Pourquoi nous quittons le PS et pourquoi nous invitons nos camarades à ne plus y jouer les cautions de gauche

lundi 22 juin 2015.
 

Appel de Laurent BEAUD, ex-secrétaire fédéral 34, Joël BRUSTON, ex-membre du Bureau Fédéral 31, Christophe DELGERY, ex-délégué Europe du Secrétariat Fédéral 93, Bertrand LAFORGE, ex-membre du Conseil National, Evelyne PERRIER, ex-membre du Bureau Fédéral 74, Sébastien PICAUD, ex-membre du Bureau Fédéral des Adhésions à Paris.

Ainsi les militants ont tranché par leur vote du 21 mai 2015 : le Parti Socialiste valide la politique économique mise en place par le gouvernement depuis 2012.

Ne nous leurrons pas, ce ne sont pas les propositions contenues dans la motion A, déjà remises en cause par le gouvernement, qui vont modifier cette orientation politique. Le Vote de la loi Rebsamen ce mardi par les frondeurs est une autre preuve que ce vote clos toute perspective de changement. Avec le même premier secrétaire et son soutien inconditionnel au gouvernement, il est clair que la position du Parti ne va pas changer.

Pourtant cette politique est en rupture avec les engagements pris devant les Français en 2012. Elle acte des efforts démesurés pour transférer plusieurs dizaines de milliards aux entreprises (pacte de responsabilté, CICE, crédit impôt recherche) sans contrepartie en termes de création d’emploi ni même d’optimisation fiscale via des paradis fiscaux. Elle met en place une flexibilité du travail (ANI, loi macron) qui n’a comme seule conséquence que l’augmentation de la souffrance au travail et de la précarisation, accompagnée par une modération des salaires. Sur le plan Européen, l’acte I de François Hollande a été un abandon en rase campagne de ses promesses de campagne puisque, dans les premiers jours de son quinquennat, il a signé en l’état un traité européen qu’il disait vouloir infléchir.

Un échec économique et une dégradation historique du chômage

La France ne porte aujourd’hui aucune vision progressiste de l’Europe et avalise la vision ordo-libérale allemande comme le montre l’unité du couple franco-allemand dans la gestion de la crise de la dette grecque qui se solde par la tentative d’assassinat politique de Syriza avec le concours du bras armé de la BCE.

Le plus grave, c’est que toutes ces politiques ont été menées au prix d’une aggravation historique des inégalités, d’une dégradation sévère des conditions sociales des classes populaires et moyennes. La grande réforme fiscale promise n’a pas eu lieu. Le massacre du service public entamé par Sarkozy ne s’est pas arrêté depuis 3 ans : les fonctionnaires sont toujours de simples variables d’ajustement comme le montre le gel du point de la fonction publique depuis de nombreuses années mais aussi la politique publique dans des secteurs dit stratégiques comme l’enseignement supérieur et la recherche.

Sur le plan de l’emploi, le bilan est catastrophique avec plus d’un million de nouveaux chômeurs tous types confondus. La relance par l’offre est également un échec puisque les experts estiment que l’augmentation récente de 0.6 point du PIB est avant tout liée au contexte international de baisses de l’Euro, des taux d’intérêts et du prix du pétrole qui ont donné un surcroît de demande. Mais contrairement aux prévisions libérales, cette dernière ne s’est pas portée exclusivement sur les produits manufacturiers étrangers mais a largement profité au carnet de commande des entreprises françaises, préservant ainsi la balance extérieure.

Trente ans de libéralisme, trente ans de mise en place d’une dérégulation profonde de l’économie en Europe n’auront apporté aucune solution à la crise sociale et économique qui sévit depuis le milieu des années 70.

Avec la crise financière de 2008 la soi-disant efficience des marchés financiers, chère aux libéraux, devant conduire à l’optimum social sans intervention de l’Etat (laissez-faire, laissez-passer) s’est révélée telle qu’elle est : une hypothèse absolument fausse.

C’est tout l’édifice libéral qui aurait du s’écrouler : hypothèses irréalistes (un comble pour des partisans du réalisme), démarche non scientifique, absence de résultats pour la majorité.

Le maintien à tous prix de ces politiques donne l’impression d’une idéologie porteuse d’intérêts particuliers (lobbying etc.) et nourrit la desespérance et l’extrème droite.

Pourtant, ce constat n’ébranle ni le gouvernement ni même les militants socialistes dans leur majorité et amène à poser la question du rôle que nous jouons dans cette mascarade ou plutôt dans cette tragédie.

Les analyses que nous portons au sein du parti depuis le congrès de Toulouse sont, pour les axes majeurs, la sortie du chômage de masse et de la spirale de la dette, la transition écologique et la réorientation de l’UE.

Engagés en 2012 auprès de Stéphane Hessel, simples militants, membre des instances fédérales ou nationales du parti socialiste, nous avons depuis lors assumé jusqu’au bout le mandat que nous ont confié les militants.

