« Ce n’est pas au peuple tunisien de payer le prix de la mauvaise gestion, de la corruption et de la faillite politique »

mardi 20 février 2018.
 

« Ce n’est pas au peuple tunisien de payer le prix de la mauvaise gestion, de la corruption et de la faillite politique »

Lundi 8 janvier, a commencé en Tunisie une vague de mobilisations contre la cherté de la vie, et plus largement le durcissement de la politique d’austérité suite au vote de la loi de finances 2018.

1. Une explosion de colère

En Tunisie, le mois de janvier est souvent propice aux mobilisations, et cela d’autant plus depuis un certain janvier 2011. Mais cette fois-ci, elles ont touché simultanément la plus grande partie du territoire, les zones déshéritées de l’intérieur comme les villes de la côte

Impulsée essentiellement par des jeunes, cette explosion de colère s’est brusquement développée dans foulée de la mort, le 8 janvier, d’un manifestant dans la grande banlieue de Tunis, précédée deux jours plus tôt du suicide d’un jeune chômeur près de la frontière algérienne. Entre le lundi 8 et le jeudi 11, certaines de ces mobilisations se sont transformés en émeutes, en particulier la nuit : heurts violents avec la police, blocages de routes, destruction de bâtiments officiels, scènes de pillages, etc. Il semble prouvé que des réseaux mafieux, ainsi que des jihadistes, ont jeté de l’huile sur le feu, souhaitant profiter de la situation pour satisfaire leurs propres intérêts.

Pouvoir et contestataires s’accusent mutuellement des violence et des pillages. Les batailles font rage sur les réseaux sociaux massivement suivis par les Tunisiens. « Le terrorisme véritable est celui qui affame la population », a par exemple écrit un protestataire.

Le ministère de l’Intérieur a répondu par un hashtag : « Ne détruis pas ton pays, la Tunisie a besoin de toi ».

Le pouvoir, dirigé par des notables de l’ancien régime et les islamistes d’Ennahdha, a répliqué par une répression de grande ampleur. Entre le 8 et le 11 janvier, 773 Tunisien-ne-s ont été arrêté-e-s (soit l’équivalent en France de 4 600 personnes). Parmi eux/elles, un tiers ont moins de 20 ans. Des poursuites judiciaires ont immédiatement été engagées contre des personnes arrêtées.

Dans de telles conditions, les manifestations nocturnes sont retombées dès le soir du 11 janvier, ainsi que les émeutes qui les succédaient .... et beaucoup de media sont alors passés à autre chose.

Des manifestations pacifiques continuent par contre à avoir lieu en journée.

Dans l’espoir de faire retomber la pression, le pouvoir, le patronat et l’UGTT ont par ailleurs promis le 13 janvier l’octroi de quelques mesures pour les plus démunis.

Il sera possible de mesurer pendant la troisième semaine de janvier l’effet qu’auront eu sur les mobilisations l’utilisation combinée du bâton et de la (toute petite) carotte.

2. Un refus massif des hausses de prix et de l’austérité

Le principal déclencheur de ces mouvements est la hausse considérable des prix.

Officiellement, l’inflation a été de 6,4 % en 2017, mais pour de nombreux produits, cela a été beaucoup plus : 12,7% pour le poulet, 8 % pour le poisson frais, 12,8 % pour les légumes frais, 9,5 % pour les fruits, 14,5 % pour les viandes rouges, etc.

Et cela fait plusieurs années que cela dure : depuis 2011, le coût de la vie a augmenté de 35 %.

Le feu aux poudres a été mis par le vote de la loi de finances 2018. Celle-ci prévoit notamment la hausse de certains droits de douane et de divers impôts, dont une hausse de 1 % de la TVA. Pourrait s’y ajouter un prélèvement supplémentaire de 1 % sur les salaires. Le tout dans un contexte où le chiffre officiel du chômage a grimpé à 15 % (30 % chez les diplômés ).

Si le mouvement a pris une telle ampleur cette année c’est parce que la majorité de la population est touchée par la crise économique. « C’est l’expression du ras-le-bol généralisé de la jeunesse, des étudiants, des chômeurs face à leur marginalisation ». « Les gens ne voient aucune lumière au bout du tunnel et les promesses ne se concrétisent pas depuis sept ans ».

3. « Qu’est-ce qu’on attend ? »

Sous ce nom évocateur (Fech Nestannew en dialecte tunisien), est apparu le 3 janvier un collectif de jeunes cherchant à agir par d’autres moyens que l’émeute. « Notre campagne est pacifiste et les autorités tentent de nous faire passer pour des casseurs et de réduire notre message à des scènes de pillage. En faisant cela, ils ne feront qu’augmenter la colère de la rue et nous finirons par demander leur départ » explique Wael Naouar, un de ses porte-paroles.

La suspension de la loi de finances

C’est la première revendication de « Fech Nestannew ». Ses militant-e-s jugent illégitime la politique d’austérité mise en place par le gouvernement : « Ce n’est pas au peuple tunisien de payer le prix de la mauvaise gestion, de la corruption et de la faillite politique », explique Henda Chennaoui.

