Francine va pouvoir retrouver ses chers orangs-outans. Le sort de la petite dame de 86 ans, échouée à Paris fin décembre, recueillie par le Samu social, a beaucoup ému. Mais son retour, elle ne le doit pas aux autorités : la retraite de cette primatologue, une chercheuse, qui a passé cinquante-cinq ans à Sumatra, n’a toujours pas été rétablie. En revanche, un immense mouvement de solidarité va permettre à la vieille dame de rejoindre ses animaux, de les soigner. Et, au-delà, de pérenniser son œuvre.
Tout a commencé fin décembre. Le Samu social, lors d’une de ses maraudes, recueille Francine Néago, 86 ans. « Une dame séduisante, qui a toute sa tête », dit d’elle, dans un sourire, Marie-Laure Loffredo, responsable des infirmières de l’hôpital Jean-Rostand d’Ivry-sur-Seine. Très vite, les équipes menées par Vincent Blondel sont étonnées par le « parcours atypique » de Francine Néago. Et heurtées par sa situation, hallucinante, parmi toutes celles, révoltantes, qu’elles côtoient chaque jour. Car Francine est une chercheuse, mondialement connue. Spécialiste des grands singes, elle a écrit onze ouvrages de référence sur le sujet. Elle est la première à avoir appris à parler phonétiquement à un singe, Bulan, et a conçu une méthode informatique pour communiquer avec les orangs-outans. En 1977, elle s’est même enfermée, volontairement, avec dix-huit de ces singes, au zoo de Singapour, pour étudier leur langage. S’y est liée avec Lucy, « une femelle formidable », raconte-t-elle. Entre les États-Unis et l’Indonésie, où elle s’est installée en 1963, elle n’a cessé de développer son savoir sur ces animaux, aujourd’hui en grand danger. Jusqu’à fonder un centre de sauvetage pour les espèces menacées, Noah et son arche. Comment peut-elle se retrouver à la rue, avec un tel bagage ?
Le minimum vieillesse lui a été retiré
Française, Francine Néago a toujours travaillé entre l’Indonésie et les États-Unis. Elle touchait, jusqu’à peu, le minimum vieillesse. Qui, de son propre aveu, lui suffit largement pour vivre à Sumatra, et nourrir les plus jeunes de ces animaux, pas encore autonomes. « Un orang-outan est adulte à 7 ans. Mais avec la déforestation, beaucoup d’orphelins nous sont amenés avant », explique la petite dame. Or, ce minimum vieillesse lui a été retiré. Alors, la vieille dame s’est rendue en France. Avec en poche, de quoi tenir quatre jours à l’hôtel. Temps suffisant pour régler une formalité administrative ? Non, parce que la loi française oblige désormais ses ressortissants à vivre six mois de l’année sur son sol pour toucher ces 800 euros. « Six mois sans ses singes, elle ne tiendrait pas », pressent Marie-Laure Loffredo. Du coup, Francine s’est retrouvée à la rue. Avec, sur le dos, les affaires d’hiver d’une cousine belge, sa dernière parente, un peu trop grands pour elle. Ému par sa situation, Pierre Maurel, fils d’une médecin du Samu social et attaché de presse, a lancé un communiqué à ses contacts, le 26 janvier dernier. France Inter a été la première à relayer cet appel, trois jours plus tard. Les appels à la solidarité ont fleuri sur le Net. Via des associations de défense des orangs-outans, des citoyens outrés. Et des chercheurs médusés, qui ont découvert le sort de Francine Néago, un nom qui ne leur est pas inconnu.
Dans sa grande pelisse en fourrure synthétique, pieds nus dans ses escarpins, la vieille dame a vécu, le 3 février dernier, sa dernière matinée au Samu social. Depuis, elle est hébergée, grâce à l’écrivain Daniel Pennac, à l’hôtel, à Paris. Elle mélange parfois un peu les dates, dans son récit, pourtant clair. Elle raconte sa première rencontre avec un orang-outan, en Indonésie, les expériences qu’elle a faites dans des zoos, des universités américaines. Elle parle surtout de son désir de pérenniser sa fondation. Mais elle aimerait aussi recenser toutes les espèces qui sont groupées sur ce bout de territoire, ouvrir une école vétérinaire, et former des gardes forestiers. Pour préserver ce coin de terre, encore à peu près épargné par le défrichage des arbres traditionnels pour l’huile de palme, un véritable « fléau ». Avec colère, la petite dame s’empourpre, quand elle parle de ces « arbres, qui boivent chacun vingt litres d’eau par jour et assèchent les rivières », et tuent l’écosystème.
Appels à dons et pétitions fleurissent
Grâce à la solidarité, son rêve va devenir réalité : le Muséum d’histoire naturelle a décidé de l’aider dans ses démarches. En coordonnant les appels à dons et pétitions qui ont fleuri sur Internet. Surtout, Norin Chai, responsable du service vétérinaire de la vénérable institution, a créé un comité de soutien officiel. Le vétérinaire, à la tête de l’association Yaboumba, s’engage à créer un centre de sauvegarde des orangs-outans, « au sein de la concession de 1 000 hectares reçue de manière officieuse de la part du gouverneur d’Aceh », sur l’île de Sumatra. Une récolte de fonds, officielle, Aiderfrancine.org, permet d’ores et déjà d’aider à financer le projet. L’idée est aussi que Francine Néago soit accompagnée d’un bénévole pour jeter les bases du projet, avant l’arrivée officielle du Muséum d’histoire naturelle sur le terrain. Mais, si toutes les bonnes volontés sont les bienvenues pour aider cette petite femme si vive, le Samu social se méfie aussi des prédateurs qui pourraient se servir d’elle. Il a donc demandé qu’un mandataire soit désigné par le tribunal de grande instance de Paris.
Caroline Constant
L’Humanité
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