Aux 50 000 communistes appelés à se prononcer. Pourquoi je voterai pour Jean-Luc Mélenchon (Jean ORTIZ)

samedi 26 novembre 2016.
 

Intellectuel, fils d’un guérillero espagnol, auteur de plusieurs livres, fondateur du prestigieux festival « CulturAmerica » à Pau, chroniqueur à l’Humanité, membre du PCF, iconoclaste et indomptable, Jean Ortiz est de surcroît un spécialiste de l’Amérique latine où il a vécu quand il était correspondant de presse. Il n’est guère de dirigeants latino-américains progressistes qui ne le connaissent et ne voient en lui un frère.

La déclaration que vous allez lire nous est parvenue par téléphone, Jean Ortiz étant hospitalisé et dans l’impossibilité de correspondre par un autre biais.

On lira, en complément, la liste des autres communistes qui ont fait le même choix que Jean Ortiz.

Le Grand Soir

Je suis communiste depuis 50 ans j’assume ainsi une histoire familiale.

Je n’appelle pas à voter pour un homme, mais pour continuer à construire tout ce que nous avions commencé à construire ensemble, avec lui et avec des milliers d’autres.

J‘appelle à voter pour redynamiser et élargir un processus politique que nous avions impulsé tous ensemble.

J’appelle à voter pour un projet qui est un projet de rupture.

Sur cette base, j’appelle à voter pour Jean-Luc Mélenchon, qui fut le candidat charismatique du Front de Gauche.

Je n’ai pas l’impression ni l’intention de brader quoi que ce soit de mon idéal communiste.

En fait, le programme de Mélenchon n’est pas très éloigné du programme que nous avons élaboré et défendu en 2012. Et je ne mets donc à mon choix aucune condition.

Certes, il va falloir négocier des formes plus larges d’ouverture, mais en même temps, il ne faut pas oublier que nous sommes restés pendant des mois sur le quai de la gare.

Et il y a des gens qui n’ont pas fait ce qu’il fallait quand il fallait. J’ai été enseignant : quand un étudiant faisait du mauvais travail, je lui mettais une mauvaise note. Donc il y a des responsables de cette situation. Des responsables qui doivent s’expliquer. Et si l’on crée un climat de haine contre Jean-Luc Mélenchon (ce qui l’amène parfois à des déclarations contre les communistes qui me paraissent injustes) (1) c’est pour masquer l’impasse dans laquelle la direction du PCF a mené notre parti. Je suis très inquiet pour son avenir.

Je lis aujourd’hui dans l’Humanité sous la plume de la présidente du Conseil national du PCF, alors que nous allons voter samedi : « Il est possible qu’en février à la suite de la primaire du parti socialiste nous puissions entrevoir d’autres choix. Il faudra évaluer, comme nous y invite la résolution, quel type de rassemblement est possible : large rassemblement ou rassemblement partiel, avec qui et sur quoi, autour de la candidature communiste ? Celle de Jean-Luc Mélenchon, d’un candidat socialiste frondeur issu ou non de la primaire, ou d’un autre ? »

Cela relève d’une démarche politicienne. Et nous apparaissons comme les autres et non pas différents. Nous sommes assimilés aux partis politiques qui sont rejetés par la population, au système, et non pas identifiés comme facteur de rupture, de changement, de transformation sociale.

Rassemblement, rassemblement !

La "creusitude" de ce mot devient inquiétante. Nous n’avons à la bouche que le mot « rassemblement ». Mais tout le monde parle de rassemblement. On va finir par vouloir rassembler le rassemblement des rassemblés.

