24 octobre 1945 Création formelle de l’ONU

vendredi 27 octobre 2023.
 

- A) « Il faut défendre l’ordre international, c’est à dire l’ONU » (vidéo de Jean-Luc Mélenchon)

- B) Les origines impériales des Nations Unies

- C) Faut-il repenser les missions de l’ONU (Ziegler, Andersson...)

- D) L’ONU : « Plus que jamais d’actualité ». Entretien avec Chloé Maurel

A) « Il faut défendre l’ordre international, c’est à dire l’ONU » (vidéo de Jean-Luc Mélenchon)

Pour visionner cette vidéo A, cliquer sur ce titre A ci-dessus.

B) Les origines impériales des Nations Unies

UNE INSTITUTION IMPERIALE ? Jan Smuts, qui avait participé à la mise en place de la SDN en 1919, est invité à la conférence constitutive de l’ONU à San Francisco en 1945, où il est fêté comme "vétéran" de l’internationalisme. Le texte qu’il rédige pour le préambule de la Charte de l’ONU, exprimant ses idées sur la civilisation et les droits des peuples, est adopté à l’unanimité. Or Smuts est le même homme qui, convaincu de la supériorité de la "race" blanche, met alors en place une politique ségrégationniste en Afrique du Sud. A l’époque, personne aux Etats-Unis, à part quelques communistes comme W.E.B. DuBois, ne trouve choquant ni contradictoire qu’un tel personnage rédige le préambule de la Charte de l’ONU. Smuts conçoit en fait les organisations internationales ( SDN et ONU) comme chargées de veiller à la continuation de la domination des" Blancs" sur le monde : elles auraient la responsabilité de contribuer à la " mission civilisatrice" entreprise par les empires coloniaux, mais aussi, et avant tout, de servir les intérêts du British Commonwealth. Sous l’influence de Smuts, la Charte de l’ONU est ainsi dépourvue de tout engagement en faveur de l’indépendance des colonies.

C) Faut-il repenser les missions de l’Organisation des Nations unies ?

Contributions de :

- Jean Ziegler Sociologue et vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme

- Chloé Maurel Historienne spécialiste des Nations unies, chercheuse associée à l’Iris

- Nils Andersson Éditeur et analyste politique

- et Anne-Cécile Robert Journaliste au Monde diplomatique

D) L’ONU : « Plus que jamais d’actualité ». Entretien avec Chloé Maurel, spécialiste des Nations Unies

Entretien avec Chloé Maurel, historienne et chercheuse associée à l’Ecole Normale Supérieure, spécialiste des Nations Unies, auteur d’Une brève histoire de l’ONU au fil de ses dirigeants (éditions du Croquant, 2017).

L’ONU est régulièrement critiquée pour son inefficacité à résoudre des crises majeures et son cadre est généralement outrepassé par les grandes puissances. Néanmoins, nous avons pu constater récemment que l’accord de cessez-le-feu russo-turc en Syrie a été soutenu à l’unanimité par le Conseil de sécurité. Cela signifie-t-il selon vous que le cadre onusien est actuellement en train de regagner en légitimité ?

L’ONU se trouve dans une grave crise de légitimité, car elle ne parvient plus, depuis les années 1990, à s’affirmer comme l’instance internationale capable de résoudre les conflits : dans les années 1990, l’ONU n’a rien fait pour permettre d’éviter le massacre de Srebrenica en Bosnie (1995), et c’est plutôt l’OTAN qui est apparu à même de résoudre le conflit en ex-Yougoslavie. De même, dans ces années, l’ONU a été impuissance et inactive par rapport au génocide au Rwanda (1994-1995).

En 2003, les Etats-Unis ont attaqué l’Irak, sans l’aval de l’ONU ; l’ONU s’est ainsi vue clairement désavouée, et elle a dû a posteriori entériner cette attaque, pour ne pas perdre la face.

Enfin, la guerre en Syrie, qui dure depuis 6 ans et a provoqué plus de 400 000 morts, n’a pas pu, pour l’instant, être résolue par l’ONU.

C’est, fin décembre 2016, de la Russie et de la Turquie qu’est venue l’impulsion pour la signature d’un accord de cessez-le-feu en Syrie, pas de l’ONU. Et si certes l’émissaire de l’ONU pour la Syrie participe aux pourparlers d’Astana (Kazakhstan) sur le règlement du conflit en Syrie, ces pourparlers sont bien organisés par la Russie, l’Iran et la Turquie, l’initiative n’en revient pas à l’ONU. On aurait attendu plus d’action, d’efficacité, de force d’initiative, de l’ONU, dans tous ces conflits.

