En cet été 1999, les Etats Unis obtenaient de l’OMC, la mise à mort de produits français de qualité comme le roquefort en représailles des entraves à la vente de leurs bovins aux hormones. Le 12 août 1999, environ 200 agriculteurs de la Confédération paysanne, du SPLB et autres militants procédaient au démontage du Mac Do de Millau en compagnie de José Bové. Parmi eux, étaient présents quelques camarades du groupe des Amis aveyronnais Pour la République Sociale.
Notre grand ami Maurice Frey alors secrétaire départemental socialiste à l’agriculture, s’était démené, comme d’habitude, pour expliquer et soutenir cette action. C’est lui qui avait pris l’initiative, avec un succès salué par la presse, de proposer à des brasseries de Rodez de ne plus vendre de coca-cola. Dès la rentrée de septembre, il sera en lien avec des lycéens pour une pétition de soutien à José Bové.
Aujourd’hui décédé, voici le texte qu’il avait rédigé, à chaud, et que nous avions publié dans notre journal départemental "L’Aveyron républicain et socialiste".
1) Une lutte symbolique, exemplaire, légitime, historique
Le démontage du fast food Mac Do de Millau représente un geste fondateur dans la lutte :
pour la protection de la nature et pour des aliments sains, plus généralement pour l’écologie
contre la marchandisation de la planète au profit des multinationales US
En 1999, l’Union européenne avait refusé le boeuf aux hormones d’Amérique du Nord. Ces bovins étaient élevés dans des parcs d’engraissement de 30000 bêtes avec du maïs OGM et des activateurs artificiels de croissance comme les hormones et les antibiotiques. Ces produits paraissent avoir des conséquences négatives sur la santé humaine. Une étude sérieuse a par exemple fait apparaître une progression de l’infertilité masculine parmi les enfants de mère ayant régulièrement mangé du boeuf aux hormones.
L’Union européenne ayant refusé six de ces hormones (estradiol, progestérone, testostérone, zeranol, acétate de melengestrol et acétate de trenbolone), les Etats Unis ont décidé de taxer 60 produits agricoles européens de qualité dont le fromage de roquefort.
Le démontage du Mac Do de Millau ne fut absolument pas une action minoritaire :
> il s’’intégrait dans une stratégie non minorisante de la Confédération paysanne aveyronnaise
> Il était l’aboutissement de plusieurs mois de sensibilisation des agriculteurs et de la population sur ce dossier
> Depuis plusieurs semaines, Millau était couvert de banderoles. Le soutien de la population locale était massif
> Il était appelé par le Syndicat des Producteurs de Lait de Brebis et par la Confédération paysanne.
> Il constituait le point d’arrivée d’une manifestation de masse
> Il se déroulait sur Millau mais l’explication de l’action développée par José Bové et les autres acteurs s’adressait à tous les citoyens français et même au monde entier
Ce défilé était parti de La Cavalerie (à 20 kilomètres de là) par la grande route. Le cortège bruyant, vivant, pittoresque, précédé d’une banda locale, n’a rien d’un "groupe visant une action minoritaire" même s’il ne comprend au départ que 300 à 400 personnes. Enfants (y compris des bébés dans leurs poussettes) et personnes âgées sont assez nombreux. Vers 11 heures du matin, six tracteurs pénètrent dans l’enceinte du chantier en présence des policiers. Aussitôt, une cohue se lance sur les éléments du chantier démontant et emportant tout dans la plus grande bonne humeur.
Le gérant du futur Mac Do s’époumone à expliquer qu’il utilisera à 80% des produits locaux, en tout cas européen. Son argumentation passe à côté de la motivation des manifestants, répondre dent pour dent à l’agressivité commerciale US. Symbole contre symbole "Vous taxez le roquefort, nous démontons un Mac Do".
Cette action illustre bien le vieux débat entre légitimité et légalité.
Le refus du boeuf aux hormones pour protéger la santé des consommateurs était évidemment légitime.
La taxation de 60 produits agricoles européens de qualité par les Etats Unis était légale de leur point de vue. Le soutien de l’OMC aux sanctions américaines ne les rendaient pas plus légitimes.
En l’absence de réaction de l’Union européenne, la lutte des paysans du Sud-Aveyron était légitime.
La façon dont l’institution judiciaire a réagi à cette action symbolique pose problème mais a finalement aidé à la popularisation du mouvement :
un prétendu respect des procédures qui passait complètement à côté de l’enjeu syndical, sociétal, écologique et politique
une logique répressive comme s’il s’agissait de droits communs avec arrestation médiatisée, mise en examen, détention provisoire,
Seulement trois mois après le démontage du Mac Do de Millau, les paysans du Larzac apportent 500 kg de roquefort lors du mouvement altermondialiste contre le G7 de Seattle à la barbe des douanes étatsuniennes.
