Faut-il réformer le système des retraites ? Doit-on travailler plus longtemps ? La réforme du gouvernement Philippe est-elle un progrès ? On a causé avec l’économiste Bernard Marx.
Regards. Le Premier ministre a détaillé le projet de réforme des retraites ce mercredi 11 décembre. Avant d’en venir au contenu, est-ce qu’une réforme de notre système actuel se justifie aujourd’hui ?
Bernard Marx. Oui mais pas celle-là. Le système actuel des retraites reste malgré les réformes accumulées depuis trois décennies l’un des meilleurs du monde, si on prend comme critères l’âge moyen de départ à la retraite, le niveau de vie moyen, le taux de pauvreté, ou la part de la retraite par capitalisation qui est l’une des plus faibles du monde. Mais, après des décennies de réformes qui ont réduit les droits, le système actuel reproduit trop largement les inégalités sociales subies dans la vie active, notamment face à l’espérance de vie. De plus le nombre de retraités va augmenter de 25% d’ici à 2050 et le fonctionnement des règles actuelles entraînerait une dégradation de la situation des retraités. Une réforme serait donc nécessaire. Mais pas celle que le gouvernement entend arracher coûte que coûte, comme l’a confirmé le discours d’Edouard Philippe. Celle-ci vise avant tout à obtenir que la part des retraites publiques dans le revenu national n’augmente pas. Le système par points est destructeur des solidarités. Il faudrait au contraire les renforcer et ne pas accepter que la part des revenus du travail (actifs et retraités) soit sans cesse restreinte.
Avec ce projet de réforme, s’il n’y a pas d’accord préalable entre les partenaires sociaux, le gouvernement fixera l’âge de départ à la retraite à taux plein à 64 ans. Cette idée selon laquelle parce que l’on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps, va-t-elle de soi ?
Le gouvernement prétend qu’il ne touchera pas à l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans. Mais, dès 2027, pour partir à la retraite sans décote, c’est-à-dire sans abaissement de pension, tout le monde devra attendre 64 ans, même celles et ceux qui auront une carrière complète. On a bien affaire à une attaque contre tous les salariés et pas seulement contre les « privilégiés » des régimes spéciaux. Est-ce néanmoins légitime parce qu’on vit plus longtemps ? Non. Pour au moins trois raisons : l’ampleur du chômage, du sous-emploi, de la précarité à l’approche de l’âge de la retraite ; la vie en bonne santé tend à stagner, ce qui montre que beaucoup travaillent déjà trop longtemps ; et enfin, parce que l’apport des retraités à la vie commune doit pouvoir se développer.
Cette réforme met un terme au système de retraite par trimestre en mettant en œuvre un système par point. Le gouvernement veut garantir la valeur du point dans la loi. Il entend mettre en place une « règle d’or » qui devrait empêcher toute baisse de la valeur du point. Peut-on être sûr que le point ne baissera jamais ?
Non. Au contraire. Le système par points fonctionne avec deux valeurs du point. D’abord dans le sens combien de cotisations vaut chaque point. Et ensuite au moment de la liquidation de la retraite en sens inverse, combien de revenus pour chaque point obtenu. On peut très bien avoir une indexation de la valeur du point dans un sens mais pas dans l’autre. A quoi s’ajoutent les règles d’évolution des pensions une fois qu’on a pris sa retraite. L’indexation sur les salaires et même sur les prix n’est pas garantie. Actuellement les régimes complémentaires qui fonctionnent aux points ne garantissent pas du tout une triple indexation de la valeur du point. Edouard Philippe a annoncé que les partenaires sociaux fixeraient la valeur du point sous le contrôle du gouvernement et avec un encadrement annuel par le parlement. Comme pour l’évolution des dépenses pour la santé et les hôpitaux. Bref, il n’y a aucune garantie d’indexation.
Désormais, chaque heure travaillée ouvrira à un droit acquis. Un euro cotisé donnera accès aux mêmes droits à tous. C’est un progrès ?
Non. Cela reproduit les inégalités de revenus d’activité dans les droits obtenus. Aujourd’hui les pensions du régime de base sont calculées sur les 25 meilleures années. Cela permet d’éliminer les mauvaises années, quand il n’y en a pas trop. Et cela favorise celles et ceux qui ont eu une carrière ascendante. De plus il y a des règles de solidarité pour faire en sorte que le taux de remplacement des bas salaires soit plus élevé que celui des cadres. Avec le système par points, les seuls vrais bénéficiaires seront celles et ceux qui auront une carrière stable à haut niveau de salaires. C’est une réforme très typée du point de vue social. Certes, Edouard Philippe dit qu’il y aura des « bonifications ». Mais telles qu’annoncées, elles seraient moins protectrices qu’aujourd’hui y compris pour les femmes. En fait, c’est une réforme de régression des solidarités sociales et d’individualisation accrue des comportements.
Jusqu’à 120.000 euros de salaire annuel, tout le monde cotisera au même taux. Au-delà, les cotisations seront plus élevées. C’est le volet justice sociale de ce projet de réforme ?
Le rapport Delevoye de juillet prévoyait le contraire. Au-delà de 120.000 euros de salaire annuel le taux de cotisations était limité à 2,8%. En contrepartie, il n’y aurait pas eu de points versés. Cela voulait dire en fait qu’à partir de ces niveaux, les salariés ne contribueraient pratiquement plus au financement collectif des retraites. Autant d’argent économisé pour souscrire individuellement à des fonds de retraites par capitalisation. Si le gouvernement inversait vraiment la mesure et augmentait le taux de cotisations et diminuait donc la valeur du point à partir de ce niveau de salaires, ce serait positif. Mais, je demande à voir. Mais, cela ne changerait pas le contenu général de sa réforme.
Propos recueillis par Pierre Jacquemain
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