Table ronde. Qu’est-ce que le macronisme  ?

samedi 4 novembre 2017.
 

Avec les contributions de Pierre Serna, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, Jérôme Sainte-Marie, politologue, président de PollingVox et André Chassaigne, député communiste, président du groupe GDR à l’Assemblée nationale.

Le président de la République a construit sa victoire électorale sur une promesse «  de nouveauté  » et de «  confiance en l’avenir  » . Que révèle la Révolution française sur l’imposture d’Emmanuel Macron  ?

Pierre Serna En tant qu’historien du politique, je me situe assez loin du XXIe siècle, mais il se trouve que la Révolution française, et plus particulièrement après l’élimination de Robespierre, ce qu’on appelle le moment thermidorien, puis ensuite la République directoriale, parle beaucoup à l’actualité. C’est ce moment où la bourgeoisie veut prendre le pouvoir, sortir le peuple du processus révolutionnaire et va designer la gauche de l’échiquier politique comme des «  buveurs de sang  », «  des terroristes  ». L’astuce de cette bourgeoisie, c’est de dire nous ne voulons pas d’«  extrêmes  ». Ils veulent une «  République du juste milieu  », vidée de citoyens trop politisés. En travaillant sur cette période-là, j’ai pu me rendre compte de trois phénomènes. Les mêmes qui avaient soutenu Robespierre, sentant le vent tourner, ont bien vite retourné leur veste. C’est là qu’on commence à parler de girouettes, qui vont de pair avec la naissance de l’État, qui cherchent de bonnes places, sous la République du directoire, et encore plus sous Bonaparte avec sa fascination pour le pouvoir politique et policier. Ensuite, pour exclure le peuple de la politique, il faut le catégoriser, le naturaliser, l’essentialiser. On raconte alors que ce peuple pas assez éduqué, pas assez politisé, que ce peuple-là est plus proche de sa fonction animale qu’humaine. En 1795, une politique de répression violente contre les ouvriers se met en place. On ne veut plus d’eux car ils sont colère, parce qu’ils crient, ils manifestent. Loin de la perception de la politique entre les gens du «  juste milieu, «  ces bonnes gens  », ces bourgeois au discours «  modéré  ». La «  modération  » devient la norme. Enfin, en 1789, lorsque les députés ont fait la révolution, c’était pour mettre la loi, le législateur, l’Assemblée nationale au cœur de la vie politique. Eux, ces modérés, vont vouloir amenuiser le rôle de l’Assemblée nationale au profit du pouvoir exécutif. Donc, ces gens-là, avec leur rhétorique de modérés, ces girouettes vont essayer de transformer les institutions de la République en un pouvoir exécutif très fort. C’est ce que j’ai défini l’extrême centre.

Comment qualifiez-vous l’espace politique investi par le nouveau président de la République  ?

Jérôme Sainte-Marie Il faut rendre hommage à l’intelligence, à la cohérence du projet macronien. C’est un projet global le macronisme, d’un point de vue sociologique et idéologique. Sur la sociologie, on essaie de nous raconter que le macronisme est porté par des émotions positives alors que la réalité est beaucoup plus prosaïque. On n’a jamais vu depuis les années 1970 et le référendum européen de 2005 un tel vote de classe. Les catégories les plus favorisées se sont retrouvées autour de la candidature Macron, devenu le candidat organique de cette bourgeoisie, avec un vote très important parmi les cadres et les personnes dotées de patrimoine. Son projet idéologique global s’est construit autour de valeurs libérales réunifiées. Économiques. Mais également culturelles. Il tente en effet de constituer un bloc historique, élitaire, en rassemblant les libéraux, les «  réformateurs de gauche et de droite  » que de vieilles querelles avaient divisés. Avec Macron, ils ont trouvé les moyens de se rassembler pour imposer de violentes réformes au pays. Mais depuis quelques semaines, on constate que ce bloc reste minoritaire dans ce pays.