Quelques mois encore : le procès des paysans concernés se déroule dans une ville de Millau devenue un centre de la contestation mondiale face à la malbouffe, face aux OGM et aux farines animales, face aux multinationales, face à l’hégémonie impérialiste yankee.
Interviewé par La Dépêche du Midi, José Bové résume bien l’importance du démontage du Mac Do dans le contexte de l’époque :
Depuis 1986, il y avait les négociations de l’Uruguay round du GATT qui devaient donner naissance à l’OMC. A ce moment-là, il était question de faire entrer l’agriculture dans les règles internationales du commerce et faire en sorte qu’elle ne soit pas un domaine à part géré par ses propres règles comme la souveraineté alimentaire. Cela a été une vraie rupture qui a amené la première modification de la PAC en 1992 où les prix intérieurs européens ont été alignés sur les prix mondiaux, ce qui a été un bouleversement.
Quand l’OMC est née, très vite on s’est rendu compte que ses règles en matière sanitaire étaient alignées sur le codex alimentarus, fait par l’agro-industrie qui permet les OGM, les hormones etc dans l’alimentation. Si un pays refuse, il doit faire la preuve que ces produits sont dangereux ! C’est un système à l’envers. On a mis le doigt les premiers sur cette situation qui a entraîné des conflits... cela a créé une dynamique. Après Seattle, il y a eu Cancun, Hong Kong...
L’OMC s’est ensuite pris les pieds dans ses propres contradictions : les Etats et les multinationles ont fait pression pour rempacer les accords de l’OMC par des accords de libre-échange. Ces derniers sont encore pires que les règles de l’OMC.
2) Tube de l’été 1999 en Aveyron : gardarem le roquefort et notre agriculture paysanne
De mémoire d’homme...
Il n’était pas courant de voir les aoûtiens dérangés dans le cadre des vacances.
Et pourtant le mois d’août 1999 est particulièrement agité dans notre département.
Le thème de l’agitation ?
La taxation à 100% par les Etats Unis des produits français de qualité : la moutarde de Dijon, l’échalote, le foie gras et, entre autres... le roquefort.
Ce dernier, fleuron de notre économie départementale, reconnu "royalement" par un édit de l’année 1411, septuagénaire de l’AOC ( Appellation d’Origine Contrôlée) la première en France, se trouve surtaxée par l’Oncle Sam, alias Etats-Unis, avec l’aval de l’OMC ( Organisation Mondiale du Commerce).
Alors... les réactions ne traînent pas
Une semaine après l’annonce des taxations, une brasserie de l’avenue Victor Hugo à Rodez informe sa clientèle qu’elle ne vend plus de coca-cola par solidarité avec les producteurs de roquefort. Elle a fait depuis des émules.
Le 12 août, les adhérents de la Confédération paysanne et du Syndicat des Producteurs de Lait de Brebis font une action symbolique auprès du Mac Do de Millau, entraînant inculpation et incarcération de cinq d’entre eux. (Qu’a-t-on fait aux incendiaires du Parlement de Bretagne ou aux casseurs de la ministre de l’environnement ???)
Cette action fait suite à celles déjà intentées contre les OGM (Organismes Génétiquement modifiés) à Agen, Montpellier, Rodez et toutes autres contre la "malbouffe" ou les polleurs.
Pourquoi ces réactions ?
La tendance à la mondialisation fait que les Etats Unis essaient d’imposer leur façon de vivre et surtout leur façon de produire au reste du monde.
Si l’Union européenne n’a pas été capable de prouver, dans l’immédiat, que le boeuf aux hormones était néfaste pour la santé humaine, il n’en demeure pas moins que les Européens refusent de manger cette viande.
Suite à ce refus, l’embargo américain sur les bananes n’a pas traîné, de même que la taxation de plusieurs produits, taxation validée par l’OMC.
Les négociations OMC de Seattle au coeur de l’affaire
Les 134 pays de l’OMC doivent se retrouver à Seattle pour une nouvelle négociation commerciale entre le 30 novembre et le 3 décembre. L’enjeu de cette négociation est d’importance, notamment pour l’agriculture européenne.
Les Etats Unis veulent faire disparaître dans cette négociation la préférence communautaire, supprimer les aides des OCM ( Organisations Communes de Marché), et faire accepter leur procédure d’agrément des OGM.
Le rôle du parti socialiste
Le parti socialiste, conscient des enjeux agricoles, pèsera de tout son poids sur le gouvernement et plus particulièrement sur Jean Glavany, Ministre de l’agriculture, pour maintenir dans nos régions, le plus possible d’agriculteurs fournissant des produits de qualité et diversifiés, entretenant l’espace tout en protégeant l’environnement.
Les CTE (Contrats Territoriaux d’Exploitation), issus de la nouvelle loi d’orientation agricole, doivent permettre d’aider cette agriculture durable ( c’est à dire aussi, viable et vivable).
Le combat contre une agriculture industrielle, ultra-libérale, faisant fi de la santé des hommes, n’est pas terminé.
Il ne fait que commencer
Maurice Frey
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