Macron décroche chez les intellectuels

jeudi 25 janvier 2018.
 

M. Macron bénéficiait jusqu’ici d’une furieuse bienveillance chez ceux qu’il est convenu d’appeler « les intellectuels ». Il faut dire que la majorité d’entre-eux restait à distance de la sphère publique. Plusieurs sont pourtant sortis de leur réserve ces dernières semaines. Quant aux autres, bercés et nourris par leur désormais statut médiatique dont ils sont si friands, ils s’accommodaient aisément de la politique du « en même temps » de M. Macron. Jusqu’à ce que cela ne puisse plus être le cas.

Une rupture est donc en train de s’opérer. Certes des signaux avant-coureurs avaient déjà émergé. Comme en matière de politique fiscale où l’économiste Thomas Piketty était monté au front pour dénoncer les mesures contenues dans le budget 2018, considérant qu’en la matière MM. Macron et Trump menaient « le même combat ». Ou quand l’écrivain Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013, souhaitait en début d’année « ses vœux aux riches » dans une carte blanche sur France-Inter.

Mais c’est la loi asile et immigration qui a donné plus encore à voir ce retournement. Elle a suscité la montée au créneau de nombre de personnalités jusqu’ici silencieuses. On se souvient des mots très durs prononcés en pleine trêve des confiseurs par Patrick Weil, historien et politologue, spécialiste de l’immigration à propos de la circulaire autorisant le contrôle des populations accueillies dans les centres d’hébergement : « Aucun gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale n’avait osé aller jusque-là ». Sur le même sujet, le pourtant discret Jean-Marie Le Clézio, prix Nobel de littérature en 2008, écrivain à la fibre humaniste, s’insurgeait le 11 janvier dans l’Obs : « Comment peut-on faire le tri ? Comment distinguer ceux qui méritent l’accueil, pour des raisons politiques, et ceux qui n’en sont pas dignes ? […] Est-il moins grave de mourir de faim, de détresse, d’abandon, que de mourir sous les coups d’un tyran ? […] Prenons garde à ne pas dresser autour de nous des frontières mentales encore plus injustes que les frontières politiques », avant de dénoncer « des lois et des instructions qui ne tiennent pas compte du sentiment humain ».

Il est désormais jusqu’aux réseaux du Président qui ont cru devoir mettre en lumière la politique préconisée par le gouvernement. Le 16 janvier, une lettre ouverte d’intellectuels et de syndicalistes, cette fois ouvertement proches de M. Macron, était publiée dans le journal Le Monde. Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT), Thierry Pech (directeur général de Terra Nova), Jean Pisani-Ferry (professeur à Sciences Po), Jean-François Rial (PDG du groupe Voyageurs du monde) et Lionel Zinsou (président de Terra Nova) y critiquaient sévèrement la politique migratoire du gouvernement : « Votre présidence se plaçait sous les auspices d’un humanisme responsable et assumé. Nous nous sommes hélas réveillés dans un pays où l’on arrache leurs couvertures à des migrants à Calais. » Un an tout juste après le débauchage de M. Pisani-Ferry de la tête de France-Stratégies pour prendre la tête de la coordination du programme de M. Macron, le même en vient à le tancer si durement !

Non seulement les lignes ont bougé mais elles se figent. Arrogant, M. Macron fait en effet le choix de rester sourd à ces critiques. Il répondait ainsi, cassant et condescendant, à Jean-Marie Le Clézio qu’ « il faut se garder des faux bons sentiments » après que le porte-parole du gouvernement Benjamin Grivaux lui a de son côté répondu avec mépris qu’il n’est « sûrement pas en contact avec le réel ». Les intellectuels sont dans notre pays plus encore qu’ailleurs une catégorie à part. Il est une tradition qui, depuis les Lumières, nous a habitués à ce que leur message infuse dans le peuple et participe à la formation de la volonté générale, le peuple y prenant ce qu’il juge utile à l’intérêt général et mettant de côté ce qui y contrevient. Leur basculement en quelques mois témoigne donc d’un mouvement de fond de décrochage sinon de M. Macron, du moins dans un premier temps de sa politique. Ce n’est pas tant sa personne qui est ici visée que son incapacité à se porter constituant, son incapacité à traduire en acte le ferment de la Nation, l’humanisme radical et l’universalité.

M. Macron a senti le danger au point de cibler les intellectuels en tant que tels, inquiet de la vague qu’ils pourraient susciter : « Il y a beaucoup de confusion chez les intellectuels » lançait-il ainsi il y a quelques jours, une fois encore dans un cadre de politique étrangère, lors d’une conférence de presse aux côtés de M. Gentiloni, président du conseil italien. C’est là insuffisant pour étouffer une parole qui se libère.

M. Macron ne sait que trop que la jonction entre l’expression d’une pensée théorique et le bon sens du peuple qui désormais commence à subir concrètement les ravages de sa politique contribue à l’émergence d’un nouveau sens commun de la période. Pour avoir été incapable de l’incarner, celui-ci menace désormais de se retourner contre lui.


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