Lancés en grande pompe le 20 juillet par le gouvernement, les États généraux de l’alimentation doivent se poursuivre jusqu’à fin novembre. Belle initiative de démocratie ou arbre qui cache la forêt ?
La situation est alarmante. La filière agricole compte pour 165 milliards d’euros de chiffre d’affaires généré par 400 000 entreprises agricoles. La filière agro-alimentaire, elle, concerne 835 000 entreprises pour 650 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et pourtant, un agriculteur sur deux vit avec moins de 350 euros par mois. Ce fossé peut être résumé par le parcours d’une simple échalote : celle-ci quitte l’exploitation, vendue à 15 centimes le kilo. Son coût de revient (c’est-à-dire son coût de production et de distribution) est autour de 50 centimes. Et on la retrouve en grande surface entre 3 et 6 euros le kilo ! Pour résoudre cette crise, le gouvernement lance les états généraux de l’alimentation (EGalim). Un premier chantier se concentre sur la création et répartition de la valeur. Un deuxième chantier abordera par la suite les enjeux autour d’une alimentation durable. Enfin, un atelier transversal discutera la répartition des cinq milliards d’euros du plan de modernisation de l’agriculture.
À y regarder de plus près, il y a des raisons de s’inquiéter. Le coordinateur des « EGalim » est Olivier Allain, agriculteur estampillé FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), ex-président de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor. Par ailleurs, seulement 4 ateliers sur 14 concernent l’alimentation. Enfin et surtout, les présidences des ateliers sont principalement aux mains des secteurs de la distribution et la transformation. Citons par exemple le groupe AVRIL, géant français de l’agro-business dont le président du conseil d’administration jusqu’en février 2017 n’était autre que Xavier Beulin, président de la FNSEA (encore elle), syndicat majoritaire et partisan de l’industrialisation de l’agriculture à grands renforts de pesticides. Autre exemple, l’atelier 5, intitulé « rendre les prix d’achat des produits agricoles plus rémunérateurs pour les agriculteurs », sera présidé par Danone et Système U ! Aucune place n’est par ailleurs laissée aux discussions sur les OGM, les pesticides, la consommation de viande, le climat…
Pourtant, le réchauffement climatique est en parti causé par notre modèle agricole. Dans le monde, l’élevage est responsable de 15,5% des émissions de C02, gaz à effet de serre le plus concentré dans l’atmosphère et le principal issu des activités humaines. Ainsi, 32 milliards de tonnes de CO2 ont été émises dans l’atmosphère en 2015, une hausse de 61% par rapport à 1990. Et par effet boomerang, l’agriculture va également pâtir des changements climatiques créant des catastrophes toujours plus intenses : manque d’eau, canicule, ou à l’inverse crues démentielles. Dans le même temps, l’artificialisation des terres et autres grands projets inutiles tels qu’EuropaCity, grignotent les terres fertiles, tuent la biodiversité et favorisent les inondations.
Pire encore, une étude de Générations Futures (2017) révèle que la moitié des produits alimentaires de notre quotidien, à base de céréales ou légumineuses, regorgent de Glyphosate, composant principal du désherbant RoundUp, produit phare de Monsanto. Et, en plein pendant ces états généraux, le gouvernement vient d’annoncer la suppression des aides au maintien de l’agriculture biologique !
Négocier une meilleure répartition du prix entre les acteurs ne serait donc qu’une réponse nécessaire mais insuffisante. L’enjeu est bien de remettre en question l’ensemble du système, car les lois de marché et du productivisme organisent la mort à petit feu des paysans. Dès que l’offre dépasse la demande de 2 à 3%, les prix chutent de 20 à 30%, particulièrement pour la viande bovine, les céréales et le lait. Les intermédiaires de la grande distribution font alors pression à la baisse sur les prix pour préserver leurs marges. Et l’agro-industrie se porte bien, notamment… grâce au bio ! Les marges de la grande distribution sur les produits bio sont 91% plus importantes que celles réalisées sur les mêmes produits conventionnels (Enquête UFC Que Choisir, 2017).
Par ailleurs, la conquête agressive de parts de marché à l’international nuit au revenu des paysans et l’exportation massive de nos produits toujours moins chers tue les systèmes agricoles étrangers. Or le traité de libre-échange UE – Canada (CETA) est entré en vigueur le 21 septembre, avec la bénédiction du gouvernement actuel. Abaissement des normes sanitaires et hausse des émissions de gaz à effet de serre sont au programme. Le grand déménagement du monde est déjà à l’œuvre et va s’accentuer. Le Brésil s’engage actuellement dans une déforestation massive de l’Amazonie pour produire toujours plus de soja, destiné à nourrir le bétail européen, tandis que l’Europe lui vend massivement du blé. Ne serait-il pas plus sage de diversifier et relocaliser les productions respectives pour plus d’autonomie ?
Ces états généraux de l’alimentation, ne résoudront pas, ou peu, la crise structurelle dans laquelle nous sommes. L’urgence est à remettre en cause les manières de produire, de vendre et de consommer. En commençant par refuser ces projets symboliques comme la « ferme des 1000 vaches » dans la Somme. En 2009, des producteurs laitiers décident de monter un projet de ferme industrielle limité à une capacité de 500 vaches. Mais en 2015, un employé licencié témoigne : « Ils m’ont traité comme un chien et ils maltraitent les vaches »1. Un contrôle révèle vite que l’exploitation accueille 794 vaches, au lieu des 500 autorisées. Les députés Mathilde Panot et François Ruffin s’y sont rendus le 10 septembre dernier, pour apporter leur soutien aux opposants de l’association NOVISSEN.
Car il y a là une illustration concrète de l’impasse du modèle actuel : produire à moindre coût une matière première de mauvaise qualité, dans des conditions d’élevage insoutenables et avec des dégâts environnementaux irréversibles. Comme l’a bien résumé Loïc Prud’homme, député de la France Insoumise, à l’Assemblée Nationale : plutôt que la ferme des mille vaches, « nous préférerons toujours la vache des mille fermes ! ». Mille fermes, c’est-à-dire des exploitations à taille humaine, garantes d’une production d’aliments de qualité. Et, surtout, des fermes qui permettent d’assurer aux agriculteurs un revenu décent, à la hauteur de leur travail, tout en préservant leur santé et celle des consommateurs. Voilà ce que L’avenir en Commun propose : un monde basé sur la règle verte, où rien ne serait pris à la planète au-delà de ce qu’elle ne peut reconstituer en un an. Et la nécessité de mettre au centre l’urgence écologique, en clair, une ambition qui dépasse de loin ce qui se négocie aux États-généraux de l’alimentation.
Manon Dervin
1 : Marie Astier, « Aux Mille vaches : « Ils m’ont traité comme un chien et ils maltraitent les vaches » », sur reporterre.net, 8 juin 2015
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