Respecter le vote populaire

lundi 6 juin 2005.
 

Contribution à une réorientation du Parti socialiste déposée au Conseil national du 4 juin 2005.

Premiers signataires membres du CN : Jean-Luc Mélenchon, François Delapierre, Pascale Le Néouannic, René Revol, Catherine Picard, Jacques Serieys, Magali Escot, Bernard Pignerol, Pascale Boistard, Frédéric Vigouroux, Marianne Louis, Cédric Dupond, Julien Jusforgues, Christiane Souchon, Gabriel Amard, Muriel Fraquet, Yves Carroy, Bertrand Mertz, Laure Dael, Bruno Maranzana, Olivier Thomas, Raquel Garrido

Le peuple français vient de voter. Le premier devoir des socialistes est de l’entendre. C’est même l’urgence absolue du moment. Car le Parti socialiste appartient au peuple et non pas l’inverse ! La conception du Parti comme une fin en soi, une avant-garde qui appartient à elle-même, doit rester au placard aux côtés du centralisme démocratique et autres vieilleries. Ceux qui veulent aujourd’hui les ressusciter seraient-ils sourds aussi aux enseignements du passé ?

Quel qu’ait été leur avis sur le projet de Constitution européenne, tous les socialistes avaient souhaité que le peuple se prononce directement à travers un référendum. Son choix a été massif : la participation atteint 70%. Son choix a été clair : c’est non à 55%. C’est un choix incontestable qui s’impose à tous. L’électorat de gauche a choisi très majoritairement le « non ». Celui qui se reconnaît plus précisément dans le parti socialiste aussi. Nos électeurs ont donc voté à l’inverse des militants. Faut-il les en punir ou entendre le signal d’alerte que représente un tel décrochage ?

La réponse à cette question engage l’avenir du Parti socialiste. Entendre le peuple, c’est faire le choix d’une réorientation sociale et républicaine permettant de renouer avec le peuple et de s’engager dans une nouvelle union des gauches. Ce chemin de raison prend appui sur la mobilisation populaire qui s’est exprimée dimanche dernier contre le libéralisme et pour une autre Europe. C’est une chance historique pour les socialistes de mettre enfin en oeuvre la République sociale voulue par la grande masse des femmes et des hommes de gauche. Tenter à l’inverse de punir le peuple en s’en prenant aux socialistes qui ont été du côté du « non », apporter le concours du PS à l’entreprise de dénigrement du vote populaire menée par le gouvernement avec l’appui de quelques éditorialistes haineux, c’est engager le PS dans la logique mortifère de la SFIOisation. C’est faire le choix aventureux de s’opposer au mouvement profond qui s’est exprimé dans les urnes et renoncer aux principes fondateurs de notre parti.

LE « NON » DU 29 MAI EST MASSIF, POPULAIRE, DE GAUCHE ET PRO-EUROPEEN

Le peuple de retour dans les urnes

Le fait majeur du référendum est sans conteste le retour massif aux urnes des catégories populaires. Alors qu’il était devenu une loi invariante de chaque élection, le différentiel d’abstention entre bureaux de vote favorisés et bureaux populaires s’est spectaculairement réduit. Des abstentionnistes réguliers, qui n’avaient participé à aucun des récents scrutins, se sont rendus massivement aux urnes. Les sondages réalisés à la sortie des urnes permettent de préciser ce constat. C’est d’abord le vote ouvrier qui l’explique. Celui-ci a en effet été massif, la participation ouvrière dépassant légèrement la moyenne.

Un vote de classe

La détermination de classe du vote est beaucoup plus nette encore que lors du référendum de Maastricht. Le 29 mai dernier, 79% des ouvriers auraient voté « non » (Ipsos), soient 18 points de plus qu’à Maastricht, ainsi que 67% des employés (14 points de plus), tandis que 65% des professions libérales et cadres supérieurs auraient voté « oui ». Basculement par rapport à Maastricht, la fonction publique (64% des salariés du public pour le « non ») et la jeunesse (56% des 18-24 ans pour le « non ») rejoignent le « non », constituant ainsi un bloc sociologique nettement majoritaire. Le « non » est alors majoritaire dans toutes les tranches de revenu, sauf chez les ménages qui gagnent plus de 3000 euros par mois (qui votent à 63% pour le oui).