En matière de sécurité internationale, comment l’ONU pourrait-elle améliorer sa gestion des conflits actuels, en tant que force d’interposition efficace ? Comment peut-elle renforcer son rôle face à des coalitions régionales à visées hégémoniques telles que l’OTAN ?

L’OTAN tend à marginaliser l’ONU, presque à la remplacer. L’ONU doit se réaffirmer d’urgence comme l’instance internationale la plus légitime pour résoudre les conflits dans le monde : plus légitime car elle est plus universelle (elle compte 193 États membres) et plus démocratique (1 État = 1 voix à son Assemblée générale) que l’OTAN, qui n’est qu’une coalition de pays occidentaux sous la domination des États-Unis.

L’ONU pourrait être plus efficace en dotant ses casques bleus de plus de pouvoir d’action : il faudrait qu’ils n’aient pas seulement un pouvoir d’interposition, mais la capacité d’imposer la paix, au besoin par la force. C’est ce qui était prévu par la charte de l’ONU de 1945, dans son chapitre VII ; cependant cette disposition n’a jamais été appliquée, car très vite le monde est entré en Guerre froide et les grandes puissances, en conflit, n’ont pas voulu confier ce pouvoir à l’ONU.

Or, cela vaudrait le coup aujourd’hui de réactiver ce dispositif.

C’est d’ailleurs ce qu’avait prôné Boutros Boutros-Ghali, dans son Agenda pour la paix en 1992, préconisant que les casques bleus aient plus de pouvoir d’action, et Kofi Annan aussi durant son mandat, en commandant le Rapport Brahimi (2000).

L’assemblée générale de l’ONU, dont le mode de décision est basé sur le principe 1 État = 1 voix, a permis l’adoption de nombreux textes progressistes (droits de l’homme, droits de l’enfant, droit des travailleurs, des peuples autochtones). Pour autant, leur mise en œuvre reste parfois limitée. Quels sont les principaux freins et comment améliorer selon vous la portée de ces textes ?

L’ONU a adopté de nombreux textes très progressistes, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), le Pacte sur les droits civils et politiques et le Pacte sur les droits économiques et sociaux (1966), la Convention internationale sur les droits de l’enfant (1989), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979), ou encore des textes particulièrement avancés socialement comme la Convention sur la protection de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, de 1990, ou la Déclaration des droits des peuples autochtones en 2007.

Or, souvent, le problème est que de nombreux États ne ratifient pas ces textes : ainsi les États-Unis ont refusé de ratifier nombre de conventions de l’ONU, comme celle sur les droits de l’enfant (en effet cette dernière prohibe l’exécution d’enfants, ce que certains États des États-Unis autorisent). La Convention sur les travailleurs migrants n’a été ratifiée ni par les États-Unis ni par l’Union européenne...

Enfin, un autre problème est que tous ces textes ont très peu de force contraignante : la Déclaration universelle des droits de l’homme n’a aucune force contraignante, et pour les autres conventions, un rapport est envoyé par les États tous les 5 ans à l’ONU et théoriquement il y a un contrôle de ces rapports par des experts, mais ce mécanisme de contrôle est beaucoup trop faible, dérisoire ! Beaucoup de conventions de l’Organisation internationale du travail (agence de l’ONU) sur les conditions de travail dans le monde sont chaque jour violées par des États et par des grandes multinationales, sans que rien ne se passe !

Alors que l’OMC, instance moins démocratique que l’ONU, a un pouvoir de sanction financière sur les États (avec son Organe de règlement des différends), pourquoi l’ONU n’aurait-elle pas elle aussi un pouvoir de sanction sur les États qui ne respectent pas ses règles et valeurs ?

A l’heure où les ultra-libéraux rêvent de tribunaux d’arbitrage privés où les multinationales pourraient condamner et faire payer des États, pourquoi l’ONU ne serait-elle pas dotée du pouvoir d’infliger des sanctions financières aux grandes multinationales qui enfreignent ses règles ?

Pensez-vous que l’initiative de la commission des droits de l’homme sur la création d’un instrument juridique contraignant permettant de faire condamner les entreprises multinationales enfreignant les droits de l’homme pourra aboutir ? Comment un pays comme la France pourrait-il concrètement appuyer ce groupe de travail afin d’en assurer le succès ?

