Tunisie Elections à la Constituante "le double visage des islamistes"

lundi 24 octobre 2011.
 

Premières élections libres en Tunisie dimanche 23 octobre, neuf mois après la chute de Ben Ali. Grand favori, le parti Ennahda peine à se démarquer des islamistes qui ont commis des violences à Tunis.

Les candidats s’expriment librement en pleine rue, les affiches électorales fleurissent, les meetings se tiennent sans incidents… Oubliées la terreur, les réélections de Ben Ali avec 90% des voix et les félicitations de la France. Neuf mois après la révolution du 14 janvier, les 7,5 millions d’électeurs tunisiens participeront dimanche prochain aux premières élections libres de l’histoire de leur pays. À la différence de l’Égypte, la Tunisie a su, en quelques mois, passer de la dictature à la démocratie.

Mais ce scrutin historique se déroule dans un contexte tendu. Les islamistes radicaux multiplient les actes de violence et la pauvreté augmente. "Délaissé par les touristes, contraint de rapatrier ses travailleurs exilés en Libye, le pays a vu son nombre de chômeurs passer de 500.000 à 700.000 en un an", explique Mohamed Haddar, président de l’Association des économistes tunisiens. Dans les provinces du Sud notamment, grande est la désillusion à l’égard de la révolution. Une désespérance qui ne semble profiter qu’à un seul parti : Ennahda, "la Renaissance", dont le leader, Rached Ghannouchi, est rentré en Tunisie en janvier après un long exil.

Ennahda semble assuré d’arriver en tête dimanche. Mais quelle sera l’ampleur de sa victoire ? Entre 25% et jusqu’à 50%, l’éventail des pronostics est large. Le parti, dont les meetings débutent par une longue récitation de versets du Coran avant l’hymne national, se défend d’être islamiste. Tout comme Vincent Geisser, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient de Beyrouth pour qui "Ennahda n’a pas l’ambition d’installer en Tunisie une république islamique", une source diplomatique française affirme : "il s’agit davantage d’un parti conservateur. Il faut arrêter de les considérer avec le couteau entre les dents. Cette formation constitue le thermomètre de la société tunisienne, pas sa maladie. Des femmes non voilées, des hommes qui boivent de l’alcool voteront Ennahda."

Pas d’inquiétude sur le statut des femmes

Combien sont-elles, ces femmes non voilées, parmi la foule venue assister à un meeting vendredi à Sidi Bou Saïd, à trente minutes du centre de Tunis ? Quelques dizaines, contre plusieurs centaines de voilées. Parmi elles, une charmante professeur d’anglais, lunettes de soleil accrochées dans les cheveux et pull décolleté, ou cette pétillante étudiante en master de finances. Toutes deux se disent convaincues que jamais le parti de Ghannouchi ne remettra en cause le statut des femmes, voté en 1955 sous Bourguiba, qui accorde aux Tunisiennes les droits les plus étendus du monde arabe : "Nous n’avons aucune intention de porter le voile et nous savons qu’ils ne nous l’imposeront pas."

De fait, le programme d’Ennahda stipule : "Nous œuvrons à préserver les acquis de la femme et dynamiser son rôle dans les différents domaines […], protéger la liberté de la femme contre toute imposition de style vestimentaire." Mais le programme propose aussi d’"encourager les médias à défendre l’intégrité de la famille" ainsi que de "prévoir des mécanismes qui préservent l’harmonie familiale et endiguent les causes du divorce".

Ennahda inquiète ses adversaires qui lui prêtent d’autres intentions, une fois au pouvoir. Emprisonnée sous Ben Ali, Raoudha Gharbi, militante féministe et membre de la Ligue des droits de l’homme, pressent que "la bataille des femmes contre Ennahda sera rude". L’économiste Mohamed Haddar craint "un scénario à l’iranienne" et ne veut pas "faire confiance aux discours officiels". Pour Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques, "ils sont objectivement sur le même terrain idéologique que les salafistes. Traiter avec eux, c’est ouvrir la boîte de Pandore."

Un homme d’affaires franco-tunisien, partisan de Ghannouchi, s’agace de ces craintes. Il n’y voit qu’un ramassis de préjugés véhiculés par les bourgeois de Tunis… "Vous croyez qu’on va voter pour eux puis les laisser nous ramener au Moyen Âge ? Vous croyez que ce peuple, qui a renversé Ben Ali, se laissera faire ?" Un avocat, qui ne pratique pas le ramadan, ajoute : "Ennahda ne prône pas l’instauration d’un pouvoir religieux et ceux qui le disent lui font un procès d’intention. Ils n’ont qu’un modèle : la Turquie d’Erdogan."