Il y en a assez d’être socialos-dépendants. Le responsable du désastre actuel, c’est le Parti socialiste, et son gouvernement, qui se servent du Front National comme repoussoir après l’avoir nourri. Il n’est pas question de voter pour le PS, quel que soit le vieux bourrin de bataille finalement choisi, ni de s’allier avec un parti qui a provoqué de tels dégâts après avoir fait une politique qui a ouvert au Front national une autoroute, réprimé les travailleurs, inféodé notre pays, « dégraissé » les Services publics, méprisé les « sans dents », etc. Et ce n’est pas en criant au loup (brun) qu’on fera reculer le FN, mais par une politique vraiment sociale et par le combat contre les inégalités.

Vivent les populistes !

Je suis très inquiet lorsque l’on traite Jean-Luc Mélenchon de nationaliste, populiste, souverainiste, antisémite, anti-immigration et j’en passe. La liste s’allongera au fur et à mesure que l’on s’approchera des échéances.

Mes camarades, je vous en supplie, pas nous et pas ça !

Prenons le temps du débat avec Jean-Luc Mélenchon, avec toutes les autres forces de la gauche alternative, sans stigmatisation, sans dénigrement, sans mettre sous la table notre projet communiste.

Quant au populisme dont on l’accuse, beaucoup de militants et d’intellectuels devraient prendre le temps de lire les revues rapportant le travail de recherche effectué en Amérique latine sur le thème du populisme, considéré là-bas comme progressiste. Lisons par exemple l’Argentin Ernesto Laclau (2).

Je vote pour une candidature Jean-Luc Mélenchon parce que je l’ai souvent vu à Caracas, à La Paz, à Quito (et pas pour frimer) alors que d’autres n’y étaient pas.

Nous sommes dans une situation semblable à celle qu’a connue l’Amérique latine des années 1990, de ce que l’on appelait les « ajustements structurels » mis en place par la Banque mondiale et le FMI.

Si la droite, quelle que soit sa figure, l’emporte au mois de mai 2017, nous allons vivre un traumatisme majeur comme jamais vu dans l’Histoire de ce pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faudra donc retrouver le chemin de la lutte des classes et de l’alternative au capitalisme dont le FN est le fruit pourri et vénéneux.

Pointons ce qui nous unit sur le fond

Je pense que l’heure est à la dynamique, au contenu politique, aux valeurs, à la radicalité, à l’anticapitalisme et non aux petits jeux boutiquiers d’appareils discrédités. Il y a, nous le savons tous, de grandes réserves de gauche véritable et d’alternatives en France. Camarades, travaillons à fédérer sur le fond, sur le structurel au lieu de cultiver ce qui nous divise.

Quant à ceux qui ont peur que Jean-Luc Mélenchon avale les communistes, je leur dis qu’il lui faudra un gosier très large pour m’avaler. Je suis bien dans mes baskets, fier de mon identité communiste, du combat des communistes, de leur Histoire avec à la fois l’héroïsme et les drames que l’on connaît. Je rentre d’Albacete, ville de ma famille, où étaient cantonnées les internationalistes Brigades internationales...

Je sais l’absolue nécessité aujourd’hui d’un vrai Parti communiste, combatif, démocratique et ouvert.

Alors, la vraie gauche, c’est foutu ? Mon œil ! Je reste communiste, plus que jamais et si l’on me traite de mélenchoniste, c’est que l’on n’a pas grand-chose à dire et que l’on n’a pas compris que je vote pour un processus révolutionnaire. Je vais voter ce week end pour la motion de soutien à Jean-Luc Mélenchon, tout en considérant que les deux questions posées aux militants me paraissent ambiguës et biaisées.

Quel gâchis !

Jean ORTIZ (Déclaration recueillie par Maxime Vivas, 22 novembre 2016).

Notes

(1) Note de Maxime Vivas : Surtout si l’on y ajoute des mots qu’il n’a pas dit, mais qui sont repris en boucle sur les réseaux sociaux, comme l’est partout le fameux « Taisez-vous Elkabbach » que Georges Marchais n’a jamais prononcé.

(2) Voir entre autres La raison populiste Ernesto Laclau (Ed. Seuil), traduit par Jean-Pierre Ricard.


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