Je pense que c’est effectivement une très bonne initiative et qu’il faut la soutenir. La France ferait bien de soutenir ce groupe de travail. C’est une initiative qui va dans le bon sens, à l’inverse de la tendance impulsée depuis les années 2000 par Kofi Annan qui tendait à accueillir les multinationales comme des partenaires privilégiés au sein du processus de décision de l’ONU, avec le « Global Compact ». Ce partenariat était en fait un marché de dupes qui servait aux multinationales à « blanchir » leur image en se targuant du label « ONU ».

Le problème est que l’ONU et ses agences, en manque de financements, tendent à rechercher de plus en plus le financement du secteur privé. Il faudrait trouver d’autres sources de financement pour l’ONU (taxe sur les transactions financières ? Sur les billets d’avion ?) afin de permettre à cette organisation et à ses agences spécialisées d’accomplir leur mission, en étant indépendantes du secteur privé.

Enfin l’ONU est également le cadre de discussion de projets sur l’environnement et la justice climatique, ce qui est peut –être l’enjeu le plus important de notre époque. Comment améliorer les instruments de l’ONU sur ces questions ?

C’est depuis longtemps que l’ONU s’occupe d’environnement. Déjà en 1968, avec la « Conférence de la biosphère », l’Unesco avait innové et introduit les préoccupations de la préservation de la nature au programme, créant quelques années plus tard les « réserves de biosphère », qui existent aujourd’hui dans le monde entier. Puis en 1972, l’ONU a créé le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), et en 1987 elle a introduit la notion, appelée à un grand succès, de « développement durable » (rapport Brundtland). Enfin, la COP 21 organisée par l’ONU en 2015 a été une réussite.

Malheureusement le PNUE est trop peu efficace. La France a proposé depuis plusieurs années de le doter de plus de budget et de pouvoir, de le transformer en une véritable agence spécialisée de l’ONU pour l’environnement, une « ONU de l’environnement ». Cela me paraît une bonne idée, il est urgent que l’ONU affirme son expertise et son action dans ce domaine, au risque de se faire supplanter par d’autres acteurs, comme des fondations privées, qui n’auraient pas forcément les mêmes objectifs ni les mêmes valeurs humanistes et progressistes que l’ONU.

En conclusion, je pense que l’ONU, loin d’être obsolète aujourd’hui, reste plus que jamais d’actualité au XXIe siècle, car aujourd’hui la plupart des grands problèmes mondiaux sont des problèmes transnationaux, c’est-à-dire des problèmes qui traversent les frontières étatiques : le problème de la pollution, du réchauffement climatique, le problème du terrorisme, le problème de la mafia, de l’évasion fiscale... Ce n’est pas à l’échelle d’un seul pays qu’on pourra les résoudre, seule une organisation mondiale et universelle, comme l’ONU, est à même de le faire. L’ONU représente l’idéal multilatéraliste, c’est-à-dire l’idée que c’est à plusieurs, en étant tous réunis autour d’une table, que les États peuvent trouver des solutions à leurs conflits ; or aujourd’hui on voit ressurgir l’unilatéralisme, avec la tendance de certaines puissances (Russie, États-Unis...) à vouloir agir seules. Il faut réaffirmer ce bel idéal multilatéraliste qui est au fondement de l’ONU, et le promouvoir.

L’ONU devrait faire plus pour se faire connaître et diffuser ses valeurs de paix, de progrès social et d’humanisme dans la population mondiale : on entend trop peu parler de l’ONU et de ses agences, sauf pour souligner leur impuissance. Il faudrait par exemple qu’il y ait une chaîne de télévision ONU, une chaîne de radio ONU, un vrai journal de l’ONU, diffusé mondialement, etc. Dans les années 1960, il y avait, en France et dans d’autres pays, des « clubs Unesco », il y avait un réel enthousiasme pour l’Unesco et l’ONU. Il faudrait retrouver cet enthousiasme. Cela doit passer aussi par une réforme de l’ONU pour en rationaliser le recrutement et le fonctionnement. Il y a beaucoup à faire pour relever l’ONU et la rendre plus véritablement efficace. Espérons que le nouveau Secrétaire général, Antonio Guterres, saura impulser cette dynamique.

Propos recueillis par Fréderic Martin


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