Ennahda tient à se démarquer des salafistes qui, depuis une semaine, s’en prennent à la chaîne de télévision Nessma. Celle-ci a diffusé le film Persepolis, de Marjane Satrapi, dans lequel Dieu est représenté sous les traits d’un vieil homme barbu. Dimanche dernier, près de 200 d’entre eux tentent d’attaquer les locaux de la chaîne. Son PDG, Nabil Karoui, prévient : « On ne se laissera pas intimider et on continuera à diffuser les films qu’on veut ! » Mardi, sous l’effet des menaces reçues, le ton change radicalement : "Je suis désolé pour tous les gens qui ont été dérangés par cette séquence qui me heurte moi-même."

Poursuites pour "atteinte au sacré"

Des excuses insuffisantes. Avant-hier, plusieurs milliers de personnes défilent dans Tunis contre Nessma, scandant : "Il n’y a de Dieu que Dieu" et "Le peuple veut un État islamique !" Dispersés par la police à coups de gaz lacrymogènes, une centaine de manifestants sont ensuite allés saccager et tenter d’incendier la maison du PDG de Nessma. Joint hier soir par le JDD, Nabil Karoui soupire : "Cette affaire prend des proportions qui nous dépassent tous." Dix minutes avant l’attaque, sa femme et ses enfants étaient encore dans la maison.

Que dit le parti Ennahda, mis en cause hier par Nessma TV pour son "double discours", de tels comportements ? "Nous avons été tant persécutés que nous ne pouvons être que contre la violence", assure Samir Laouini, secrétaire général du parti pour la région de Carthage. Mais lors du meeting de vendredi, durant lequel les slogans lancés le matin dans la rue étaient repris, Ghannouchi a estimé que "c’est toute la Tunisie qui a été insultée par Nessma". Pour Hamadi Redissi, les choses sont claires : "À chaque acte de violence, Ennahda condamne, mais après avoir dit que la liberté d’expression a des limites."

Fin juin, une salle de cinéma où devait être diffusé le film Laïcité inch’ Allah a été vandalisée à Tunis. Menacée de mort, la réalisatrice Nadia el-Fani ne cache pas sa peur : "Le directeur de Nessma et des techniciens de sa chaîne sont, comme je le suis aussi, convoqués par un magistrat pour “atteinte au sacré”. C’est une chose jamais vue. Et les autres partis ne disent rien ? S’ils connaissaient l’histoire, les progressistes devraient savoir qu’ils n’ont rien à gagner à s’associer aux islamistes. Ils ne sont pas encore au pouvoir en Tunisie qu’ils rognent déjà nos droits. "

Alexandre Duyck, envoyé spécial à Tunis - Le Journal du Dimanche

samedi 15 octobre 2011


2) Tunisie : la réalisatrice Nadia el-Fani "catastrophée" par les événements

Cette semaine, des islamistes s’en sont pris à la chaîne de télévision Nessma, accusée de profaner l’Islam. En juin déjà, le film Laïcité inch’Allah avait été empêché de diffusion. Sa réalisatrice, Nadia el-Fani, se dit scandalisée par les derniers événements mais espère que son film sera bientôt téléchargeable en Tunisie.

Le 26 juin dernier, une centaine d’islamistes radicaux, pour la plupart de jeunes hommes, s’en prennent à une réunion de soutien aux artistes organisée en plein Tunis. Leur cible principale : le documentaire Ni Allah ni maître de la réalisatrice franco-tunisienne Nadia el-Fani. Les portes sont forcées, les vitres brisées, des participants molestés. Le film, projeté au festival de Cannes et rebaptisé depuis Laïcité inch’Allah, ne peut être projeté. Revendiquant son athéisme, Nadia el-Fani est devenue la cible d’islamistes proches de la mouvance salafiste.

Tout en condamnant les violences du 26 juin, le parti Ennahda, grand favori de l’élection constituante du 23 octobre prochain, a dénoncé, à l’époque, les "provocations" dont seraient responsables les artistes. Cité par Le Monde, Ali Larayedh, président du conseil national d’Ennadha, déclare : "Nous sommes contre toute attaque, toute interdiction mais cette cinéaste s’est montrée très provocatrice sur une chaîne de télévision." Au cours d’une émission, la réalisatrice avait reconnu être athée.

