« Halte à la manipulation de la science ». Ainsi s’intitule une tribune parue dans le journal Le Monde fin novembre et co-signée par une centaine de scientifiques. Ils appellent à prendre des mesures urgentes pour prévenir des dangers des perturbateurs endocriniens pour l’homme et l’environnement, et dénoncent aussi les manœuvres visant à « déformer » les preuves scientifiques.
Après les climato-sceptiques qui contestaient les preuves scientifiques de l’origine humaine dans le réchauffement climatique, ces produits chimiques sont aujourd’hui la cible des « marchands de doute » peut-on lire dans cet appel. Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme. Elles peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire des effets néfastes sur l’organisme d’un individu ou sur ses descendants (OMS, 2002).
Pour les signataires de cet appel, « le doute n’est pas permis, les perturbateurs endocriniens sont nocifs et l’Union européenne notamment doit agir ». Or, écrivent-ils « le projet d’établir une réglementation de ce type [...] est activement combattu par des scientifiques fortement liés à des intérêts industriels, produisant l’impression d’une absence de consensus, là où il n’y a pourtant pas de controverse scientifique ». Une stratégie de « la fabrication du doute », déjà utilisée « dans plusieurs domaines comme les industries du tabac et de la pétrochimie ou le secteur agrochimique ». Pour ces scientifiques « jamais l’humanité n’a été confrontée, selon eux, à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système hormonal : cancers du sein, du testicule, de l’ovaire ou de la prostate, troubles du développement du cerveau, diabète, obésité, non-descente des testicules à la naissance, malformations du pénis et détérioration de la qualité spermatique. La très grande majorité des scientifiques activement engagés dans la recherche des causes de ces évolutions préoccupantes s’accordent pour dire que plusieurs facteurs y contribuent, donc les produits chimiques capables d’interférer avec le système hormonal ».
Ce que propose la Commission européenne est « très éloigné des mesures nécessaires pour protéger notre santé et celle des génération futures ». Les signataires appellent à la création « d’un groupe ayant le même statut international et les mêmes prérogatives que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ». Placé sous l’égide de l’ONU, il « mettrait la science à l’abri de l’influence des intérêts privés ».
André Cicolella [1], chimiste et toxicologue, président du Réseau environnement santé (RES), explique que « les perturbateurs endocriniens sont une des causes majeures de l’explosion des maladies chroniques ».Pour lui, « les perturbateurs endocriniens sont le chaînon manquant dans l’analyse du lien entre santé et environnement. Les cancers qui progressent le plus dans le monde sont les cancers hormono-dépendants : sein et prostate. La proportion de plus de 60 ans a augmenté de 10 % seulement, ce qui est bien inférieur aux progressions des trois principales affections de longue durée (ALD) au niveau national : 24 % pour le cancer, 49 % pour l’accident vasculaire cérébral et 52 % pour le diabète. Ces données invalident tous les arguments du discours dominant sur le vieillissement démographique comme cause principale, voire exclusive, de la progression des affections de longue durée ».Et il ajoute : « Passer d’une politique de santé uniquement centrée sur les soins à une politique plus équilibrée qui se préoccupe aussi d’agir sur les causes. Il faut mettre la question de la crise sanitaire dans le débat public ».
L’industrie chimique et pétrochimique s’est mobilisée pour que « la définition des perturbateurs endocriniens soit aussi limitée que possible, parce qu’elle veut continuer à mettre ses produits sur le marché sans que n’intervienne le moindre régulateur » selon Stéphane Horel [2]. Une fois de plus, de grands multinationales, qui ne manquent pas d’adopter des chartes éthiques et de se revendiquer de la démarche de Responsabilité sociale des entreprises (RSE) ont des pratiques fort éloignées de leurs discours. La logique du profit maximum est décidément contraire à toute vraie démarche de progrès et au développement harmonieux de l’humanité.
Eric Thouzeau
Notes
[1] "Perturbateurs endocriniens : il faut agir sur les causes" dans Alternatives économiques, mars 2014
[2] Stéphane Horel, Intoxication, Éditions La Découverte
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