80 ans de combat pour la contraception

mardi 12 juin 2012.
 

« Sera puni d’un mois à six mois de prison et d’une amende de 100 à 5 000 francs quiconque, dans un but de propagande anticonceptionnelle, aura décrit ou divulgué ou offert de révéler des procédés propres à prévenir la grossesse » : adoptée par une chambre « bleu horizon » (c’est-à-dire de droite) pour lutter contre la dénatalité après la Première Guerre mondiale, la loi de 1920 ré-prime strictement la propagande anticonceptionnelle et l’avortement. Préservatifs masculins et féminins (pessaires) disparaissent immédiatement des pharmacies. Certains militants néomal-thusiens feront jusqu’à cinq ans de prison. Contrairement à ce que laisse penser leur nom, les néomalthusiens sont très loin de l’idéologie de Malthus, qui prônait la chasteté des pauvres pour éviter la surpopulation. Au contraire, souvent anarchistes, ils veulent limiter les naissances par des moyens contraceptifs pour favoriser l’émancipation sexuelle des femmes et pour priver l’État de garçons qui deviendraient de la chair à canon et de filles qui deviendraient de la chair à bourgeois dans les bordels. Dans les années 1930, le PS, puis le PCF, déposent des propositions de loi visant la liberté de la propagande anticonceptionnelle. Mais, dès 1936, le PCF défend une politique nataliste.

Militants laïques, néomalthusiens et féministes se battent contre la loi de 1920 jusqu’à la guerre, et certains se procurent illégalement des produits contraceptifs (spermicides, diaphragmes, préservatifs) en Grande-Bretagne, pour les mettre à disposition des femmes dans des dispensaires qu’ils ouvrent en France. Dans les années 1950, des scie-ntifiques d’autres pays mettent au point une forme bien supportée de stérilet, puis la pilule, mais ces méthodes restent inaccessibles aux Françaises. Lorsque Maria-Andrée Lagroua Weill-Hallé visite, en 1947, la clinique américaine de birth control de Margaret Sanger, elle revient en France afin de tenter de convaincre les médecins de son bien-fondé. Ses interventions sont bien relayées médiatiquement, notamment par Libération, sous la plume du journaliste communiste Jacques Derogy, ce qui lui vaudra d’être exclu du PCF.

Maria-Andrée Lagroua Weill-Hallé participe à la création, en 1956, de l’association La Maternité heureuse, avec des féministes, des francs-maçons et le mouvement protestant Jeunes femmes. Le nom - qui peut surprendre - a été choisi pour rassembler largement et éviter de choquer. Les statuts sont à l’avenant : l’association a pour but « l’étude des problèmes de la maternité, de la natalité, de leurs répercussions familiales, sociales et nationales ». Pour ses fondatrices, il s’agit d’espacer les naissances plus que de les limi-ter, et elles conçoivent la contraception comme un moyen d’éviter l’avortement, non comme un instrument de libération des femmes. Au début, la recherche d’informations sur les techniques contraceptives pratiquées dans d’autres pays l’emporte largement sur l’accueil du public. En 1960, l’association change de nom et devient le Mouvement français pour le planning familial (MFPF).

Planning familial

Plus radical, le groupe de Grenoble ouvre, en 1961, dans l’illégalité et contre l’avis de la direction nationale, le premier centre d’accueil du MFPF. Le succès est immédiat. L’équipe met au point une gelée spermicide et fait acheminer clandestinement des diaphragmes de l’étranger. Finalement convaincue par cette réussite, l’asso-ciation ouvre un deuxième centre à Paris, puis d’autres. Le MFPF se heurte à l’hostilité du PCF : « Depuis quand les femmes travailleuses récla-meraient-elles le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? », dit Jeannette Vermeersch. Cer-tains historiens pensent que le PCF a investi ce débat pour détour-ner les militants d’au-tres événements de 1956 (rapport Khrouchtchev, invasion de la Hongrie). Quant au conseil de l’Ordre des médecins, créé sous Vichy, il rejette la contraception et déclare, en 1962 : « Le mé-decin n’a aucun rôle à jouer en ce domaine. » L’Église catho-lique condamne toute technique contraceptive.

Principal acteur de la lutte, le MFPF revendique la modification de la loi de 1920 lors de son congrès de 1965, en pleine campagne présidentielle, et il interpelle les différents groupes parlementaires sur cette question. François Mitterrand est le premier candidat à se prononcer pour l’abrogation de la loi de 1920. Les tensions provoquées au sein du PCF par son rejet de la contraception et la popularité croissante du birth control poussent le PCF à revoir sa position en 1965.

Les diverses propositions de loi du PCF et du PS afin de modifier la loi de 1920 sont repoussées. Le Premier ministre, Michel Debré, est un nataliste forcené. De Gaulle déclare : « La pilule, c’est pour la gaudriole. La Sécurité sociale n’a pas plus de raison de rembourser la pilule que l’automobile. » Finalement, alors que s’accélèrent les ouvertures de nouveaux centres du Planning, le gouvernement ne tolère plus de ne pas contrôler la situation, et il se résout à lancer un débat parlementaire. Le député de droite Lucien Neuwirth défend la proposition de loi. Les amendements proposés par la droite soumettent la prescription de contraceptifs à l’accord du mari ou l’interdisent aux femmes qui n’ont pas deux enfants. Ils sont repoussés, et la loi est votée, en décembre 1967, à main levée, les députés refusant un scrutin public.

Remboursement à 100 %

Mais, pour les féministes, la victoire est miti-gée : la loi soumet l’activité des centres du Planning à l’agrément ministériel, elle soumet la délivrance de contraceptifs à une prescription par un médecin, elle prévoit un carnet à sou-ches pour la prescription contraceptive, elle exige le consentement des parents pour les mineures de moins de 21 ans, elle interdit toute publicité pour les techniques contraceptives. Enfin, la contraception a été défendue par Neuwirth, non comme un droit, ni comme un moyen de vivre sa sexualité librement, mais pour éviter les avortements : cette conception de la contraception et de l’avortement perdure aujourd’hui, comme en témoig-nent les cris d’alarme annuels sur le fait que le nombre d’avortements reste stable, malgré la diffusion de la contraception. Pourtant, contraception et avortement ne doivent pas être opposés car ils sont, à égalité, deux moyens d’éviter une naissance. Faute de signature des décrets, la loi ne sera applicable qu’en 1972. Il faudra attendre 1974 pour que la contraception soit remboursée, et... l’épidémie de Sida pour que soit abrogé, en 1991, l’article de la loi de 1920 sur la publicité pour les préservatifs ! En 2007, la lutte continue, car les franchises médicales prévues par le gouvernement vont encore augmenter le coût de la contraception pour les femmes, et certaines mé-thodes contraceptives ne sont toujours pas remboursées : préservatifs féminin et masculin, patch et anneau hormonaux, certaines pilules. De deux choses l’une : soit certaines ne sont pas meilleures que les autres, et les pouvoirs publics ne doivent pas autoriser leur commercialisation ; soit elles pré-sentent un intérêt, et elles doivent être remboursées à 100 %.

Maud Gelly


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message