Dans votre ouvrage (1), vous affirmez que cette victoire d’Emmanuel Macron se serait construite sur un socle de dépolitisation…

André Chassaigne Pour moi, il y a eu le vote d’UNE classe. Et pour que la classe dominante puisse avoir les rênes du pouvoir et engager très rapidement, avec une terrible brutalité, le programme que la finance attendait, il fallait une dépolitisation des citoyens. En focalisant l’attention électorale sur une personnalisation à outrance du pouvoir, Emmanuel Macron a obtenu sa victoire grâce à une campagne qui n’a pas abordé les sujets de fond, et laissé croire que dans ce pays on pouvait être «  des deux côtés de la barricade  » et qu’en quelque sorte les mesures préconisées répondraient aux urgences du pays. Il existerait un pays d’«  extrêmes  », et l’autre qui veut réussir, qui se placerait du côté de la modernité. L’objectif de mon livre était de détricoter son programme pour montrer sa cohérence, qui n’est rien d’autre qu’une politique ultralibérale. Il faut donc s’adresser aux consciences et montrer comment toutes ces mesures, de la saignée des collectivités territoriales, à la casse de la protection sociale ou du droit du travail convergent vers un objectif ordo-libéral. Je suis nuancé sur l’idée d’un pouvoir en difficulté. Pour l’instant, ce sont les forces de l’argent qui ont gagné la guerre idéologique. Le macronisme, c’est donc l’amplification, sous des oripeaux de modernité, de tout ce qui a plongé la France et l’Europe dans une consanguinité idéologique, où la visée néolibérale supplante par défaut la défense du bien commun dans la conduite du pouvoir.

Pierre Serna Revenons à la matrice de notre régime, c’est-à-dire la Révolution française. Et le début de la République démocratique. Et j’insiste sur ces deux termes. Dès le début de la Révolution, on constate une captation par les élites, qui vont très vite confondre la République avec la «  res-publica  ». Eux seuls sauraient mener les «  affaires du pays  », sur le mode «  Faites-nous confiance et nous allons bien nous occuper de vous  ». En expliquant «  c’est trop compliqué, c’est bon pour les hauts fonctionnaires, les experts, les spécialistes de la fiscalité  »… Mais il existe dans cette révolution française, et c’est bien ce qui lui donne sa particularité, une dimension démocratique très importante. Un mouvement de politisation des «  petites gens  » tout à fait exceptionnel. On constate donc une répétition dans l’histoire de France, où dans les moments de crise, quand les élites veulent bloquer les moments de sève démocratique, elles empêchent le débat politique d’advenir. Ce fut le cas en 1795, après l’éviction de Robespierre, en 1799 avec le coup d’État de Bonaparte et la mise en place d’une République policière. En 1815, avec la terreur blanche. En 1830 et la révolution volée au peuple de Paris, puis en 1851, avec le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, en 1870, le massacre de la commune, mais aussi en 1940, lorsque les élites de la République abandonnent le pouvoir au maréchal Pétain, et en 1958, avec le coup de force militaire. Il existe donc une triste continuité dans cette histoire de France, les élites confisquant la démocratie, la politique, chaque fois que, dans des moments de crise politique, elles ont voulu accaparer le pouvoir.

André Chassaigne Ce coup d’État contre la démocratie que conduit Emmanuel Macron s’inscrit effectivement dans une continuité. Ce n’est pas au lendemain de son élection que cette politique a été mise en œuvre. Elle s’inscrit dans le travail de sape des quinquennats précédents, qui se sont évertués à couper les élus de la base du peuple. Toute la réforme territoriale, que ce soit le regroupement des régions, le transfert des compétences, la perspective de supprimer les communes en les regroupant, a pour objectif de rabougrir la démocratie locale. Évidemment, Macron donne une ampleur beaucoup plus forte à cette attaque antidémocratique en s’appuyant sur un discours populiste, quand il affirme par exemple qu’il y a trop de députés dans ce pays. Cela fait partie de ce que j’appelle une dérive monarchiste. Car, pour ceux qui resteront, il s’agit de leur couper les ailes, de leur retirer leurs moyens d’agir sur la fabrication de la loi, qu’ils veulent transférer au pouvoir exécutif. On nous dit «  ça discute trop, il y a trop d’amendements  »… mais c’est la sève démocratique, cela  ! Avec Macron, un texte législatif devrait être débattu uniquement en commission et l’affaire serait emballée  ! C’est une dérive très inquiétante. Le macronisme a réussi à laisser croire que les élus étaient de trop. Alors il utilise les ordonnances, fait voter une coquille vide que l’exécutif remplit ensuite. C’est très inquiétant pour l’avenir de notre démocratie.

Depuis l’annonce de ces premières mesures, Emmanuel Macron dévisse dans l’opinion. C’est le président de la République le plus impopulaire en début de quinquennat. Quelles sont les fragilités du macronisme et comment analysez-vous le rapport de forces politique en cette rentrée  ?

