La bonne surprise : le programme des gilets jaunes

vendredi 7 décembre 2018.
 

En quelques heures et plusieurs documents, le mouvement des gilets jaunes a franchi bien des étapes. Il a affirmé sa radicale nouveauté autant dans la composition et la forme de sa mobilisation que dans le contenu de ses revendications. Du mythe d’un mouvement piloté par l’extrême droite, il ne reste rien à la lecture des cahiers de revendications que nous avons reçus. Texte en main il n’y a aucune trace des obsessions anti-immigrés et anti-étatique de l’extrême droite habituelle. Et rien non plus de l’indifférence écologiste qui lui était reproché.

Tout un monde de réticence méprisante s’effondre devant ces documents autant que devant une mobilisation dont l’endurance, la ténacité et le programme donnent une leçon à tous ceux qui lui faisaient la leçon de loin et de haut. À présent le mouvement a gagné une hégémonie de consentement qui se lit dans les sondages d’adhésion à son action. Ce niveau signe une déroute totale du plan d’usure et de ras-le-bol que menait le gouvernement.

Ce fut notre constat mercredi soir quand nous avons reçu un courrier bien spécial à l’Assemblée nationale. C’était le document listant les revendications émanant de citoyens ayant part au mouvement des gilets jaunes. Sa lecture montre à quel point les demandes populaires exprimées dans le mouvement dépassent maintenant la baisse des taxes sur les carburants. Au fond, celle-ci a fonctionné comme un déclencheur d’aspirations bien plus larges. Deuxième constat troublant pour nous : la quasi-totalité des revendications listées recoupent les propositions du programme de la France insoumise, L’Avenir en commun.

Pour rappel, ce programme avait été élaboré en amont de la campagne présidentielle de 2017 en partant de contributions citoyennes recueillies sur la plateforme et de nombreuses auditions d’associations spécialisées. Associations qui avaient ensuite classé notre programme comme le meilleur dans de nombreux domaines. Ce programme n’était donc pas une collection de mesures imaginées par des technocrates comme dans les partis traditionnels mais le résultat d’une production de la société elle-même et nous en avons été les porte-paroles.

C’est comme cela que je m’explique cette coïncidence quasi complète avec le cahier de revendications déposé par les gilets jaunes. Je pense aussi qu’on y trouve un écho de notre travail de conviction pendant et après la campagne. À partir de là, une autre coïncidence doit se constater plus évidente. Sans surprise, ces revendications se retrouvent donc également dans un grand nombre d’amendements portés par les députés de la France insoumise depuis leur élection. Nous les avons égrenées au fil des débats. Ce qui signifie que l’ensemble de l’Assemblée a déjà eu l’occasion de s’exprimer dessus. Non seulement il y a eu des débats mais des votes. Tous ont été systématiquement rejetés par la majorité En Marche. Je vais donner des exemples significatifs.

Sur la justice fiscale, les gilets jaunes demandent, outre l’annulation de la hausse des taxes sur le carburant contre laquelle nous avons voté, « la progressivité de l’impôt avec plus de tranches ». Un amendement de la France insoumise instaurant 14 tranches pour l’impôt sur le revenu a été rejeté dès le 13 octobre 2017. Les gilets jaunes demandent concernant les entreprises que « les gros (MacDo, Google, Amazon, Carrefour) payent gros et que les petits (artisans, TPE/PME) payent petit ». C’est précisément ce que proposait l’amendement de la France insoumise qui demandait la progressivité de l’impôt sur les sociétés en fonction du montant des bénéfices. Il a été rejeté par la majorité macroniste le 11 octobre 2018. Parmi les revendications, on trouve aussi l’annulation du prélèvement à la source : encore proposé par la France insoumise lors de la séance du 29 novembre 2017. Je n’ai pas fini. Je vais donner d’autres exemples encore.

Sur la justice sociale, les gilets jaunes demandent le « bien-être pour les personnes âgées ». Nous avons proposé, sans succès, en novembre 2018, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qu’une contribution des actionnaires permette de financer les recrutements massifs dont ont besoin les EHPAD. Leur document met aussi en avant la revendication d’un encadrement des loyers trop chers. C’était précisément l’objet d’un de nos amendements dans le cadre de la loi sur le logement passée à l’Assemblée en mai 2018.

Pour changer le modèle économique, les gilets jaunes proposent la fin du CICE ou la renationalisation des autoroutes, des aéroports et l’interdiction de privatiser les barrages. Toutes choses qui ont été défendues encore une fois par les députés insoumis dans le cadre de la loi de finances pour 2018. On trouve aussi la revendication de cesser « de rembourser les intérêts de la dette qui sont illégitimes ». Une proposition un peu plus radicale que notre amendement discuté dans le cadre du dernier projet de loi de finances qui demande un audit sur la dette, dans le but d’en déclarer une partie illégitime. L’interdiction du travail détaché, réclamée aussi, sera prochainement l’objet d’une proposition de loi que je défendrai avec Danièle Obono lors de notre prochaine niche.

