Faut-il repenser les missions de l’Organisation des Nations unies ?

vendredi 6 janvier 2017.
 

Avec les contributions de

- Jean Ziegler Sociologue et vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme

- Chloé Maurel Historienne spécialiste des Nations unies, chercheuse associée à l’Iris

- Nils Andersson Éditeur et analyste politique

- et Anne-Cécile Robert Journaliste au Monde diplomatique

L’ONU est paralysée

par Jean Ziegler Sociologue et vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme

Nous sommes face à une grave crise de l’ONU, les Nations unies sont en pleine déréliction. Ce qui se passe en Syrie est une boucherie effroyable. Face à cette situation, l’ONU est paralysée, on en est au huitième veto russe sur la question. Il faudrait supprimer le veto pour sortir de ce blocage  ! Ailleurs aussi, la situation est grave  : au Soudan, un dictateur massacre des peuples. La Chine empêche une intervention de l’ONU car le pétrole chinois vient en grande partie du Soudan. En Palestine également, le veto américain empêche toute action de l’ONU.

Aux États-Unis, depuis l’élection de Donald Trump, on sait que le prochain gouvernement américain sera très anti-ONU  : John Bolton, qui risque de devenir le prochain secrétaire d’État américain, a demandé l’abolition du Conseil des droits de l’homme de l’ONU  ! L’ONU risque même de disparaître, car les États-Unis de Trump refuseront peut-être de verser leur contribution financière…

Déjà, sous George W. Bush, les États-Unis s’étaient retirés de la convention de l’ONU contre la torture. Les États-Unis ne cessent d’affaiblir l’ONU par leur manque de coopération.

De plus, les États-Unis contrôlent tous les recrutements aux hauts postes aux Nations unies, au moyen de la CIA. Cela aboutit à une colonisation complète de la bureaucratie onusienne par les États-Unis.

En 2006, en quittant son poste de secrétaire général, Kofi Annan a déposé son testament, son projet de réforme, il a proposé qu’on supprime le veto en cas de crimes de masse, et il a suggéré une meilleure répartition et un meilleur système de roulement des États membres au Conseil de sécurité. Ce sont de bonnes idées, qui n’ont pas vu le jour alors, mais qui refont surface aujourd’hui, qui sont en train d’être réexaminées.

L’élection de Guterres est un pur miracle, c’est une très bonne nouvelle. Ce catholique de gauche est un homme généreux et humaniste. La Russie avait dit qu’elle mettrait son veto contre tout candidat venant d’un pays membre de l’Otan, or le Portugal est membre de l’Otan, mais finalement la Russie a entériné l’élection de Guterres (peut-être en échange d’un accord secret prévoyant qu’un Russe dirigera le département des opérations de maintien de la paix, poste clé). Guterres va certainement reprendre les projets de réforme de Kofi Annan, renforcer le Conseil des droits de l’homme.

Guterres est un homme bon qui est allé volontairement enseigner aux enfants de migrants dans les bidonvilles et qui a dirigé pendant dix ans, de 2005 à 2015, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Il va faire cesser la mainmise des États-Unis sur les recrutements à l’ONU.

L’ONU a une tâche immense à accomplir  : lutter pour la paix et contre les inégalités sociales. Toutes les cinq secondes, un enfant meurt de faim, alors que la planète est capable de nourrir toute la population mondiale…

Cette institution, en grave crise, est réformable

par Chloé Maurel Historienne spécialiste des Nations unies, chercheuse associée à l’Iris

Le nouveau secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, aura pour défi de rendre l’ONU plus efficace et démocratique  :

- efficace, car il faut donner plus de pouvoir d’application pratique à toutes ses décisions, ses résolutions, ses conventions, qui sont de beaux textes mais qui souvent restent lettre morte. L’ONU devrait pouvoir exercer, par exemple, des sanctions financières contre les entreprises qui ne respectent pas les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Il faut que l’ONU contrôle les multinationales, au lieu de les associer et de leur donner du pouvoir  ;

- démocratique, car il faut rendre plus transparent le recrutement et il faut mettre fin à l’injustice du veto, qui est un privilège que possèdent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (France, États-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie). Ce veto bloque souvent l’ONU, comme actuellement avec la crise en Syrie, où la Russie a, en 2016, à plusieurs reprises, opposé son veto à la résolution française proposant de faire cesser les frappes en Syrie.

Pour que l’ONU parvienne vraiment à faire régner la paix dans le monde, il faudrait que le système de sécurité collective qui avait été pensé par les pères fondateurs de l’ONU en 1945, et qui est exprimé dans le chapitre VII de la charte de l’ONU, à savoir que l’ONU puisse déployer de véritables forces militaires en cas de menaces contre la paix, et pas seulement des casques bleus dépourvus du droit d’intervenir vraiment dans les affrontements, voie enfin le jour. Cela permettrait à l’ONU de se réaffirmer par rapport à l’Otan, organisation dominée par les États-Unis qui tend de plus en plus à se présenter comme l’agence la plus à même de régler les conflits dans le monde. Or, l’ONU, organisation universelle, est bien plus légitime que l’Otan pour intervenir dans les conflits. En Syrie comme ailleurs, c’est l’ONU qui doit intervenir et non pas telle ou telle grande puissance de manière unilatérale.

