Moyen Orient Cessons d’avoir une lecture néoconservatrice des événements

jeudi 31 mars 2016.
 

Attentats tragiques encore… à Bruxelles cette fois. Il est finalement secondaire face à ces tragédies qui se répètent de savoir quelle organisation spécifique a agi. Nos dirigeants et la plupart des médias sont eux tombés dans le piège et ont érigé l’organisation Etat islamique en nouvel ennemi suprême du moment. Loin de nous l’idée de nier qu’il s’agit d’un ennemi, notamment de la France. Mais il ne s’agit que de la pointe de la lance. On le renforce en l’érigeant en monstre au lieu de chercher à comprendre le contexte dans lequel il a puisé ses racines. De ce point de vue les alliances dans lesquelles nos dirigeants ont placé la France sont plus que problématiques.

La vague actuelle d’attentats est commise par des jeunes ralliés à une mouvance terroriste protéiforme qui a trouvé dans le salafisme wahhabite une motivation idéologique essentielle. L’origine de l’expansion de cette idéologie se trouve en Arabie Saoudite, qui a pendant plusieurs décennies financé sa diffusion, alors qu’elle avait été historiquement rejetée par la plupart des écoles et traditions de l’islam. En arrière-fond, les États-Unis ont joué avec le feu depuis au moins le début de la première guerre d’Afghanistan quand les moudjahidines ont été armés, entraînés et financés par la CIA au gré de leurs intérêts du moment. Le coup de grâce a été donné en 2003 avec l’invasion de l’Irak, qui a provoqué l’implosion d’un Etat devenu par la suite un aimant à djihadistes. Nombres des plus expérimentés de ces derniers fournissent aujourd’hui des stratèges essentiels sans lesquels les jeunes transformés en kamikazes seraient inoffensifs. Les parrains du Golfe

D’aucuns objecteront que les parrains du Golfe se seraient ravisés. Après les attentats sur son sol en 2003 l’Arabie Saoudite a réalisé qu’elle était désormais ciblée, pour plusieurs raisons, par ses enfants djihadistes. Elle a réprimé Al-Qaida… mais sur son sol. En politique extérieure il en va autrement. Notamment en Syrie, ou si l’Etat saoudien n’a vraisemblablement pas directement financé directement l’organisation Etat islamique, et a cessé en 2014 de soutenir le Front Al-Nosra, filiale d’Al-Qaida, il n’en a pas moins été très complaisant vis-à-vis des dons effectués par des grandes familles du royaume. Il en va grosso modo de même pour le Qatar, autre allié de la France. Idem pour la Turquie, membre de l’OTAN. Censée elle aussi participer à la coalition devant lutter contre l’Etat islamique, elle soutient de fait les djihadistes en qui elle voit un contrepoids aux forces kurdes, qui comptent pourtant parmi les meilleurs alliés au sol de la coalition.

Dans tous ces cas nos dirigeants se taisent, préférant pointer du doigt la Russie, dont l’intervention a eu l’outrecuidance de changer la donne stratégique. Le plus grave est que les relations de la France avec l’Arabie Saoudite et le Qatar ne se sont pas cantonnées aux grands contrats. La diplomatie française, imbibée d’une approche ethno-confessionnelle propre au néoconservatisme aujourd’hui plus présent au sommet de l’Etat français qu’étasunien, a épousé leur vision du conflit syrien déterminée par l’obsession anti-iranienne des Saoudiens. François Hollande s’est dans ce cadre révélé plus belliciste qu’un Barack Obama qui a tiré quelques leçons des errements guerriers de son prédécesseur. Cette grille de lecture néoconservatrice a favorisé à son niveau l’enlisement du conflit syrien et la remontée en puissance des organisations djihadistes. Elle a amené le gouvernement à lancer la France dans une « guerre au terrorisme » perdue d’avance, car on ne fait pas la guerre à des concepts, au lieu de favoriser des solutions politiques sans lesquelles les embardées militaires ne font que produire encore plus de terroristes.

Il est plus que tant pour ceux qui sont aux commandes de la diplomatie française de rendre des comptes. L’histoire les jugera. Dans l’immédiat les citoyens doivent se réapproprier ces questions. Et exiger des réponses claires quant aux choix des alliances dans lesquelles la France a été engagée. L’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie, les États-Unis ont des intérêts qui pour beaucoup ne sont pas les nôtres. Ils ont hautement contribué à la déstabilisation du Proche-Orient, avec pour résultat immédiat des actions terroristes à répétition, d’abord dans le monde arabe, puis en France et en Belgique. La France doit cesser de s’enfermer dans des postures dogmatiques et retrouver, notamment sur le dossier syrien, la diplomatie de médiation qui a dans un passé pas si lointain été sa marque de fabrique. Il faudrait pour cela qu’elle retrouve son indépendance en sortant de l’OTAN et se démarque totalement du Qatar, de l’Arabie Saoudite et de la Turquie pour contribuer à les forcer à modifier leur ligne géostratégique. C’est en définitive tout le système d’alliances de la France et sa vision internationale qui doivent être repensés si nous souhaitons à horizon visible contribuer à mettre un terme à la menace de la guerre et du terrorisme.

Djordje Kuzmanovic et Théophile Malo, membres du Parti de gauche


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