Une série de revendications sociales concrètes

Outre la suspension de la loi de finances 2018, « Fech Nestannew » avance dans son manifeste, publié le 3 janvier 2018 lors du lancement de cette campagne, une série de mesures sociales concrètes :

- le retour aux prix initiaux des denrées, et la baisse des prix des produits de base,

- l’augmentation de l’allocation attribuée aux familles nécessiteuses,

- un logement aux familles à revenu limité,

- la révision de la politique fiscale en fonction du revenu individuel,

- l’embauche d’une personne de chaque famille pauvre,

- une couverture sociale et sanitaire aux personnes au chômage,

- une stratégie nationale de lutte contre la corruption,

- le renoncement à la privatisation des entreprises publiques.

Le tout se terminant par l’appel à former des coordinations régionales pour obtenir la satisfaction de ces revendications.

Une « structuration horizontale »

Essentiellement formée par des jeunes, dont des chômeurs, « Fech Nestanew ? » se présente comme une campagne citoyenne sans leader. Elle s’organise à travers sa page Facebook, sur laquelle sont diffusés les appels aux différentes actions.« Notre structure est horizontale », affirme l’une de ses porte-paroles.

Cette initiative a réussi à réunir des jeunes venant de toutes les classes sociales et de différentes régions du pays. Elle trouve ainsi un écho dans des villes telles que Gafsa (sud-ouest), Sfax (est), Tabarka (nord-ouest)… « Ce sont les jeunes de la révolution qui ont pris l’habitude d’agir sur le terrain qui mènent cette campagne », résume Henda.

Ce collectif d’inscrit dans la lignée d’autres campagnes comme « Manich Msamah » (1), créée pour s’opposer à la loi de blanchiment des corrompus de l’époque de Ben Ali, ou encore de la campagne « Mansinekomch » (On ne vous a pas oublié) en soutien aux martyrs et aux blessés de la révolution.

D’ailleurs, le mouvement « Menich Msamah » a rejoint la campagne « Fech Nestannew ».

Le premier moyen d’action utilisé a été la distribution de tracts, avec l’objectif déclaré d’enclencher le débat directement avec la population. « Nous voulions interpeller la population sur la nécessité de se mobiliser. Ainsi, nous avons pu collecter les demandes de chaque quartier. Nous disposons aujourd’hui de plusieurs documents comportant des demandes sociales spécifiques suites à ces opérations de tractage », explique Henda Chennaoui.

Une méthode des « cahiers de doléances » similaire à celle observée dans la ville marocaine de Jérada, théâtre d’une forte contestation populaire depuis la mort accidentelle de deux mineurs le 22 décembre. La population s’y est organisée sans recours aux cadres traditionnels (partis, syndicats, etc.) pour élaborer la liste des revendications.

Le militant de la LGO et syndicaliste de l’enseignement secondaire Abdessalem Hidouri précise pour sa part : Le plan d’action adopté commence par la distribution d’un tract se basant sur le slogan fondamental : « Le peuple veut la chute de la loi de finances ». Des slogans sont ensuite écrits pendant la nuit sur les murs des quartiers et des entreprises. Enfin, dans la journée des réunions sont organisées dans les rues et dans les marchés.

Ce plan d’action a été mise en acte dans tout le pays, et particulièrement à Sousse, Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine et Tunis.

Autonomie et convergence

« Fech Nestanew ? » est totalement indépendant des partis politiques, assurent ses militant-e-s.

Et cela même si, à côté de militant-e-s sans orientation politique, précise, la majorité sont (ou ont été) à l’UGET (Union générale des étudiant-e-s de Tunisie) à l’UDC (Union des diplômés chômeurs) et/ou au Front Populaire.

Si le collectif décide lui-même de ses initiatives propres, cela ne l’empêche nullement d’agir également en commun avec des organisations ayant des positions convergentes.

La répression a accéléré le calendrier de mobilisation

« Le gouvernement est revenu à ses vieux réflexes de traiter les manifestants de terroristes et de pilleurs », explique Henda Chennaoui. Plus de cinquante militant-e-s de « Fech Nestannew » avaient par exemple été arrêté-e-s dès la première semaine de janvier alors qu’ils/elles distribuaient des tracts appelant à manifester ou tagaient des murs.

Le premier communiqué de « Fech Nestanew » appelait à un rassemblement devant les sièges des différents gouvernorats du pays le 12 janvier. C’est la répression qui a poussé le collectif plus tôt dans la rue.

Le 7 janvier, s’est tenue une de ses premières manifestations sur le boulevard Bourguiba de Tunis. Elle avait pour mot d’ordre principal le refus de la hausse des prix, mais aussi la libération des militants arrêtés.

Le 9 janvier, suite à la mort d’un manifestant la veille dans la grande banlieue de Tunis, un nouveau rassemblement de manifestation a eu lieu à Tunis. Pendant celle-ci, les membres du collectif Fech Nestanew ont annoncé la tenue d’une manifestation nationale le samedi 13 janvier.

LEROUGE Dominique

Slogans

« Le peuple veut l’abrogation de la Loi de finances »,

« La pauvreté et la faim ont augmenté, oh citoyen opprimé ! »,

« Citoyen, travaille et persévère, et donne ton salaire à Chahed ».

"Ni peur, ni crainte, le pouvoir appartient à la rue »

Le tout se terminant par la reprise du slogan de 2011, « le peuple veut la chute du régime ».

Lire notamment http://www.rfi.fr/afrique/20180112-...


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