LAICITE À Rome, Emmanuel Macron se rêve en fils aîné de l’Église

mercredi 4 juillet 2018.
 

Après son discours aux évêques de France, en avril, le président de la République est reçu aujourd’hui au Vatican. Cette rencontre prend un relief particulier pour le chef de l’État, soucieux de nouer un lien fort avec l’électorat catholique.

La rencontre ce mardi entre le pape et Emmanuel Macron, officialisée la semaine dernière, sera doublée d’un épisode peut-être moins médiatique que l’audience papale, mais tout aussi important aux yeux du chef de l’État, qui n’a de cesse de renouer avec les catholiques. Le président de la République sera fait premier et unique chanoine honoraire de la basilique Saint-Jean-de-Latran, cette «  cathédrale du pape  » qui marque pour les chrétiens la France comme «  fille aînée de l’Église  ». La tradition commencée depuis Louis XI sied parfaitement à un Macron soucieux d’inscrire le pays dans cette longue histoire – et de s’en faire l’héritier naturel. Ce matin, il assistera à une célébration liturgique, comprenant une prière et la lecture d’un texte biblique, avant de prendre possession de sa stalle (virtuelle) dans la chapelle Colonna. Il rencontrera ensuite la communauté catholique française réunie dans le palais attenant à Latran.

Si son prédécesseur François Hollande n’avait pas formellement refusé le titre, proposé à chaque président de la République, il n’en avait pas formellement pris possession, tout comme Georges Pompidou et François Mitterrand.

Sollicité par le chapitre de Latran en novembre 2017, Emmanuel Macron avait répondu par la positive dans une lettre, en laissant entendre qu’il viendrait prendre possession de son titre lors d’un prochain déplacement à Rome. Le président a cependant attendu un an avant de sacrifier à la tradition, tandis que Nicolas Sarkozy, catholique revendiqué, l’avait fait six mois après son entrée en fonction. C’est à cette occasion d’ailleurs que l’ancien président de la République avait suscité la polémique en tenant des propos très peu laïcs, exprimant entre autres que «  un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent  », ou que «  dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur  ». Pour Emmanuel Macron, après son discours appuyé envers les catholiques devant les évêques de France réunis le 9 avril dernier, nul doute que le décorum et la solennité de la basilique romaine, siège de l’évêché de Rome, servent son dessein de resserrer le «  lien abîmé  » entre l’Église et l’État, selon lui, et «  qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer  », avait-il lâché, suscitant la polémique.

Le titre de chanoine rompt avec la neutralité du statut de président

Ce souci est évident sur les questions sociétales. Le chef d’État s’est ainsi fait plus conservateur que le candidat. Emmanuel Macron, qui durant la campagne avait qualifié de «  discrimination intolérable  » l’interdiction faite aux couples lesbiens et aux femmes célibataires d’accéder à la PMA, s’est fait depuis muet en public sur la question, demandant au préalable de disposer du rapport du Comité national d’éthique avant toute décision politique. C’est chose faite depuis un an tout juste, quand le CCNE rendait le 27 juin 2017 un avis prudemment positif sur la PMA, tout en soulignant qu’il avait été acquis par les deux tiers des membres, au terme d’un débat difficile. Le rapport de synthèse publié début juin nuance toutefois cet avis. Reste qu’une cinquantaine de députés de sa majorité ont publié fin mai une tribune pour lui rappeler que la PMA est «  un acte d’égalité  ». Le Défenseur des droits et le Haut Conseil à l’égalité sont sur la même ligne, l’opinion également. Pourtant, Emmanuel Macron évite encore le sujet, et fera face à un pape François qui, dans la lignée de ses prédécesseurs, proscrit l’insémination artificielle, même intraconjugale, et toute forme de fécondation in vitro, tandis que la GPA est vue par les évêques français comme «  une forme de traite d’êtres humains  ».

Si lui-même considère la foi comme devant relever de l’intime, il n’oublie pas sa période «  mystique  », comme il l’affirmait dans un entretien à l’Obs en février 2017, racontant avoir demandé, à l’âge de 12 ans, à être baptisé. Il parle volontiers de la «  transcendance  » du pouvoir, ainsi qu’il l’écrivait dans son livre Révolution en 2016  : «  Un président (…) porte aussi, de manière moins visible, tout ce qui dans l’État transcende la politique.  » Anticipant les potentielles critiques sur une nouvelle atteinte à la laïcité, l’Élysée a insisté sur le fait que cette cérémonie n’aurait «  aucune dimension spirituelle mais une signification honorifique et historique  ». «  Chanoine n’est pas un titre religieux mais laïc (...) il n’y a pas d’enjeu de laïcité  », explique son entourage. Pourtant, accepter le titre de chanoine rompt avec la neutralité que devrait s’imposer un président de la République française, estime au contraire François Cocq, coauteur du livre la Laïcité pour 2017 et au-delà, de l’insoumission à l’émancipation. Pour le président de l’Association pour la gauche républicaine et sociale, «  si la France n’a pas à renoncer à son Histoire, la République n’a pas à endosser les héritages qui entrent en contradiction avec son principe d’organisation politique et sociale que représente la laïcité  ».

Macron tient à flatter l’Église et l’électorat catholique

Or, Emmanuel Macron se situe aux antipodes d’une telle conception. Devant les évêques, il avait tenu à flatter l’Église de deux manières. D’abord, en se dissociant de Hollande, accusé d’avoir réduit, avec les débats sur le mariage pour tous, la communauté des chrétiens «  au rang de minorité militante contrariant l’unanimité républicaine  ». Puis en se distinguant d’une droite qui aurait selon lui «  surjoué l’attachement aux catholiques, pour des raisons qui n’étaient souvent que trop évidemment électoralistes  ». Échappe-t-il lui-même au reproche électoraliste avec cette visite à Rome surchargée de spiritualité  ? Surtout quand son ministre de l’Intérieur – et des Cultes –, Gérard Collomb, ne trace pas un trait d’égalité entre les religions quand il affirme, comme en novembre 2017, «  nous voulons que les musulmans se sentent fiers d’être français, fiers d’appartenir à la nation  », plaçant sur le même plan la foi, qui relève de l’intime, et la nationalité, qui relève de la construction d’un peuple.

Lionel Venturini, L’Humanité


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