"Malheur aux pauvres"

mercredi 3 mai 2006.
 

L’égalité est l’une des trois devises républicaines, elle se situe sur le fronton de chaque mairie... Malheureusement cette égalité, affichée et défendue est rarement une réalité.

La Justice a toujours été une justice de classe, c’est une évidence que personne ne peut nier...

En dehors de la simple question de la défense et de la possibilité ouverte à certains et pas à d’autres de s’offrir de grands avocats, il y a celle du rouage même de cette justice, des procureurs et des juges face à telle affaire...

Jacques Vergès, avocat de renom est souvent décrié, notamment dans le choix des causes qu’il défend...Comme si tous les accusés n’avaient pas le droit à une défense digne de ce nom !

Ici, dans ce livre, sans faiblesse ni artifice il nous explique, preuves à l’appui que la justice n’est pas la même pour tous, le « malheur aux pauvres » n’est pas simplement un titre plein mais une réalité hier et encore plus aujourd’hui.

« Il y a deux types de voleurs. Il y a deux types de procédure » Pour les pauvres, sans papiers, immigrés, adolescents abandonnés, la justice ne fait pas de détails, elle est expéditive :

« Tous ou presque, moins de quarante-huit heures après leur arrestation, vont en prison »... « des peines de prison ferme à purger immédiatement. Parfois trois mois dans une cellule pour un vol de baladeur. » ! Les autres, hauts fonctionnaires, politiciens, industriels, vénérables notables, « Tous ou presque, échappent à la police »...Quand enfin certains juges, intègres et courageux décident de poursuivre les contrevenants même riches et puissants, la machine se grippe.

Rappelez vous de l’affaire des frégates à Tawain : les juges allaient enfin découvrir la vérité et punir les coupables... « Alors, l’Etat est intervenu au nom du secret défense pour empêcher les juges de découvrir dans la poche de qui les faramineuses commissions avaient fini de tomber. »

La loi du silence est de mise, cinq acteurs de cette affaire lucrative trouveront une mort suspecte ... « Ces cadavres intrigants, qui balisent le cheminement de l’affaire des frégates, laissent entrevoir la violence et la fermeté des moyens employés pour conserver le secret. »

Malheur aux pauvres ! Pas de pardon pour eux, pas de défense réelle, une « justice » implacable et brutale, on se retrouverait presque à la période noire décrite par Victor Hugo dans les « Misérables »...

Avec le talent que nous lui connaissons, Jacques Vergès décortique certaines affaires récentes pour dévoiler la nature même de cette justice.

Ce livre est passionnant, il fait comprendre aux quelques personnes encore sceptiques que le slogan crié dans certaines manifestations : « Police partout, Justice nulle part » est le reflet de la réalité.

Aujourd’hui comme hier, la justice reste de classe.

C’est ainsi, comme le raconte Paul Vergès que Raoul Villain, l’assassin de Jaurès sera acquitté le 29 mars 1919 alors que l’anarchiste Emile Cottin qui n’a fait que blesser Georges Clémenceau est condamné à mort. Cottin ne sera pas exécuté grâce à l’intervention de l’un de ses avocats rappelant au « Tigre » qu’il s’était prononcé contre la peine capitale...mais ce n’est que de justesse.

Dans ces deux procès, il y a clairement deux poids, deux mesures. La bourgeoisie n’oublie pas que Jaurès s’était prononcé contre la guerre et que Clémenceau, est, lui, « le persécuteur des pacifistes et des révolutionnaires, de tous ceux qui espéraient en une paix de compromis, une « paix blanche » qui eût arrêté le bain de sang. »....

Ce livre de Jacques Vergès est à la fois une analyse et une leçon de choses... C’est une œuvre qui mérite plus que le détour.

Jean-François CHALOT (dans Repère n° 102)


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message