Jean-Claude Mailly : « Les questions identitaires servent à occulter le débat économique et social »

jeudi 8 septembre 2016.
 

Le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, se rendra à la Fête de l’Humanité. Une première. Le syndicaliste, qui participera à un débat sur la loi travail au forum social, veut poursuivre la mobilisation. Il s’inquiète de la montée des questions identitaires dans le débat public et de la stigmatisation d’une partie de la population française.

HD. Vous êtes le premier secrétaire général de Force ouvrière à vous rendre à la Fête de l’Humanité. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?

Jean-Claude Mailly. Je me suis déjà rendu à la Fête de l’Humanité à titre personnel. Étudiant, j’y ai vu des concerts. Cette année, la proposition m’a été faite de participer à un débat avec les six responsables des organisations syndicales de salariés, d’étudiants et de lycéens opposés à la loi travail. Il est tout à fait logique d’accepter. Force ouvrière tient sa place... Quand on a des convictions, on les défend partout.

HD. Compte tenu de l’histoire du mouvement ouvrier et syndical, votre présence est tout de même un symbole...

J.-C. M. On peut y voir un symbole. Pour moi, ce n’en est pas un. Depuis le début de ce conflit, l’unité d’action a bien fonctionné. Cet été encore, nous avons pris des initiatives communes. La lutte contre la loi travail n’est pas terminée.

HD. Que répondez-vous à ceux qui s’interrogent sur la poursuite de la mobilisation alors que la loi a été adoptée et promulguée ?

J.-C. M. Ce n’est pas parce qu’une loi est adoptée qu’on n’a plus le droit de la contester. Cette loi est une loi néolibérale. L’acte fondateur du quinquennat de François Hollande a été l’acceptation sans discussion du pacte budgétaire européen. Qui a enfermé la politique économique de la France dans un carcan libéral. Dans un premier temps, le gouvernement a abordé la question de la compétitivité sous l’angle quantitatif avec le crédit d’impôt aux entreprises du CICE, puis le pacte de responsabilité. L’objectif était d’alléger « le coût du travail ». Dans un second temps, le gouvernement s’est attaqué à l’aspect qualitatif de la compétitivité. D’abord avec le fameux accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi de 2013 qui a donné lieu à une loi, puis la loi travail. Nous continuons à nous opposer à de nombreux aspects comme le licenciement économique ou l’inversion de la hiérarchie des normes, qui donne la priorité aux accords d’entreprise sur les accords de branche. Aujourd’hui, celle-ci concerne uniquement le temps de travail, mais je rappelle que le processus de transformation du Code du travail doit durer 2 ans. Le risque existe que l’inversion de la hiérarchie des normes s’applique demain au contrat de travail ou aux salaires.

HD. Par quels moyens comptez-vous continuer à vous opposer ?

J.-C. M. D’abord, il y a les décrets d’application dont le premier ministre a dit qu’ils seraient tous publiés d’ici 3 mois. La mobilisation peut influencer leur contenu. À FO, nous allons nous doter d’un système de veille interne. Il s’agit d’être vigilant sur la façon dont la loi va entrer en vigueur. Ensuite, des recours juridiques sont toujours possibles. Premièrement, le Conseil constitutionnel n’a pas validé l’ensemble de la loi. Contrairement à son habitude, il n’a examiné que les points précis sur lesquels il a été saisi et n’a pas élargi son examen à l’ensemble du texte. Il laisse la possibilité de déposer des questions prioritaires de constitutionnalité. Deuxièmement, la mise en place de la loi va générer des contentieux. FO accompagnera les salariés concernés jusqu’en Cour de cassation si nécessaire. Troisièmement, nous sommes en train de vérifier si les dispositions de la loi sur les congés payés ou la triannualisation du temps de travail ne sont pas contraires au droit européen. Nous allons continuer aussi à nous mobiliser sur le terrain. D’ores et déjà un meeting commun est prévu avec Philippe Martinez à Nantes le 7 septembre prochain à l’initiative de nos unions départementales respectives de Loire-Atlantique. Il y a enfin la journée d’action du 15 septembre.

HD. Quelle forme prendra-t-elle ?

J.-C. M. Manifestations, rassemblements... tout est envisageable. Nous devons prochainement nous réunir en intersyndicale pour en décider. La mobilisation va se poursuivre. Probablement sous d’autres formes que celles du printemps. Mais une chose est sûre, nous ne lâcherons rien sur ce dossier.

HD. Comment expliquez-vous la détermination des salariés à obtenir le retrait du texte ?

J.-C. M. Loin de la décourager, le passage en force du gouvernement a dopé la mobilisation. C’est la première fois qu’un gouvernement essaie d’imposer un texte multiminoritaire. Ce texte est minoritaire parmi les syndicats puisque les deux organisations qui l’ont soutenu ne représentent que 35 % des salariés. Il est minoritaire parmi le patronat au moins sur la question de la hiérarchie des normes. L’UPA y est hostile et la CGPME aussi d’une certaine façon. Ce texte est minoritaire parmi les députés au point que le gouvernement a dû recourir au 49-3. Enfin il est minoritaire dans la population. Les sondages ont montré que 7 Français sur 10 y sont opposés. Certes la grève ne s’est pas généralisée mais les manifestations ont duré 4 mois. C’est inédit sous un gouvernement de gauche et surtout dans un contexte particulièrement difficile avec les violences en marge des cortèges. D’ailleurs, jamais, je n’aurais imaginé que nous aurions à nous battre pour préserver la liberté de manifester. Nous y sommes parvenus. Je dois dire que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a eu une attitude républicaine dans ce dossier.