La victoire du « non » est aussi celle des classes actives. Par catégorie d’âge, le « non » est majoritaire dans toutes les tranches jusqu’à 60 ans : 56% chez 18-24 ans, 55% chez les 25-34 ans, plus de 60% entre 35 et 60 ans. Le « oui » ne devient majoritaire que chez les électeurs plus âgés (56% dans la catégorie 60-69 ans, 58% chez les 70 ans et plus). En terme de statut, le « non » a été largement choisi par les salariés du privé (56%) et du public (64%), les travailleurs indépendants (58%) et les chômeurs (71%). Il n’est minoritaire que chez les étudiants (46%, 54% pour le « oui ») et chez les retraités (44% contre 56% au « oui »).

Un vote de gauche

Au bloc sociologique majoritaire rassemblé sur le « non » correspond un rassemblement politique de l’électorat de gauche. Non seulement 63% des personnes qui se disent proches du PC, du PS ou des Verts ont voté non, tandis que 73% des sympathisants UMP-UDF-MPF choisissaient le « oui ». Mais en outre, l’électorat de gauche est nettement majoritaire au sein du vote « non » tout entier, contrairement à ceux qui voulaient faire croire que le « non » serait dominé par la droite extrême et l’extrême droite. 55% des partisans du « non » se déclarent proches du PS (30%), du PC (10%), des Verts (9%) ou de l’extrême-gauche (6%) tandis que le « non » souverainiste surtout porté par les proches du FN (19,5%) ou du MPF (4,5%) ne représente qu’un quart de l’électorat du « non ». A l’inverse, le vote « oui » est dominé par l’électorat de droite.

Un vote pro-européen

Les sondages réalisés en sortie des urnes confirment que le vote « non » est motivé principalement par l’exigence d’une autre Europe. Tous les instituts concordent sur ce point. Chez Ipsos, 57% des électeurs du « non » se disent « favorables à la poursuite de la construction européenne ». Pour CSA, 64% des « non » souhaitent que « la France demande qu’une nouvelle Constitution soit rédigée », contre 29% qui préfèreraient que l’Europe continue avec les traités actuels. A la Sofres, on note que 82% des votants pour le « non » estiment que la victoire du « non » n’affaiblira pas la construction européenne.

Il est donc temps que cessent les caricatures insultantes qui prétendent que le « non » du 29 mai est un vote populiste, exprimant des peurs irrationnelles, motivé par les seules questions nationales, dominé par la droite xénophobe et l’extrême droite. Quel qu’ait été leur choix, les socialistes doivent reconnaître que le « non » du 29 mai a été au contraire un vote populaire, civique, de gauche et altereuropéen.

LE VOTE DU 29 MAI DOIT ETRE RESPECTE ET ENTENDU

Le peuple français a voté souverainement. Le « non » est maintenant le choix de la France. Chacun doit donc s’y soumettre. Refuser de le faire, c’est creuser le décalage qui existe entre le peuple et sa représentation, c’est aggraver l’état d’urgence politique que connaît le pays et qui prépare des lendemains explosifs dans une ambiance de crise de régime.

Le projet de Constitution européenne doit être retiré

On ne pourra appliquer cette Constitution au peuple français qui l’a rejeté. Le fera-t-on revoter comme certains le prétendent déjà ? Nous ne pourrions accepter un tel mépris de la souveraineté populaire. La France ne ratifiera donc pas ce projet de Constitution. Or tout le monde reconnaît que la construction européenne ne pourrait pas continuer sans la France. Depuis, les Pays-Bas ont rejeté ce texte à leur tour. Les deux pays fondateurs de l’Union qui se sont exprimé jusqu’ici par référendum n’ont pas voulu de ce projet de Constitution. Celuici est donc mort. Il doit être retiré.

Or pour l’instant les principaux dirigeants européens se refusent à l’admettre. Le président de la Commission comme le président actuel de l’Union prétendent qu’il faut poursuivre le processus de ratification pour que chacun puisse voter. Mais retirer dès maintenant le projet de Constitution, ce n’est pas interdire aux peuples qui ne l’ont pas encore fait de se prononcer, c’est ouvrir au contraire le véritable débat constituant en Europe. Celui-ci a été une fois de plus confisqué par la procédure antidémocratique utilisée pour adopter le projet de Constitution qui combine une convention non élue et l’opacité des discussions intergouvernementales. Le niveau extrêmement élevé du débat démocratique français l’a montré. L’irruption du peuple sur la scène européenne rend possible un véritable débat citoyen associant tous les peuples d’Europe, seule manière légitime pour des Républicains d’élaborer une constitution. Le Parti des Socialistes européens doit porter cette exigence. Cela ne se fera pas si les socialistes français ne portent pas cette proposition en son sein. Le PS devra donc prendre dès maintenant une initiative en direction de ses partenaires pour l’ouverture d’un véritable processus constituant en Europe.