Loin d’être devenue obsolète ou inutile aujourd’hui, l’ONU a un rôle majeur à jouer au XXIe siècle, car avec la mondialisation, beaucoup de problèmes sont devenus transnationaux, ils transcendent les frontières étatiques  : le problème des conflits, car aujourd’hui le conflit en Syrie a des répercussions sur les autres pays (pensons aux attentats en Europe), mais aussi le problème des inégalités dans le monde, qui s’accroissent de plus en plus, et que l’ONU pourrait s’attacher à réduire, ou encore le problème de la finance, que l’ONU pourrait s’employer à réglementer, le problème de l’évasion fiscale, que l’ONU pourrait interdire, le problème de la mafia, le problème de l’environnement, etc.

Loin de perdre confiance en l’ONU à cause de ses défauts et de sa fréquente inefficacité, il faut soutenir l’ONU, la faire mieux connaître du public et l’aider à s’améliorer, car c’est l’organisation internationale la plus démocratique  : en effet, avec son Assemblée générale, où quasiment chaque État du monde est représenté (193 États membres), elle est l’instance la plus universelle, bien plus que l’OCDE, par exemple, qui ne rassemble que 35 pays parmi les plus riches du monde, ou que les G7, G8, G20, qui ne sont que des clubs de pays riches. L’ONU, avec son système « 1 État = 1 voix » (à l’Assemblée générale) est également plus démocratique que des organisations comme le FMI qui ont un système de vote pondéré, c’est-à-dire où ce sont les pays les plus riches qui disposent de davantage de voix.

Ces institutions financières internationales – Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce et FMI – devraient d’ailleurs être placées sous la direction effective de l’ONU. Ainsi, l’ONU pourrait agir de manière juste et efficace pour réduire les inégalités dans le monde, en interdisant l’évasion fiscale, en contrôlant la finance.

La création de l’ONU, en 1945, était la victoire de l’esprit pacifiste, l’affirmation du multilatéralisme, belle idée progressiste. Il faut maintenir cet idéal multilatéraliste face aux velléités d’unilatéralisme. Il faut garder l’optimisme et l’espoir en l’ONU. Cette institution, actuellement en grave crise, est réformable et peut être améliorée.

La question du recours à la force armée

par Nils Andersson Éditeur et analyste politique

Faut-il repenser l’ONU  ? Selon le chapitre VII de la charte, le Conseil de sécurité a mandat, si toutes les mesures prises sont sans résultat, « de recourir à la force armée pour maintenir la paix et la sécurité internationales », c’est là une mission première de l’ONU. Principe de lucidité, la guerre est une réalité, la paix une aspiration  ; pour cheminer vers l’aspiration, il est des situations politiques ou militaires qui exigent le recours à la force  ; il est des conflits interétatiques, ethniques, confessionnels, de libération, qui nécessitent une interposition armée.

Cette mission est conduite sous deux formes dont décident les grandes puissances au Conseil de sécurité. Depuis 1948, il y a eu 71 missions, dont 16 en cours, de casques bleus, ces « soldats sans ennemis ». Le bilan, succès au Salvador, impasse en Palestine, génocide au Rwanda. Seconde forme d’intervention, depuis les années 1990, « droit d’ingérence humanitaire », puis « devoir de protéger », le Conseil de sécurité a autorisé ou couvert les guerres d’Irak, d’Afghanistan, de Libye, opérations conduites par des coalitions militaires, essentiellement occidentales.

Qu’est-ce qui distingue ces deux formes d’intervention  ? Les casques bleus sont, conformément aux principes de la charte, une force militaire multilatérale sous commandement de l’ONU  ; ils sont engagés dans des conflits dits de basse intensité, ce qui ne signifie pas qu’ils soient moins meurtriers – il y a eu cinq millions de morts lors des guerres du Congo. Les coalitions militaires internationales ou l’Otan interviennent avec un mandat de l’ONU, mais elle n’en a pas la direction, ce sont des guerres absolues dans toute leur énergie écrasante. Cette disparité ressort clairement des effectifs engagés – 300 000 hommes et plus lors des guerres d’Irak et d’Afghanistan, 110 000 pour les 16 opérations de casques bleus en cours. Disparité du coût des interventions, pour le Watson Institute, le coût pour les seuls États-Unis des guerres d’Irak, d’Afghanistan, du Pakistan et de Syrie de 2001 à 2016 est estimé à 4 792 milliards de dollars. Chiffre qui n’inclut pas les dépenses pour la sécurité intérieure, les coûts macroéconomiques de la guerre pour l’économie, les dépenses des autres pays, et ne met pas en dollars le coût des vies humaines, alors que, de 1948 à aujourd’hui, le coût des opérations des casques bleus est de 108,8 milliards de dollars, soit 2,25 % des dépenses des seuls États-Unis pour les guerres d’Irak, d’Afghanistan, du Pakistan et de Syrie. Disparité des moyens militaires engagés, puissance de feu et armes high-tech pour l’Otan et les coalitions militaires, alors qu’il est arrivé que des pays fournissent des casques bleus sans fusils ou équipés de fusils mais dépourvus de casques, ou munis de casques, mais sans moyens propres de transport.