HD. La baisse de 0,3 % du taux de chômage au sens du BIT marque-t-elle le début de l’inversion de la courbe ?

J.-C. M. Non, nous sommes au mieux dans une phase de stabilisation. Beaucoup des emplois créés sont des emplois précaires. N’oublions pas non plus le phénomène du halo du chômage, c’est-à-dire les 1,5 million de demandeurs d’emploi qui, parce qu’ils n’ont droit à rien, renoncent à s’inscrire à Pôle emploi. Il faut aussi prendre en compte les effets statistiques des mises en formation qui font sortir les demandeurs d’emploi de la catégorie A. On ne parviendra à faire reculer véritablement le chômage qu’avec une croissance d’au moins 1,6 %. Or, les économistes doutent maintenant que la prévision de 1,5 % soit atteinte.

HD. Comment, selon vous, atteindre les 1,6 % de croissance nécessaire à la baisse du chômage ?

J.-C. M. Au niveau européen, il faut rompre avec la logique du pacte budgétaire et des politiques d’austérité dont on mesure qu’elles nuisent à l’idée européenne elle-même. Plus ça va, plus les citoyens considèrent l’Europe, non plus comme un facteur de paix ou de progrès social, mais comme un instrument de remise en cause des acquis sociaux. À l’inverse, il faut mettre en oeuvre le plan d’investissement dans les infrastructures de 260 milliards d’euros par an sur 10 ans que propose la Confédération européenne des syndicats. Au plan national, il faut soutenir le pouvoir d’achat. Non pas par des mesures fiscales comme une nouvelle réduction du nombre de salariés soumis à l’impôt sur le revenu. L’impôt sur le revenu est l’impôt le plus juste. Tout le monde doit le payer même si c’est symbolique. Augmenter le pouvoir d’achat passe par la question salariale. Il faut augmenter le SMIC. Il faut arrêter avec les aides comme le pacte de responsabilité ou le CICE. Il faut recibler les aides aux entreprises. Une aide ciblée, c’est comme un contrat. Il s’agit de conditionner l’aide à des investissements. Et si les engagements ne sont pas tenus, alors les entreprises doivent rembourser. Il faut une réforme fiscale car le système actuel est de plus en plus injuste et inefficace. Le consentement à l’impôt en dépend. Les citoyens acceptent de payer l’impôt quand celui-ci est juste. Pas quand ils ont le sentiment qu’ils paient, alors que d’autres, en particulier des multinationales, y échappent. Il faut enfin soutenir la dépense publique et sociale. C’est bon pour l’activité tandis que la fermeture des services publics sur les territoires remet en cause l’égalité républicaine. Elle nourrit un sentiment d’abandon qui favorise le développement des mouvements de rejet de l’autre.

HD. Après la polémique sur le burkini, êtes-vous inquiet du climat délétère qui s’installe ?

J.-C. M. Le climat est pesant après l’attentat terroriste de Nice. Cela a conduit à lever le pied sur les actions revendicatives que nous avions prévu de mener contre la loi travail. Cela dit, on en fait beaucoup sur le burkini. À titre personnel, je n’y suis pas favorable. Cela ne fait pas avancer la condition féminine. Mais je crains que les questions identitaires deviennent un marqueur de la campagne présidentielle alors que les questions de fond sont économiques et sociales. Il y a un risque que cela se répercute dans l’entreprise. Pour FO, l’entreprise n’est ni un lieu d’expression politique ni un lieu d’expression religieuse. Chacun est libre de ses opinions ou de ses convictions religieuses. La laïcité affirme juste que celles-ci doivent rester privées, mais la laïcité c’est la tolérance. Ce que je crains le plus, c’est que les questions identitaires nourrissent amalgames et tensions. Il y a un risque de stigmatisation. Or, j’ai le sentiment que, tant du côté de l’opposition que du président de la République, l’on met les questions identitaires en avant.

HD. Afin d’écarter les questions économiques et sociales ?

J.-C. M. Lors de la conférence sociale de 2015, François Hollande avait pointé le risque politique et démocratique que représentaient les élections régionales. Je suis intervenu pour dire que ce risque était réel et que le meilleur moyen d’écarter la menace était de s’attaquer aux problèmes économiques et sociaux. Partout en Europe, les mouvements de rejet de l’autre prospèrent en effet sur la crise économique et sociale. Le président de la République m’a répondu que cela n’était pas essentiel et que l’essentiel, ce sont les questions identitaires. Je ne dis pas que les questions identitaires ne sont pas réelles. Je pense qu’elles ne doivent pas être utilisées pour occulter les questions économiques et sociales et l’absence de positions réellement différentes entre les uns et les autres. Je n’ai entendu personne ni du côté de l’opposition, ni du côté du gouvernement prendre position par exemple contre la règle des 3 % de déficit budgétaire. Si les candidats à la présidentielle ne débattent que de la question identitaire, cela veut dire que, sur le reste, c’est la pensée unique.

HD. D’où la crainte que vous avez exprimée que le prochain président de la République tape vite et fort ?

J.-C. M. Vu la réduction de la durée de l’état de grâce, les nouveaux élus agissent de plus en plus vite. Quels que soient les résultats de l’élection. Je m’attends, dès l’élection du futur président, à des mois difficiles. Cela dit, FO ne donne aucune consigne de vote ni au premier, ni au second tour.

Entretien réalisé par Pierre Henri Lab pour l’Humanité Dimanche


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