutionnel sous lequel nous vivons, et pas seulement son personnel politique. Si bien qu’il devient de salut public de changer de République.

Les Français, jusqu’ici les moins avertis de ces questions, auront découvert grandeur nature l’archaïsme de la Ve République. Depuis le passage en force d’une loi au Parlement jusqu’à sa promulgation-suspension pour ne pas risquer la démission du Premier ministre, ils ont eu droit à une démonstration de ce que permettent nos actuelles règles constitutionnelles.

Ce spectacle impressionnant est-il le résultat d’une « mauvaise gouvernance », de mauvaises actions de dirigeants inexpérimentés (le Premier ministre) ou usés par le pouvoir (le Président) ? Cette thèse a été défendue par bon nombre de commentateurs. Elle fait écho à ce qu’avait été le choeur de la campagne de Lionel Jospin : « Présider autrement ». Elle postule que les hommes sont plus forts que les institutions, que leur méthode de gouvernement peut changer radicalement la nature de celles-ci. On a vu, le 21 avril 2002, comment elle n’avait pas réussi à emporter la conviction de plus de 16,18 % d’électeurs. Car cette thèse est fausse : la Ve République forme un tout dont il est impossible de s’extraire, et la gauche, responsable en ce domaine de tant de contre-mesures, devrait s’en convaincre sans tarder. L’instauration du « quinquennat sec », en septembre 2000, a renforcé l’autorité du Président sur le Parlement et sa majorité, tout en renforçant son irresponsabilité et son inviolabilité. L’inversion du calendrier en 2002, redonnant la primeur à l’élection présidentielle, a définitivement interdit toute évolution parlementaire du système, qu’avait pourtant laissé imaginer la succession des cohabitations. Le Premier ministre peut donc gouverner à coups d’ordonnances et de 49-3, faisant du Parlement français le plus insignifiant de tous les Etats membres de l’Union européenne. Il peut aussi utiliser sa fonction dans la compétition pour l’élection présidentielle puisque la Constitution l’y encourage. C’est ce désordre institutionnel qui aggrave la crise entre l’opinion et sa représentation politique, entre les gouvernés et les gouvernants quels qu’ils soient.

Jamais la défiance des Français n’a été aussi forte vis-à-vis de ces derniers. Le sondage TNS-Sofres des 8 et 9 mars, au début de la crise du CPE, est impitoyable : 72 % et 70 % des personnes interrogées s’estimaient mal représentées par un leader politique ou un parti. Gageons que, au cours du dernier mois, ces chiffres se sont encore élevés. Ils corroborent le divorce désormais historique entre les Français et leur système politique. A chaque occasion qui leur est donnée, ils votent volontiers « non », que ce soit dans le référendum européen de 2005 ou aux élections régionales de 2004. La majorité des électeurs est gagnée par le vote par intermittence, le vote sanction, le vote impulsif, le vote blanc et nul, l’abstention politique enfin. Sur les 41 millions d’électeurs inscrits en 2002, 28 millions se sont ainsi mis hors système. C’est une des raisons structurelles de l’incapacité des majorités sortantes à se faire réélire, ce qui fait là encore de la France un cas rare en Europe.

La crise que nous venons de vivre ne va pas inverser ces tendances, bien au contraire. L’élection présidentielle de 2007 sera donc une date de plus dans l’érosion des partis de gouvernement, régulièrement affaiblis par un présidentialisme totalement opposé à l’évolution de la société, aux comportements participatifs des citoyens, aux attentes culturelles des jeunes. L’emballement médiatique actuel tant sur Sarkozy que sur Ségolène fait écran. Mais, si l’on ne veut pas que se répète en se caricaturant le 21 avril 2002, il faut imaginer dès maintenant un changement de régime. Force est de constater que, depuis quatre ans, les prises de position et propositions en ce sens n’ont cessé de se multiplier et de s’élargir, d’Edouard Balladur à Marie-George Buffet, en passant par François Bayrou. Arnaud Montebourg n’est plus le seul à revendiquer cette idée dont il eut l’initiative. Il incarne par contre, à lui seul, l’option primo-ministérielle contre la perspective d’un régime dit présidentiel, qui ne ferait qu’aggraver la crise sociale et culturelle dans laquelle la Ve République nous a plongés. Comment imaginer le passage à une VIe République ? D’abord, avec un candidat qui en incarne le désir et le projet, qui dénonce clairement la responsabilité de nos institutions dans la crise de la politique. Ensuite, avec l’engagement des formations parlementaires républicaines d’utiliser les ressources de l’article 89 de l’actuelle Constitution qui donne « aux membres du Parlement » l’initiative en matière de révision. Ce serait une bonne manière d’exploiter ce que la Constitution de 1958 conserve d’irréductiblement parlementaire. Elles pourraient s’accorder dès lors pour qu’une proposition soit déposée et adoptée par une « majorité d’idées » dans les deux Chambres avant d’être soumise à référendum. Sans doute la bataille sur le contenu du projet sera rude, mais elle sera de nature à offrir une perspective rassurante à tous ceux qui ne supportent plus l’installation des élites dans l’aventure et l’irresponsabilité. Le 4 novembre 1965 le général de Gaulle abordait la campagne pour la première élection présidentielle au suffrage universel direct en ces termes : « Que l’adhésion franche et massive des citoyens m’engage à rester en fonction, l’avenir de la République nouvelle sera décidément assuré. Sinon, personne ne peut douter qu’elle s’écroulera aussitôt et que la France devra subir ¬ mais cette fois sans recours possible ¬ une confusion de l’Etat plus désastreuse encore que celle qu’elle connut autrefois. »

Alors qu’il n’y a plus de personnalité adéquate à ce régime dont la nouveauté est entièrement épuisée, il y a, par un étrange paradoxe de l’histoire, une actualité de ces propos gaulliens et la même nécessité de choix entre une nouvelle République ou le chaos.

par Paul ALLIES

professeur de science politique à l’université de Montpellier-I, vice-président de la Convention pour la VIe République.

Paru dans Le Monde


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