Du CPE à Clearstream : de pire en pire

vendredi 5 mai 2006.
 

La nouvelle crise est arrivée sans tarder. Quelques jours à peine après le retrait du CPE, l’affaire Clearstream prenait la suite des coups de bélier qui ébranlent à une fréquence de plus en plus rapide la Cinquième République agonisante. L’enchaînement des secousses a sa part d’accident. Mais celle-ci se réduit à l’accessoire à mesure que la crise s’emballe. L’essentiel, c’est la mécanique du pourrissement. Celle-ci domine tout et trouve à tout instant dans l’actualité de quoi se nourrir.

C’est comme une inondation. L’eau mène son travail de sape. Soudain un mur s’effondre. Le liquide jaillit brutalement. On ne peut pas savoir où exactement il va le faire. Puis il avale l’obstacle et vient heurter le mur suivant qui le retient un instant, retardant chaque fois moins longtemps sa progression inexorable. Pour prévoir la suite, il ne sert à rien de courir d’un mur à l’autre. Il faut comprendre l’engrenage qui organise l’ensemble.

Remontons un cran en arrière, au moment du CPE. Le pouvoir a voulu s’en sortir par le retrait d’un seul article d’une seule loi, après avoir été désavoué par les manifestations les plus massives qu’ait jamais connues le pays. Certains à gauche pensaient de même. La crise n’est que sociale, disaient-ils en refusant de demander la moindre sanction démocratique de l’équipe en place. Les mêmes, comme Emmanuelli ou Dray, demandent aujourd’hui le départ de Villepin ou le retour aux urnes. Je ne leur ferai pas l’affront de penser qu’ils préfèrent que la gauche arrive au pouvoir sur la base d’une affaire plutôt que d’un mouvement populaire. Notons seulement que le simple retrait du CPE ne permettait absolument pas de sortir de la crise et conduisait à reporter son dénouement en l’aggravant.

L’affaire Clearstream n’est sûrement pas le seul coup bas de cette guerre souterraine découlant de la crise de leadership à droite. Elle était dans les tuyaux depuis plusieurs mois. Les fait essentiels occupaient déjà quelques brèves en pleine mobilisation contre le CPE. Ce n’est donc pas un coup de tonnerre imprévu dans un ciel serein. C’est l’effondrement du pouvoir qui lui donne soudain sa force déflagratrice. Qui se souvient du détail de l’affaire Stavisky ? On sait seulement qu’elle a servi de révélateur et de détonateur à l’agonie des gouvernements interchangeables des années 30 qui allaient être balayés par le Front Populaire.

En refusant à chaque étape de répondre à la crise de la seule manière efficace qui soit, en se soumettant à la volonté du peuple, le pouvoir a aggravé l’état d’urgence politique du pays. En appliquant une politique néo-libérale brutale après le deuxième tour Chirac-Le Pen, en refusant de tenir compte des mouvements sociaux et électoraux de 2003 et 2004, en s’asseyant sur le vote du 29 mai, le pouvoir a préparé le climat délétère qui déferle aujourd’hui. Une constante se dessine de plus en plus nettement à mesure que la crise avance : chaque secousse produite par le mouvement populaire est suivie d’une seconde dans l’autre sens lorsque celui-ci se retire. Après le 29 mai, les banlieues, après le CPE, Clearstream. Les deux ailes marchantes de la radicalisation avancent à tour de rôle, comme les deux jambes d’un colosse : d’abord le mouvement porté par la gauche antilibérale, ensuite celui qui nourrit l’extrême droite. Entre les deux, sorti de la sphère médiatique, il ne se passe rien qui entraîne la société : le centre brille par son incapacité à peser sur les événements et se contente de refléter le « juste milieu » d’une course de vitesse qui le dépasse.

Projetons-nous donc maintenant un cran en avant. La sortie d’un tel état d’urgence politique ne peut être que radical : il faut rompre avec les institutions de la Ve comme avec le cours libéral qui domine les politiques européennes. Elle se construira dans la politisation et l’implication populaire qui croissent à mesure que la crise se concentre et se charge en contenu politique. L’avenir n’est donc ni au blairisme tranquille ni à la fin des idéologies. Le moment n’est pas celui de la blog-gouvernance. L’élection de 2007 prendra la suite d’une demi-douzaine de scrutins hors norme. Le 29 mai 2005, le peuple populaire est descendu dans les urnes : il ne va pas retourner comme cela à l’abstention. Si cela devait se produire faute de débouché politique, cela aurait d’autres conséquences qu’en période de démobilisation civique. La question n’est donc pas de savoir si le fleuve déchaîné va rentrer dans le lit bien droit d’une présidentielle préfabriquée qui éviterait les débats essentiels. Il est de savoir au profit de qui se produira le prochain choc.

(éditorial de François Delapierre paru dans A Gauche du 2 mai 2006)


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