Au vu des échecs militaires et humains des coalitions militaires et de graves carences lors des interventions des casques bleus, la défense de la paix et de la sécurité internationales, jusqu’au recours à l’intervention armée, comme il est inscrit dans la charte, demande une révolution copernicienne du mode d’intervention de l’ONU en mettant fin aux mandats de coalitions militaires de justiciers et au déploiement de troupes hétéroclites sous-équipées et que, comme le demande la charte, soit créée une force onusienne multilatérale dans sa composition et son commandement, une force en capacité d’intervention militaire, de négociation diplomatique, de rétablissement et de maintien de la paix. Devant la gravité de la situation, entre raison ou barbarie, à chacun d’entre nous, comme sujets de l’Histoire, d’en orienter le cours.

Une crise de civilisation qui appelle les citoyens à se mobiliser

par Anne-Cécile Robert Journaliste au Monde diplomatique

Le débat sur le rôle et l’efficacité de l’ONU est aussi ancien que l’ONU elle-même. Il se pose aujourd’hui dans un contexte très particulier, caractérisé à la fois par une recomposition géopolitique de grande ampleur et une crise du droit international issu de la charte de l’ONU. La crise des réfugiés montre, par exemple, que les membres permanents du Conseil de sécurité peuvent violer les obligations qu’ils ont contractées au nom du droit international humanitaire. L’Union européenne, qui est supposée être la championne de l’État de droit, accepte sur son sol des régressions politiques et juridiques considérables qui nous ramènent parfois à 1945. Le monde traverse donc une période dangereuse  : les rapports de forces entre puissances sont incertains  ; les valeurs fondamentales sont remises en cause au profit de luttes d’influences parfois cyniques, souvent brutales comme en Syrie. C’est ici qu’une fois de plus l’ONU prend toute son importance  : elle est le seul forum capable de réunir tous les acteurs de scène mondiale et le seul lieu où peut se construire un monde de valeurs communes assises sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que, depuis quelques années, les grandes puissances préfèrent créer des lieux de rencontres en marge de l’ONU (par exemple le G20)  : elles cherchent à échapper aux exigences de la charte de l’ONU pour maintenir ou renégocier leur place dans le monde. Il appartient donc aux citoyens de progrès de se mobiliser pour défendre et promouvoir l’ONU.Elle est souvent critiquée pour son manque d’efficacité, notamment en cas de guerre ou de crimes contre l’humanité. Certains proposent alors de modifier son organisation, et de, par exemple de supprimer le droit de veto. S’il est évident que le veto empêche de prendre certaines décisions cruciales, n’oublions pas qu’il a aussi sauvé l’ONU du déshonneur  : en 2003, c’est la menace du veto de la France qui a privé les États-Unis du soutien international dans leur attaque, par ailleurs stupide, contre l’Irak. Les choses ne sont donc pas aussi simples qu’il y paraît. La question de l’efficacité de l’ONU est, selon moi, moins une question de procédure qu’une question politique. Le vrai problème de l’ONU aujourd’hui tient au fait que les membres du Conseil de sécurité ne s’entendent plus. Pis, ils ont perdu l’habitude de discuter ensemble pour trouver des chemins d’entente sur les grandes crises internationales. Cela tient en partie à l’arrogance des États-Unis, et parfois des Européens, enversde la Russie depuis la chute du mur de Berlin. Washington, Londres et Paris se montrent dominateurs et donneurs de leçons, parfois manipulateurs comme en 2011 lors de la guerre contre la Libye. Moscou et Pékin estiment avoir été bernés par une opération qui a abouti à un résultat illégal  : le renversement d’un gouvernement. Quelle que soit la nature, détestable, du régime de Vladimir Poutine, on ne peut faire comme si la Russie n’était pas une grande puissance avec laquelle il faut compter (cela s’adresse particulièrement aux Européens).

C’est sur cette question politique qu’il faut travailler. Retrouver un espace de dialogue et un accord sur les grands principes constitue la clé des crises internationales et le moyen de remettre l’ONU au cœur du jeu mondial. Prenons l’exemple de la Syrie  : comment se fait-il, alors que nous sommes tous d’accord pour faire la guerre à Daech, que le Conseil de sécurité ne parvienne pas à s’entendre pour organiser une coalition  ? N’est-ce pas le signe d’un manque de dialogue et, malheureusement, de visions très obtuses, de la part de certains pays comme la France. La diplomatie française, depuis Alain Juppé et Laurent Fabius, se révèle très néoconservatrice, conduisant bêtement le monde à des impasses.

Nous traversons donc une crise de civilisation qui appelle les citoyens à se mobiliser pour rétablir les valeurs du droit international humanitaire, du multilatéralisme, de la négociation, du droit contre la force. In fine, ce sont les valeurs de la paix qu’il faut remettre en avant, alors que les classes dirigeantes se délectent de plus en plus du recours à la guerre, en Afrique ou au Proche-Orient.

Dossier publié par le quotidien L’Humanité


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