Mort d’Al-Baghdadi : l’Etat islamique a toujours su par le passé survivre à la disparition de ses dirigeants

jeudi 7 novembre 2019.
 

Après la mort du « calife » autoproclamé samedi, le groupe djihadiste va devoir trouver une personnalité susceptible de maintenir sa cohésion sans sombrer dans des luttes de succession.

Le soulagement, mais nul triomphalisme en Syrie et en Irak, où la mort du chef de l’organisation Etat islamique (EI) a été accueillie avec prudence alors que les cellules clandestines du groupe djihadiste sont toujours actives et que le chaos provoqué par le retrait des forces américaines du Nord-Est syrien et par l’offensive militaire turque fait craindre une remontée en puissance de l’EI.

Si la mort de son chef laisse une organisation qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été les années précédentes, l’EI n’a jamais disparu depuis la perte de son territoire. Le groupe a toujours su par le passé anticiper et survivre à la disparition de ses dirigeants en attendant des jours meilleurs. Depuis le Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, tué en 2006, à Abou Omar Al-Baghdadi, mort en 2010, puis Abou Bakr Al-Baghdadi, tué dimanche.

La veille de la mort du « calife » autoproclamé, un responsable des forces antiterroristes kurdes de Syrie affirmait que, quel que soit l’état de décrépitude des capacités opérationnelles de l’EI, l’intervention turque en Syrie représentait pour les djihadistes une opportunité majeure.

Les premiers mouvements de regroupements de cellules dormantes de l’EI avaient déjà été enregistrés dans des régions périphériques afin de mener des attentats et des attaques ciblées contre les Forces démocratiques syriennes (FDS), l’alliance à dominante kurde qui contrôle de larges parts du Nord-Est syrien.

Côté irakien, c’est la déstabilisation de l’est de la Syrie avec, à la clé, l’ouverture du gigantesque camp de réfugiés et de détenus d’Al-Hol, où sont gardés des milliers de prisonniers et de membres de familles de l’EI, ainsi que des mouvements de populations marquées par un degré important d’affiliation à l’EI qui font craindre le pire.

« La question n’est pas de savoir si un nouveau conflit contre Daech va éclater, mais quand… », prévenait à la mi-octobre le général peshmerga kurde irakien connu sous le nom de guerre de Cheikh Ali et chargé de la frontière du Kurdistan autonome avec la Syrie : « Nous avons commencé à nous coordonner avec le gouvernement central qui a déployé de son côté des forces armées afin de bloquer la frontière. Ils sont très inquiets car ils savent qu’ils n’ont aucun moyen d’exercer un contrôle total au milieu du désert et que Daech a toujours des partisans dans l’ouest de l’Irak. »

Combler un vide

Reste pour le groupe djihadiste à trouver une personnalité susceptible de maintenir sa cohésion et de fédérer les différentes filiales nées de l’expansion de l’EI ces dernières années sans sombrer dans des luttes de succession. Il est d’ailleurs probable qu’Abou Bakr Al-Baghdadi ait désigné un successeur il y a un certain temps. Il devra pourtant combler un vide symbolique et religieux en se dotant d’un chef à même d’imposer sa légitimité sur la nébuleuse djihadiste.

Le porte-parole de l’EI et bras-droit d’Al-Baghdadi, Abou Hassan Al-Mouhajir, aurait lui aussi été tué dans le village d’Aïn al-Bayda dans le nord de la province d’Alep, près de la ville de Jarablous à la frontière avec la Turquie. Il a été la cible d’une opération « en coordination directe entre les renseignements des FDS et l’armée américaine », a annoncé dimanche le commandant en chef des FDS, Mazloum Abdi.

En 2014, l’EI avait proclamé Abou Bakr Al-Baghdadi « calife », en soutenant l’idée que sa famille, de la tribu des Badri, descendait directement de la lignée du prophète Mahomet, une condition indispensable. Nommera-t-il cette fois un « chef de guerre », comme il a pu le faire par le passé avant de proclamer Al-Baghdadi émir des croyants ? Ou restera-t-il dans la trame qu’il a ouverte à Mossoul en 2014 ?

Jusqu’ici, l’organisation a survécu à la perte de son « califat » territorial, qui n’a provoqué ni effondrement ni fractures. Le groupe a même lancé des campagnes d’attaques régulières en Irak comme en Syrie en renouant avec des tactiques insurrectionnelles qui ont signé sa montée en puissance dans les années 2000 en Irak.

Dans ce pays qui l’a vu naître, l’organisation se rétablit plus rapidement que ne l’anticipaient les services de sécurité. L’EI connaît parfaitement le terrain. La coalition soutenue par les Etats-Unis n’a pas cherché à sécuriser les zones d’où le groupe djihadiste a été expulsé après les combats et les forces de sécurité locales se montrent peu efficaces quand il s’agit de pourchasser les cellules dormantes de l’EI. Sans oublier les défis posés par la reconstruction physique des zones détruites et la gestion des séquelles et des traumatismes de la guerre.

L’organisation reste active au Yémen, aux Philippines, en Asie, et surtout en Afrique, où, de la Somalie au Nigeria, l’EI continue d’étendre ses ramifications. Contrairement à ce qu’avaient pu espérer les autorités des pays frappés par les filiales du groupe, celles-ci ont maintenu leur allégeance après la chute des bastions territoriaux du groupe en Irak et en Syrie. L’EI a créé et maintient une « marque » qui continue à attirer les plus radicaux et les plus sectaires, que les rivaux du réseau Al-Qaida, atomisé, ne parviennent plus à séduire.

Il est d’ailleurs significatif qu’Abou Bakr Al-Baghdadi a passé les derniers jours de sa vie protégé par des hommes issus d’un groupe proche d’Al-Qaida, que l’on pensait pourtant hostile à l’EI, et dans une région, le nord-ouest de la Syrie, d’où les partisans d’Al-Baghdadi avaient été chassés en 2014 mais où l’organisation est de retour.

Madjid Zerrouky et Allan Kaval


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