En France, l’attitude du président de la République bafoue le vote des Français. Chirac n’entend pas en effet pour l’instant demander à ses partenaires européens que la discussion reprenne. La position des socialistes doit être là aussi sans ambiguïté : le « non » du peuple français doit être respecté. C’est maintenant la position de la France. Le PS doit prendre l’initiative avec toute la gauche de manifestations dans tout le pays au moment du prochain sommet européen, le 16 juin prochain, pour imposer au président de la République de respecter la volonté générale exprimée par le vote.

En France, le retour aux urnes est indispensable

En France, la nomination du gouvernement Villepin-Sarkozy montre s’il en était besoin que le retour aux urnes est devenu la seule solution raisonnable. Isolé dans son pays, le président de la République l’est désormais dans son propre camp. Il s’est retranché dans un bunker avec ses proches. Mais il a dû y accepter un serpent à sonnettes. Il ne reste déjà plus grand-chose de l’autorité du président de la République : celle du Premier ministre est ruinée avant même qu’il ait commencé son travail. Cet exécutif agonisant est donc à la merci de la moindre des difficultés. Or celles-ci s’annoncent redoutables car ce gouvernement a clairement choisi une ligne d’affrontement avec le peuple. Nos compatriotes ne s’y sont pas trompés. Ils ont reçu la nomination de ce gouvernement comme une nouvelle provocation après un vote massif contre les politiques libérales. Les premiers gestes du nouveau Premier ministre font craindre le pire : son discours contre le chômage, pour lequel il se déclare prêt à s’inspirer d’exemples étrangers, s’accompagne d’une première visite officielle à... une ANPE. Ce ne sont pourtant ni les chômeurs ni le service public de l’emploi qui sont en cause, mais bien les politiques économiques et sociales appliquées en France et en Europe, sous la coupe des ayatollahs libéraux et de la Banque Centrale indépendante. Dans le même temps, on apprend que le premier train privé a circulé sur les rails de la SNCF, de nouvelles menaces pèsent sur le droit du travail et le statut de la fonction publique, des directives européennes non transposées refont surface, on parle d’une session parlementaire extraordinaire pendant l’été. Le décalage entre les orientations du gouvernement et les exigences du peuple est à son comble. La politique de la France se poursuit sans aucune considération pour l’intérêt général de son peuple. L’illégitimité du pouvoir atteint un paroxysme. Le pays s’installe dans une crise politique et institutionnelle majeure. En démocratie, la seule manière de la résoudre, c’est le retour aux urnes. Telle doit être la position du Parti socialiste.

Vers une nouvelle union des gauches

En soutenant le « oui », le Parti socialiste s’est tenu à l’écart de l’union des gauches qui s’est construite dans la campagne. Les propos qui furent malheureusement parfois utilisés par des dirigeants éminents de notre parti ont blessé de nombreux citoyens engagés pour le « non ». Il ne faut pas laisser s’envenimer ces plaies. Il faut recréer au plus vite les conditions d’un nouveau rassemblement de la gauche.

C’est encore possible, mais notre parti ne pourra pas y parvenir s’il fait l’économie d’un renouvellement profond de son orientation pour se mettre en ligne avec ce vote. Des changements de nos porte-parole seront également nécessaires. L’heure est grave. Un seul souci doit désormais nous guider : tout faire pour montrer que le Parti socialiste a entendu le message de ses électeurs.

A ces conditions, la victoire du « non » rend possible une nouvelle et exaltante union des gauches. La dynamique unitaire qui s’est manifestée dans la campagne du « non » a répondu à l’attente massive du peuple de gauche. Ce rassemblement s’est réalisé en lien étroit avec la mobilisation populaire. Il s’est effectué sans exclusive. Il s’est ancré dans une opposition radicale à la droite et à sa politique libérale. Il s’est nourri de l’engagement civique de milliers de citoyens qui ont tenu à exercer librement leur devoir républicain. Quelle force, quelle énergie par rapport à la formule de la gauche plurielle, accord réduit entre appareils sans intervention populaire et sans contenu commun clairement défini ! Il faut maintenant élargir ce rassemblement à tous ceux de nos concitoyens qui ont choisi le « oui » en considérant légitimement que c’était le moyen d’avancer vers une Europe plus sociale et démocratique. C’est dans cette voie que résident les espoirs de prochaines victoires pour la gauche. C’est là qu’existent les ressorts d’une action de transformation sociale durable et résolue. C’est là que se trouve la place des socialistes. Une politique de représailles internes contre ceux qui ont eu la lucidité de défendre le « non » préparerait à l’inverse de nouveaux désastres.

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