Du côté de l’emploi, on trouve la même adéquation entre les aspirations exprimées dans le document et notre travail parlementaire. « Retour au CDI comme la norme » demandent les gilets jaunes. Nous avions proposé des quotas maximums de CDD par entreprise : 5% pour les grosses et 10% pour les PME. Rejeté par les députés macronistes le 21 septembre 2018. Lors de la même séance, les mêmes avaient voté contre notre amendement pour limiter les écarts de salaires de 1 à 20 au sein d’une même entreprise. Les gilets jaunes, plus ambitieux, proposent eu un salaire maximum à 15 000 euros par mois. Et si nous ne pouvons pas demander la hausse du SMIC à l’Assemblée, puisque la décision n’est pas de son ressort, néanmoins notez que cette proposition figure bien dans l’Avenir en Commun à 1326 euros nets, soit quasiment la proposition que font les gilets jaunes avec 1300 euros demandés.

Concernant l’écologie, les gilets jaunes seront heureux d’apprendre que ceux qui leur administrent des leçons de morale ont voté contre un amendement des insoumis qui voulait instaurer une taxe sur les transactions immobilières de plus d’un million d’euros pour financer la rénovation des passoires thermiques. Évidemment, les macronistes ont aussi refusé d’annuler les avantages fiscaux sur le carburant des avions ou l’arrêt de la construction des grandes surfaces commerciales à la périphérie des villes. Deux propositions que l’on retrouve dans les revendications des gilets jaunes comme dans le travail d’amendement parlementaire des insoumis.

Sur l’immigration, on peine à reconnaitre l’influence de l’extrême droite dans ce document. Le document des gilets jaunes est positionné sur les lignes de force défendues par le groupe Insoumis. Il propose, comme nous « que les causes des migrations forcées soient traitées ». Il demande que « les demandeurs d’asile soient bien traités ». Comme le réclamaient notre amendement pour la création de centres d’accueil aux normes internationales, défendu lors de la discussion sur la loi asile et immigration. Enfin, les gilets jaunes veulent que la Patrie fasse des efforts pour intégrer les nouveaux arrivants. C’était aussi notre idée lorsque nous avons demandé, toujours au moment de la discussion sur la loi asile et immigration, la mise en place d’ateliers de sociolinguistique dédiés.

Lors du débat sur la prétendue loi de moralisation de la vie politique, débattue à l’été 2017, nous avions proposé la fin des avantages indus pour les anciens présidents de la République. Une mesure contre la monarchie présidentielle que l’on retrouve dans le document qui nous a été adressé. Surtout, les gilets jaunes insistent sur une mesure de récupération du pouvoir pour le peuple : le référendum d’initiative populaire. Cela faisait partie de nos amendements phares lors de la discussion sur la révision constitutionnelle. Nous l’avions proposé sous sa forme nationale et locale, pour proposer une loi, abroger une loi ou révoquer un élu. Tout cela a été balayé d’un revers de la main par les députés automates qui ne pensaient à l’époque qu’à adopter en vitesse le projet de leur chef.

Je ne peux faire ici la liste de toutes les concordances car il y en a trop. Vous pourrez en trouvez une plus exhaustive sur le site de la France insoumise. Mais cette situation est pour nous comme un test réussi. La théorie de la révolution citoyenne est la seule qui ait prévu des évènements du type de celui que nous vivons. Elle annonce un acteur nouveau : le peuple. Elle le définit socialement comme ceux qui doivent se battre pour accéder aux réseaux qui rendent la vie possible et qui se mettent eux-mêmes en réseau pour cela. La théorie décrit la place particulière de l’auto-organisation et de l’autonomie des mouvements populaires de masse dans leur phase révolution citoyenne.

Voilà pourquoi pour nous, le respect absolu de cette auto-organisation et de cette autonomie est la condition de son enracinement de masse. Dès lors, je veux dire que les revendications des gilets jaunes ne sont pas « fantaisistes » ou « impossible à satisfaire » comme on peut le lire dans certains journaux ou l’entendre sur certains plateaux. La mise en œuvre de ce programme serait une formidable action de relance de l’activité, donc de l’emploi et des revenus des familles. Nous sommes capables de le faire. C’est sans doute la volonté d’éliminer une alternative sérieuse qui explique l’acharnement que l’on constate contre nous. Elle ne peut aboutir dans le contexte actuel de mobilisation sociale. La dynamique des évènements va réduire encore la base du pouvoir macroniste. Elle peut aussi produire des alternatives politiques spectaculaire. Nous prenons les devants en ouvrant toutes les voies de sortie par le haut qui permettent une issue positive a cette situation.

C’est le sens de la proposition de motion de censure que nous portons avec les communistes devant le Parlement. Mais c’est aussi le sens de la proposition que les barrages se constituent en assemblées citoyennes pour faire leur cahier de doléances et élire leurs propres délégués. Au total, à mes yeux, c’est une révolution citoyenne qui est commencée. Elle se cherche parce qu’elle est totalement neuve dans sa composition comme dans ses objectifs et ses méthodes. Mais ce qui est certain, c’est que toutes les analyses qui veulent la traiter avec les anciens critères de référence ne peuvent que se briser sur une réalité dont les développements lui échapperont sans cesse.


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