"J’ai bon espoir qu’il soit enfin téléchargeable"

Jointe par le JDD, Nadia el-Fani se dit "catastrophée" par les événements survenus cette semaine à Tunis à l’encontre du P-DG de la chaîne de télévision Nessma, qui a diffusé le film Persepolis de Marjane Satrapi. "Je suis surtout catastrophée par le silence des autres partis politiques tunisiens. Le P-DG de Nessma ainsi que des techniciens de sa chaîne sont convoqués par un procureur pour "atteinte au sacr". Trois plaintes ont été déposées contre moi-même pour "atteinte au sacré, aux bonnes mœurs et à un précepte religieux". Mon film n’a jamais pu être diffusé en Tunisie. Là, j’ai bon espoir qu’il soit enfin téléchargeable, d’ici quelques jours, avec des sous-titres en arabe ; j’attends une réponse. Il sera alors possible de voir que jamais je n’insulte le religieux dans ce film.

Le fait d’être athée ne doit pas être pris pour une insulte. A l’inverse, je passe mon temps, moi, à me faire insulter. Je pense qu’il ne faut pas s’associer aux islamistes. On a vu ce qui s’est passé en Iran. Leurs objectifs de vie en société ne sont pas les mêmes que les nôtres. Ils assurent le contraire. Mais souvenons-nous que Ben Ali, au pouvoir, ne parlait que de démocratie. Quant à Ennahda, je veux bien entendre qu’ils se démarquent des salafistes qui s’en sont pris à mon film ou à Nessma TV et qui insultent et menacent de mort. Mais dans ce cas, je leur demande une déclaration publique dans laquelle ils disent qu’en Tunisie, la liberté d’expression existe, et que je peux parler de ce que je veux, quand je veux, où je veux."

Alexandre Duyck, envoyé spécial à Tunis - leJDD.fr


3) Ennahda, la « renaissance » islamiste

Le mouvement Ennahda affiche partout le visage du triomphe attendu pour la première élection libre de l’histoire du pays

« Je ne suis pas vraiment pratiquant. Je bois de l’alcool. Mais c’est le seul parti en lequel j’ai confiance », se confie Jamel, 40 ans, sans emploi, dans un bar enfumé de Tunis. Jamel n’a pas vraiment le profil du « barbu ». Mais dimanche, lors de l’élection de l’Assemblée constituante, première élection libre du pays, c’est la liste d’Ennahda, le parti islamiste de Rached Ghannouchi, de retour au pays après vingt-deux ans d’exil, qu’il glissera dans l’urne. Selon les sondages, entre 20 et 30% des votants en feront de même. Peut-être bien davantage. C’est d’ailleurs la seule formation qui semble se dégager des quelque 110 partis lancés dans la course.

Nombreux sont ceux qui s’en inquiètent, y voyant un péril pour la Tunisie moderne, dans un spectre d’arguments allant du prix de la bière à la défense des valeurs laïques dont est empreinte la société. Il y a quatre jours, 5000 personnes sont d’ailleurs descendues dans la rue à Tunis pour crier leur attachement à la laïcité.

Convaincu que l’islamisme, comme ailleurs, conduira à l’aliénation et, inévitablement, à l’affrontement, Bechir, professeur de philosophie à Nabeul, se lamente : « Les figures de la gauche qui auraient pu prendre le relais de la révolution paient aujourd’hui le prix de leur compromission avec Ben Ali, qui leur avait laissé des ministères – l’éducation, la police – pour mieux contrer les islamistes. Aujourd’hui, Ennahda, « Renaissance » en français, apparaît aux yeux de nombre de Tunisiens comme la seule mouvance à avoir véritablement les mains propres. »

Emergence fulgurante

Ennahda – 30 000 prisonniers politiques sous Ben Ali – a le poids des vrais résistants. Il présente son mouvement comme un brasier jamais éteint malgré l’étouffoir de l’ancien régime. La rapidité avec laquelle il émerge, avec des listes dans chacune des 27 circonscriptions, étonne toutefois. Victime d’éradication par le régime hier, le voilà omniprésent dans la campagne, au point que toutes les rumeurs circulent sur son « financement international ». « Ennahda est incontestablement le mieux organisé de tous les partis », commente sous anonymat l’un des observateurs internationaux qui suivent le déroulement du scrutin. « A la campagne, contrairement à d’autres, Ennahda n’a eu aucun mal à trouver des hommes et des femmes (ndlr : le scrutin impose la parité) très bien formés pour figurer sur ses listes. Ses membres vont chercher les gens par bus entiers dans les villages pour les amener dans ses meetings. » Le parti, censuré par les grands médias, a même son propre journal.

