Le candidat "socialiste" Bernie Sanders perce dans la campagne présidentielle US

mercredi 9 septembre 2015.
 

Le candidat « socialiste » à l’investiture démocrate pour la présidentielle émerge en s’appuyant sur un mouvement de fond dans la société.

De sondage en sondage, de meeting en meeting, il crée la surprise. Quand Bernie Sanders s’est porté candidat à la présidentielle de 2016 dans les primaires démocrates, pas un des grands médias nationaux ne lui avait pourtant accordé la moindre attention. Soutenu par les «  démocrates progressistes  », il était promis à plafonner au mieux sous la barre des 5 % face à la grandissime favorite, Hillary Clinton. Et voilà que, quelques semaines plus tard, le vieux routard socialiste remplit les salles (28 000 personnes à Portland, 15 000 à Seattle ces derniers jours) et affole les compteurs des enquêtes d’opinion. L’une d’elles le place même en tête des intentions de vote devant Clinton pour la première joute officielle de l’an prochain, celle du New Hampshire, organisée le 9 février. Et au plan national, des enquêtes lui accordent désormais jusqu’à 28 % des intentions de vote (contre 48 % à une Hillary Clinton en perte de vitesse). Il suscite l’intérêt des syndicats

S’il a décidé de participer à la primaire démocrate, Bernie Sanders le fait en « indépendant ». Car il a pris ses distances depuis longtemps avec un parti qu’il juge pour le moins trop recentré, lui qui a le courage depuis des lustres de s’affirmer « socialiste », l’équivalent d’une injure dans un pays où les traditions héritées du maccarthysme ont conservé quelque vigueur. Le sénateur du Vermont, aujourd’hui âgé de 73 ans, n’a pas dévié de ce credo depuis qu’il est entré en politique au milieu des années 1960. Que ce soit sur le front intérieur ou sur celui de la politique étrangère, quand il s’opposa à la guerre du Vietnam ou quand il soutint, un peu plus tard, le mouvement sandiniste du Nicaragua. Et c’est sur une étiquette «  socialiste  » qu’il se fera élire maire de Burlington dans le Vermont en 1981. Son socialisme s’inspire beaucoup du modèle suédois, tout au moins ce qu’il fut à l’origine, avec un État-providence et des services publics extrêmement développés. C’est encore avec ces références que Sanders devint sénateur du Vermont en 2006 et fut réélu haut la main en 2012. Le célèbre linguiste Noam Chomsky dit de lui qu’il est «  un démocrate version New Deal  ». Soit, précise-t-il, «  très à gauche dans le contexte politique actuel  ».

La fidélité à ses engagements et son image intègre sont bien entendu pour beaucoup dans le niveau de popularité atteint par le candidat Sanders ces derniers jours. Mais le vent du phénomène Sanders – «  Feel The Bern  » est devenu le slogan de sa campagne –, Bernie le doit bien davantage à sa rencontre avec un vrai mouvement de fond dans la société contre l’explosion des inégalités et à la plongée concomitante dans la précarité d’une grande partie des salariés et des couches moyennes. À contre-courant du néolibéralisme ambiant, il propose d’étendre comme jamais l’État-providence en le libérant de la férule des assurances privées. Un moyen, dit-il, de trouver «  la voie de l’efficacité économique  ». «  Des dizaines de millions de nos citoyens  » pourraient ainsi, précise-t-il, «  accéder aux soins de qualité ou à la véritable couverture vieillesse dont ils sont aujourd’hui exclus  ». Il réclame une réforme fiscale taxant Wall Street et les plus riches, l’instauration d’un congé maternité payé par l’entreprise, ou encore la gratuité des premières années de l’enseignement universitaire pour échapper à une sélection par l’argent toujours plus impitoyable à l’entrée des facs.

Avec Show Me 15, un groupe d’associations et de syndicats qui luttent pour l’instauration d’un salaire minimum à 15 dollars, le candidat à la primaire démocrate plaide pour une hausse conséquente du Smic (toujours un peu plus de 7 dollars aujourd’hui au plan fédéral). De quoi susciter l’intérêt de nombreux syndicalistes, qui n’ont pas hésité à lui proclamer leur soutien. Et ce mouvement-là est d’une telle ampleur que Richard Trumka, le président de l’AFL-CIO, proche de la direction du Parti démocrate, a cru bon de sortir de sa réserve en juillet pour affirmer que les dirigeants des fédérations syndicales nationales ne sauraient «  en aucun cas  » manifester «  de préférence pour l’un des candidats en lice  » dans la primaire démocrate. Ce rappel à l’ordre qui constitue une première dans l’histoire du syndicat en dit long sur les craintes de l’élargissement d’un ralliement syndical à Sanders dans l’état-major démocrate. D’autant qu’au moins un syndicat, celui des infirmières, n’a pas craint à la mi-août de transgresser les consignes de Trumka pour lui apporter explicitement un soutien… national.

Le phénomène Sanders se nourrit de la montée de la défiance des citoyens pour le monde politique traditionnel. Le sénateur du Vermont ne perd pas une occasion pour en pointer l’origine  : «  Les milliardaires, lance-t-il, ont plus d’influence sur la campagne présidentielle que les candidats eux mêmes  !  » Seul adversaire crédible des «  logiques Trump  » – du nom du milliardaire new-yorkais d’extrême droite qui fait aujourd’hui la course en tête de la primaire républicaine –, Bernie Sanders a réussi à financer sa propre campagne grâce à des dizaines de milliers de dons d’électeurs anonymes. Leur montant moyen ne dépasse pas 31,30 dollars. Somme avec laquelle «  on ne peut pas acheter un homme politique  », fait-il savoir avec ironie.

Si Hillary Clinton, qui dispose d’un appui ostentatoire de Wall Street et possède donc d’immenses réserves en matière de communication, n’apparaît en aucun cas, à ce stade, déchue de son statut de grandissime favorite du scrutin, Bernie n’en a pas moins déjà dépassé ses objectifs. En faisant émerger comme jamais ses idées «  socialistes  » dans le débat public.

Bruno Odent, L’Humanité


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