Carlos Ghosn a gagné 16400000 euros en 2015

samedi 4 juin 2016.
 

Le PDG, le droit et l’intérêt général (Patrick Le Hyaric, Humanité Dimanche )

Les montants indécents des rémunérations des patrons des grandes entreprises donnent la nausée aux cœurs les plus solidement accrochés tant ils contrastent avec la faiblesse des salaires de celles et ceux qui n’ont que leur travail ou leur retraite pour vivre. Les premiers prônent les sacrifices aux seconds, confrontés à la précarité et au chômage, dans une société qui se caractérise d’abord par le niveau de ses inégalités.

Après celui de PSA qui vient d’empocher 5,24 millions d’euros en 2015, soit le double de l’année précédente, et celui de Sanofi qui vient de se distinguer dans l’onéreuse outrance en saturant son portefeuille de 16,7 millions d’euros pour la seule année 2015, voici M. Ghosn devenu emblématique d’un système de plus en plus rejeté. Le double patron des entreprises Renault et Nissan vient en effet de se faire octroyer 1,2 million d’euros de salaire fixe et 7,2 millions en comptant la part variable. À cela s’ajoutent 8 millions d’euros au titre de PDG de Nissan. M. Ghosn touche donc 764 fois le Smic, quand les salaires de ses ouvriers sont bloqués au nom de la sacro-sainte « compétitivité ». Notons que cette rémunération patronale est quatre fois supérieure à celle de la moyenne de ses collègues européens dont, à notre connaissance, aucun d’entre eux ne couche sous les ponts. Et que dire du dirigeant de PME dont les crédits à rembourser et les pressions des donneurs d’ordres malmènent sans cesse la gestion. Ce n’est pas une dérive, mais un dérivé du système capitaliste financier. Le PDG n’est pas réellement rémunéré en fonction de ses performances qui de toute façon devraient être partagées avec le travail des ouvriers, des ingénieurs et des techniciens. Il ne l’est pas non plus en fonction de l’intérêt général humain et environnemental. Ce sont le cours de la Bourse et les dividendes versés aux actionnaires qui sont déterminants, critères d’autant plus favorables pour le PDG que la pression sur les salaires des personnels et sur l’emploi est forte. Le ministre des Finances a beau jeu de critiquer le pactole encaissé par Carlos Ghosn et de tancer dans les médias l’indécence de la situation, mais n’oublions pas que la moitié est composée d’actions dites gratuites dont la fiscalité a été considérablement allégée grâce à l’article 34 d’une loi baptisée pour la « croissance et l’activité », imposée sans débat au Parlement à l’aide du fameux article 49-3. Cette loi s’appelle « la loi Macron »  !

Il ne s’agit donc pas d’un « dysfonctionnement en matière de gouvernance » comme se plaît à le répéter le ministre des Finances, mais bel et bien d’un problème politique auquel sa majorité avait justement promis de s’attaquer en 2012  : celui du règne sans partage de la finance sur l’économie et la production. Les dispositions législatives prises depuis quatre ans ont, au contraire, contribué à son expansion dans des proportions inédites.

Ceci s’inscrit dans la lignée de choix qui en détournant le sens du mot réforme n’ont eu de cesse d’administrer des potions libérales censées doper la croissance et l’emploi et qui n’ont produit que l’inverse  : déréglementations des marchés financiers, modifications des normes comptables, possibilité offerte aux grandes entreprises de racheter leurs propres actions afin d’augmenter la valeur de celles déjà détenues par les actionnaires (1), création d’une monnaie unique placée hors contrôle politique et démocratique, destruction des frontières commerciales, exonérations continues des contributions des grandes entreprises au bien commun, coups de canif contre le droit du travail et maintenant attaque en règle du Code du travail lui-même, avec le projet d’en fabriquer un différent pour chaque entreprise. Un droit à la carte remplaçant la force de la loi générale au profit d’un ordre régi par des liens d’obligations et d’objectifs du salarié envers l’employeur. Le même lien d’allégeance et de soumission se construit dans les rapports entre les entreprises donneuses d’ordres vis-à-vis des PME sous-traitantes, les agriculteurs face à l’industrie agroalimentaire et aux grandes surfaces. Le rapport des institutions européennes aux États nations est de même nature. Celui que prépare le traité transatlantique aussi  !

Le capitalisme financier ne considère plus les êtres humains que comme une masse informe de producteurs ayant de moins en moins de droits. Pour faire fonctionner un tel système, les PDG gagnent 476 fois le SMIC quand tous les autres, à des degrés divers, sont considérés comme des moins que rien. « On vaut mieux que ça », répliquent les participants aux Nuits debout et à la mobilisation contre la loi de précarisation de l’emploi. L’économie sociale et solidaire montre que se cherchent et s’expérimentent de nouvelles formes de gestion, plus efficaces parce que plus sociales, plus justes et démocratiques. Dans l’immédiat, le pouvoir devrait prendre ses responsabilités en plafonnant les salaires des patrons. Pourquoi ne pas concevoir une échelle allant de un à vingt  ?

Réduire ces rémunérations indécentes obligerait à poser la question du pouvoir sur la finance, sur l’orientation des crédits publics vers les besoins humains. Au-delà, traiter enfin l’enjeu de l’intérêt général, celui du progrès social dans les conditions contemporaines, avec prise en compte de celui crucial de l’environnement et du climat, n’oblige-t-il pas à poser de manière renouvelée celle de la propriété des grands moyens de production et de financement  ? Une appropriation sociale et réellement démocratique n’est-elle pas devenue un levier pour dépasser le système actuel de privatisation des richesses créées par le plus grand nombre et progresser vers la justice  ? Autant de pistes de recherche et d’action que le courage politique commanderait d’explorer au plus vite pour sortir d’un système de plus en plus inégalitaire.


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