C’est à Sidi Bouzid, 40% de sans-emploi, la ville où s’est déclenchée la révolution, qu’Ennahda avait choisi le 1er octobre de lancer sa campagne nationale. Dans un immeuble luxueux pour la région, qui héberge aussi un organe baasiste à l’effigie de Saddam Hussein et le siège du parti maghrébin, ses bureaux se distinguent des très modestes QG des autres partis. Une nuée de personnes s’y affairent : « Sidi Bouzid est bien sûr une ville symbole. Nous y avons de grands projets », affirme Beya Jawadi, avocate et tête de liste No 2 d’Ennahda dans cette circonscription. « Par un système de bonus favorisant le centre du pays, totalement oublié de Ben Ali, nous créerons toutes les infrastructures nécessaires au développement économique et social », précise le No 3, un instituteur dont les convictions l’ont contraint à vingt-quatre ans de chômage forcé.

Redistribution des terres avec mécanisation de l’agriculture, création d’usines et d’un campus universitaire en sciences, technologie, médecine et pharmacie, le parti a des idées pour tous les secteurs. Nasreddine, 38 ans, enseignant du secondaire à Sidi Bouzid, est convaincu : « Lorsqu’on respecte autant les enseignements de Dieu, on ne peut pas être mauvais. Ce sont des purs. »

Moralisation de la société et développement socio-économique pour les défavorisés sont les clés du discours d’Ennahda, qui cite souvent le modèle turc. Non, « aucune contrainte liée à la tenue vestimentaire de la femme » n’est prévue dans son programme, jure-t-il à tous ceux qui se méfient d’un double langage. Et il a trouvé des alliés inattendus. Abou Yaareb Marzouki, philosophe et figure des intellectuels tunisiens, s’est porté en tête de liste des couleurs islamistes à Tunis, dans les quartiers populaires, à la surprise générale. « Je suis indépendant, mais j’adhère au projet d’Ennahda car il est le seul à promouvoir la justice sociale et la vraie modernité authentique : celle qui valorise le travail et la fraternité, pas celle de la consommation », nous confie-t-il.

Un vrai programme

Le parti sait aussi ajuster son discours là où il le faut. Sur les côtes, où l’on semble plus réticent à voter islamiste de peur d’une désertion des touristes, Ennahda a promis le développement d’un tourisme d’affaires, notamment tourné vers le Moyen-Orient, mais aussi la fin des formules « all inclusive » dans les hôtels qui privent les petites gens des retombées du tourisme. Mourad, 25 ans, qui tient un petit commerce près de la plage de Nabeul, y est réceptif : « C’est le seul parti qui est venu nous présenter un vrai programme. Les autres savent juste brandir des dépliants publicitaires sous notre nez. Parfois même de l’argent. Mais que proposent-ils de concret ? Rien. »

Cathy Macherel http://www.lecourrier.ch/cathy_macherel


4) En Tunisie, des islamistes agitateurs cultuels

Par ELODIE AUFFRAY, Libération

« Aatakni » (« Lâche-moi ») : 2 000 à 3 000 personnes ont défilé sous ce slogan, hier à Tunis. Une marche pour la défense de la liberté d’expression, en réplique à la mobilisation des islamistes contre la chaîne de télé Nessma, qui agite le pays depuis une semaine. Cette télévision privée avait suscité la polémique en diffusant le film d’animation Persepolis, qui contient une représentation de Dieu - ce que l’islam proscrit - et choqué bon nombre de Tunisiens. Les intégristes ont donc ouvert les hostilités, le 9 octobre, en tentant d’assaillir les locaux de la chaîne. Toute la semaine, des petites manifestations avaient ensuite eu lieu. Vendredi, la mobilisation a atteint son apogée lorsque quelques milliers de personnes, islamistes radicaux et citoyens ordinaires, ont défilé sans grands heurts, après la prière. Devant le tollé, Nabil Karoui, le patron de Nessma, a été contraint de présenter ses excuses aux Tunisiens. Il fait aussi l’objet d’une procédure judiciaire, de même que ceux qui ont traduit le dessin animé en arabe.