Jérôme Sainte-Marie Le projet macronien montre en effet une première fragilité. Pour mener à bien cette révolution libérale réclamée au niveau européen, sa base démocratique est très faible. Il ne recueille aujourd’hui que 32 % de popularité et il risque rapidement d’être ramené vers son électorat de premier tour. Au fur et à mesure des «  réformes  » autoritaires, une grande partie de la population va prendre conscience qu’elle sera perdante. Il est frappant de constater le caractère socialement diffus de la baisse de popularité présidentielle. Le coup de rabot budgétaire, qui atteint tous les ministères et par ricochet la plupart des catégories sociales, est aussi un coup de rabot dans l’opinion. On assiste donc à un rétrécissement de la base démocratique du pouvoir, au moment où il est ultradominant dans l’exécutif. Le risque existe aussi d’un durcissement du pouvoir inouï. On va vite s’apercevoir de la force que représente le contrôle de l’État. Je parie sur un durcissement du contrôle des médias, d’Internet. Nous nous dirigeons donc vers une phase un peu césariste. Si Emmanuel Macron n’arrive pas à retrouver une audience significative parmi les catégories populaires, il sera en grande fragilité, car le bloc élitaire qu’il a incarné au second tour de la présidentielle est en fait minoritaire dans le pays.

Sur son opposition, rappelons qu’il a réussi l’exploit de rassembler une bonne partie de la gauche  : 47 % des électeurs de Hollande en 2012 ont voté pour lui dès le premier tour. On a assisté lors de cette élection à une division historique de la gauche et on la retrouve aujourd’hui au Parlement. Sur le vote de confiance, le peu de députés socialistes qui restent ont choisi de s’abstenir. Ils reconnaissent dans Macron la continuité de leur travail  ! L’opposition, incarnée par le PCF et FI, est incroyablement faible. La vraie gauche alternative pèse 20 %, ce n’est pas avec cela que le macronisme sera entravé. Les gens qui haïssent cette gauche alternative que vous représentez, ce ne sont pas les catégories populaires qui pensent que la gauche les a trahies, ce sont ces électeurs de gauche, socialistes, appartenant à des catégories sociales élevées, qui ont voté oui au référendum européen de 2005, qui ne veulent plus des catégories populaires. Macron est arrivé avec un projet clés en main, c’est la commission Attali de 2008. Et il compte le mettre en place très vite. C’est pour cela que les mobilisations populaires actuelles vont être déterminantes sur le rapport de forces durant le quinquennat. Le macronisme, par sa radicalité, peut en produire une autre. C’est ce qui explique en partie le vote Mélenchon, qui a ramené vers le vote les jeunes et les catégories populaires. Il y a là une vraie dynamique qu’il faut savoir saisir.

Pierre Serna Les macronistes sont peut-être intelligents mais on n’est pas idiots non plus. Il existe aussi une véritable intelligence du côté des forces de progrès. Revenons encore à la Révolution, qui inventa la révolution municipale  : 36 000 communes qui ont créé la citoyenneté française, la République française. Macron, avec tout son discours de brouillage, qui donne l’impression d’être un humanisme, veut une seule chose  : décrocher, déconnecter notre histoire, le lien entre la dynamique de la Révolution et l’histoire de la République. Macron ne déteste pas que les petites gens, il déteste, comme tous les néolibéraux, l’idée de la révolution, ils veulent se convaincre qu’elle est terminée.

Mais qui aurait pu dire quelques mois avant que la Tunisie allait faire sa révolution  ? Il n’y a pas à être pessimiste face aux forces de l’argent. Il faut recommencer à redonner vie à la démocratie au niveau local, du quartier, à tous les niveaux les plus humbles. C’est là que se reconstruira la démocratie. Toute la politique de Macron ne fonctionne que sur la certitude que la victoire sera répétée dans cinq ans. On est loin de ce schéma-là.

André Chassaigne Le rapport de forces politique du quinquennat se joue aujourd’hui grâce, notamment, aux mobilisations sociales. Il faut travailler les consciences, expliquer les mesures mises en œuvre. Tout ce qui peut permettre d’amplifier la résistance doit être encouragé. La force de Macron, c’est la segmentation de sa politique (logement, protection sociale, droit du travail), qui frappe vite et fort. Comme une accumulation de coups de canon pour tenter de masquer la cohérence de son projet de démolition de notre socle social. Face à cela, il faut défaire cette illusion d’une France dont le seul horizon serait la grande compétition mondiale au service de la finance. Et démontrer, partout où nous le pouvons, des quartiers à l’Hémicycle, que nos propositions alternatives sur tous ces sujets dessinent d’autres possibles, solidaires et émancipateurs.

(1) «  Et maintenant, Monsieur le Président ?  » 10 interpellations à Emmanuel Macron, édition de l’atelier, 7 euros.

Entretiens croisés réalisés par Maud Vergnol, L’Humanité


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