Macronisme = confiscation du pouvoir + usage de godillots en conseil des ministres et assemblée nationale

lundi 12 novembre 2018.
 

Le grand assèchement

Lorsque demain les historiens se pencheront – une fois dissipées les brumes de l’actualité trop proche – sur la vie sociale et politique que traverse la France d’aujourd’hui, ils ne manqueront probablement pas de souligner à quel point majeur le macronisme aura magistralement et prestement vidé de sa substance le champ politique. En effet, par la grâce d’Emmanuel Macron la chose politique, qui ne se construit véritablement que dans l’action collective, n’est déjà plus. Après ce grand assèchement mortifère la reconstruction, à condition qu’elle soit possible, sera longue et difficile. C’est probablement du bas de la société que devra naître la nécessaire révolution sociale et écologique. Au sommet, le pourrissement est sans doute trop avancé pour qu’un sursaut puisse survenir de l’intérieur de ce qui est devenu un microcosme sourd et aveugle aux maux les plus criants de notre temps.

Le grand dessein du macronisme, au-delà du discours de façade teintés de grandiloquence républicaine et accompagné de gestes épars destinés à donner le change, consiste à faire de chaque individu le principal – si ce n’est l’exclusif – responsable de son destin. Chacun doit compter sur lui-même avant de songer au soutien de ses congénères ou d’une institution quelle qu’elle soit. Il faut se secouer, se sortir les doigts des mauvaises habitudes depuis trop longtemps installés, traverser la rue, Monsieur, pour trouver l’emploi qui forcément vous attend, cesser de vous plaindre, Madame, de votre toute petite retraite, découvrir enfin que les déterminismes sociaux ravageurs et l’adversité tenace ne sont que purs fantasmes qui nous été inculqués par de trop mauvais bergers. Pour favoriser ce dessein qui, tout de même, ne va pas de soi le grand ordonnateur s’est atteler à détruire un à un les édifices, souvent ancestraux, de ce que l’on peine de plus en plus à nommer la solidarité. Bien sûr, les réformes engagées grand train sont parées des « éléments de langage » grâce auxquels on espèrent faire accroire que rien ne va changer fondamentalement, que l’essentiel sera préservé mais deviendra plus efficaces avec les bons outils que les gouvernants précédents, si piètres praticiens, n’avaient pas su ou osé mettre en œuvre.

A cet égard, l’exemple de la réforme des retraites est l’un des plus édifiants. « Retraite par points », la formule est toute empreinte d’une logique purement individualiste. Tout l’art caché de la chose doit consister à substituer progressivement au mécanisme collectif de la Répartition - l’abolir n’est aujourd’hui pas possible - celui de la Capitalisation.

Le rendement de la Répartition s’amoindrissant pour les futurs retraités – c’est le but programmé de la Réforme - les salariés se tourneront de plus en plus vers la Capitalisation. Epargner pour ses vieux jours, quoi de plus humain ! Le champion toute catégorie de la « réforme efficace » est incontestablement Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education Nationale . Du reste, les médias, qui s’y connaissent tellement bien en parler vrai, le cajolent à son juste poids. Sous son égide, l’on va bientôt supprimer les CIO et confier la tâche délicate de l’orientation des élèves aux professeurs principaux qui comme chacun sait ne savent pas quoi faire de leur temps et ont toutes les compétences requises en la matière. M. Blanquer est en train d’inventer un lycée organisé en « parcours » individuels qui déterminera dès la classe de seconde l’orientation post-bac. « Le sens profond de cette évolution est de développer l’autonomie et la créativité des élèves, facteurs essentiels de réussite au XXI e siècle », proclame-t-on en haut-lieu. En réalité, tout dans cette réforme faussement douce procède de la contrainte et du déterminisme social. Autre exemple de recherche acharnée de l’efficacité : L’Etat songe sérieusement à transférer une bonne part des activités relevant aujourd’hui du Ministère « Jeunesse et Sport » à des « agences indépendantes. Ainsi, ce sont 50% des effectifs de ce ministère qui pourraient être privatisés. Tous ces exemples ont donc pour toile de fonds le désengagement de l’Etat par le dépeçage du service public ou la cession du bien commun solidaire aux appétits de l’économie marchande.

Le grand assèchement politique connaît d’autres symptômes, symptômes tout aussi inquiétants que les précédents. Tout d’abord, nous constatons que le pouvoir réel est de fait exercé désormais en France par un petit groupe d’individus rassemblé autour d’Emmanuel Macron, une sorte de ce que les Anglais nomme shadow cabinet, dont la fonction occulte consiste à définir les orientations « politiques » décisives. Le Conseil des Ministres qui reste bien sûr officiellement décisionnel n’est plus guère qu’une chambre d’enregistrement des choix décidés en amont tout comme l’Assemblée Nationale qui joue le même rôle en aval tant les « godillots » composant la « majorité présidentielle » votent presque aveuglément les textes qui lui sont proposés. La confiscation du pouvoir par le « gouvernement bis » est le fait d’hommes rompus aux allers-retours public-privé, ce qui suffit à expliquer la désagrégation progressive de l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers bien compris. Ensuite, nous ne pouvons que remarquer que le macronisme a lessivé littéralement les deux anciennes formations politiques qui assuraient jusque-là un semblant d’alternance. Divers « ténors » ont été débauchés de ces formations les affaiblissant d’autant. Dans le même temps, la République en Marche, tenue fermement par un petit groupe de fidèles du Président de la première heure, ne fait pas émerger de nouvelles figures politiques marquantes. Comment alors s’étonner qu’il devienne difficile de trouver de nouveaux ministres ? Enfin, le contrepoids que pourrait constituer les pouvoirs locaux existe de moins en moins : nous assistons à une dramatique recentralisation du pouvoir en France. Tous ces avatars de la décrépitude politique autorise à dire que la France n’est plus une démocratie. L’exacerbation de l’arsenal répressif contre les mouvements contestataires ne peut que renforcer ce fait.

L’aridité croissante du champ politique contraste désormais de façon saisissante avec le foisonnement des initiatives et alternatives bâties par les citoyens sur l’ensemble du territoire de l’hexagone. On compte sur ce dernier autant de foyers de résistance à la crise sociale marquée par l’ampleur des inégalités et à la crise écologique dans tous ses effets destructeurs des écosystèmes. Là l’imagination déborde tandis qu’au sommet de l’Etat le sauvetage du modèle dominant périmé demeure une criminelle priorité. Le moment va venir où il faudra choisir entre ces deux options si diamétralement opposées : la vie solidaire ancrée dans des territoires tournés vers l’avenir ou la mort contenue par un modèle issu du passé. Cependant nous savons qu’en réalité nous n’avons plus le choix ! La démocratie peut-elle attendre encore ?

Yann Fiévet

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