Hier, c’était au tour du « peuple [qui] veut la liberté d’expression » de se faire entendre. « Je suis là pour dire que ceux qui ont protesté contre Nessma ne représentent pas toute la société tunisienne », insiste Amel Elmayel, enseignante d’arts plastiques. « Il ne faut pas laisser la rue à ceux qui appellent à un retour en arrière », ajoute Fayçal Abroug, ancien responsable syndical. « On a un nouveau tabou : la sensibilité des musulmans. C’est une notion très floue, où est-ce que ça s’arrête ? » interroge-t-il.

« Infiltrés ». A quelques jours du scrutin de dimanche qui doit désigner une Assemblée constituante (lire ci-contre), le débat sur la place de la religion, qui s’était calmé ces dernières semaines, fait un retour en force dans la campagne. Les deux principales formations de centre gauche, le Forum démocratique pour les libertés et le travail (FDTL) et le Parti démocrate progressiste, évitent de s’y engouffrer. Ennahda, parti islamiste qui se dit modéré, a condamné à la fois Nessma et la violence des manifestants. Mais, la formation, donnée gagnante, dénonce aussi une campagne de discrédit à son encontre. « Les cadres du parti ne sont probablement pas des salafistes, mais parmi ceux qui votent pour eux, on trouve des salafistes. Il y a toute une classe sociale qui est prête à adhérer à un islam très conservateur », avertit l’islamologue Mohamed Talbi. Depuis la révolution, les intégristes occupent le terrain, s’attaquant à des symboles comme les maisons closes ou un cinéma qui diffusait le documentaire Ni Allah ni maître…

« Avec la nouvelle liberté, ils veulent se montrer comme un groupe de pression. Mais ce n’est pas un milieu très organisé. Ils n’ont ni chef de file ni vision stratégique », souligne l’historien contemporain Alaya Allani, qui chiffre le nombre de salafistes « entre 5 000 et 7 000, avec un noyau dur de vrais jihadistes qui ne dépasse pas une trentaine de personnes ». Pour cet universitaire, ces violences préélectorales peuvent être le fait d’une « instrumentalisation » de ces groupes par les forces de l’ancien régime « qui les avaient infiltrés ».

Les islamistes profitent aussi de la période de transition pour pousser leurs pions dans les mosquées ou les universités. Dans les premières, ils ont parfois placé leurs imams, après avoir chassé ceux à la solde de l’ancien régime. Dans les secondes, ils tentent d’imposer leurs règles. Un peu à l’écart de l’université El-Manar à Tunis, la mosquée du campus a repris vie depuis neuf mois. Considérée comme un foyer islamiste par l’ancien pouvoir, elle avait été fermée en 2002, mais rouverte le 15 janvier, au lendemain de la fuite de Ben Ali.

Les jeunes « barbus » y côtoient les étudiants en jean et les habitants du quartier. A l’heure du déjeuner, une demi-douzaine de ces barbus devisent devant l’édifice. Aucun ne se dit salafiste. « C’est un mot de l’ancien régime pour nous discréditer auprès des Tunisiens et nous réprimer, rejette Fahd. Je suis tout simplement musulman. » Houssem se dit « proche des salafistes » pour la fidélité au Coran et à la sunna, l’enseignement du prophète, mais « prend aussi aux Frères musulmans leur sens de l’organisation des manifestations ». Il rejette la démocratie, car « les lois viennent de Dieu et pas du peuple ». Ali, lui, participera au scrutin, mais sans voter pour Ennahda « qui a un discours d’ouverture envers les laïcs ».« On ne cherche pas la violence. Mais quand on attaque notre Dieu, nous avons le droit de le défendre », poursuit Fahd.

Niqab. Sur le campus, le débat religieux s’est aussi incrusté. Auparavant, le port du voile ou de la barbe pouvait être source de problèmes pour les intégristes. En février, malgré l’opposition de l’administration, des étudiants islamistes ont aménagé une salle de prière à l’entrée d’un amphi. Une vingtaine de filles ont revêtu le niqab. Les enseignants ont dû gérer seuls. Le problème s’est transformé en crise lorsqu’une centaine d’intégristes a envahi la faculté de Sousse, il y a deux semaines, pour protester contre le refus d’inscrire une étudiante en niqab. Le ministère de l’Enseignement supérieur considère « que c’est un épiphénomène, que la situation politique est sensible et qu’il ne faut pas mettre d’huile sur le feu, explique Monia Cheikh. Même si on nous accuse de créer une perturbation, on ne doit pas avoir peur de cela »


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