Nous constatons aujourd’hui notre échec à porter ces idées au sein du PS. Ce dernier n’offre plus les conditions d’un débat sur le fond tant il s’est coupé de son corps électoral, de la société civile et des intellectuels. Plus grave, ses commissions internes de travail ne fonctionnent pas. En trois ans au sein des instances fédérales et nationales, Bureau national y compris, nous n’avons jamais été en position de mettre nos analyses et nos propositions en débat au sein du parti ni d’avoir un travail sérieux d’analyse et de confrontations des arguments des uns et des autres.

Nous en prenons acte et ne souhaitons plus agir comme la caution de gauche d’un parti qui a indéniablement abandonné toute véléité de dépasser le capitalisme et qui comme tout néo-converti applique aveuglément des politiques sans se soucier de leurs résultats. Nous ne souhaitons pas continuer à soutenir un Parti dont la majorité, au nom de tous les militants, nous compris si nous y restions, continue à approuver cette politique et ses conséquences sur la vie quotidienne des français.

La question démocratique et le débat d’idées

Outre la question économique et sociale, notre désaccord concerne également le volet démocratique. Nous déplorons un mépris récurrent du débat, que ça soit au niveau parlementaire ou au sein du Parti Socialiste.

Au parlement, ce mépris s’exprime par l’usage jadis décrié du 49-3 plutôt que la recherche d’un accord avec l’ensemble des députés socialistes et les autres partenaires de gauche, pour une loi aussi discutée que la loi Macron. Il s’exprime tout autant dans l’utilisation de la procédure accélérée, en pleine période de vacances scolaires (et médiatiques) et en pleine campagne pour le Congrès socialiste, pour faire passer une loi sur le renseignement pourtant très critiquée par la société civile, les associations, et les professionnels (magistrats, acteurs numériques...) et très discutable sur la question des libertés individuelles. Le mépris du débat parlementaire se retrouve également dans l’appel incessant à la consigne de vote, et dans la façon dont sont considérés les députés dits frondeurs, jugés "irresponsables" par le président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale, Bruno Le Roux, et "soi-disant socialistes" par le ministre des relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen, voire même comme "traîtres" par certains militants légitimistes, alors qu’ils ne font que s’opposer à une politique différente de celle qu’ils ont votée lors des campagnes présidentielles et législatives.

Au sein du Parti Socialiste, le mépris du débat s’exprime par un appel quasi permanent au "rassemblement", à l’ "unité", en évoquant désormais, de manière indécente, l’"esprit du 11 janvier". Ce procédé sert à couper toute discussion ou critique du gouvernement, et sous-entend la confusion (consciente ou pas) débat = division, alors même que les primaires tant applaudies ont prouvé le contraire. L’appel à l’unité et au rassemblement intervient à chaque début de congrès, pour plébisciter la motion déjà dite majoritaire, ou à la fin de toute session de discussion (convention thématique...), quand la direction impose une synthèseà laquelle les militants n’ont guère d’autre choix que d’adhérer. Un exemple flagrant fut nos derniers "Etats Généraux du Parti Socialiste" (EGPS, 2014). Ces Etats Généraux ont montré, notamment via la plateforme internet et les comptes-rendus hebdomadaires, une grande diversité d’opinions, et parfois des clivages. Plutôt que d’utiliser cette richesse d’idées au sein des militants, véritable potentiel pour un renouveau idéologique, la direction a préféré pondre, à une ou deux personnes, une "Charte" lyrico-consensuelle et absolument non représentative des débats qui ont eu lieu. A qui voulait rejeter cette charte justement pour sa non représentativité des débats contradictoires, on rétorquait que le temps était au "rassemblement" et que celui du débat viendrait au Congrès de 2015. Ledit Congrès venu, les mêmes invoquaient l’"unité" pour plébisciter la motion majoritaire…

Les nombreux votes organisés au sein du Parti Socialiste s’apparentent la plupart du temps à une mascarade démocratique. Lorsqu’il s’agit de désigner la tête de liste aux prochaines élections, on doit souvent la choisir parmi... un(e) seul(e) candidat(e). Non pas que la place n’intéresse guère, mais parce que les autres prétendant(e)s se sont désisté(e)s avant. Les militants et militantes n’ont alors plus qu’à valider un choix effectué en petit comité. L’investiture de Claude Bartolone pour les régionales d’Île-de-France 2015, venu remplacer in extremis les deux rivaux depuis longtemps connus Jean-Paul Huchon et Marie-Pierre de la Gontrie, en est le dernier exemple. De même, nombreux sont les rapports d’activité ou modifications de statuts soumis au vote sans discussion préalable, sans parfois même que le texte à valider ait pu être lu (envoi la veille, quand il est envoyé...). A titre d’exemple, en Haute Garonne, avant le Congrès de Toulouse, les votes des sections qui demandaient à pouvoir discuter de ces statuts tranquillement après le Congrès, les modifications issues de ce travail postérieur devant faire l’objet d’un congrès fédéral extraordinaire, ont été falsifiés, afin que la barre des 10 sections nécessaires pour faire valider cette décision ne soit pas atteinte.

S’il sert à valider, à un moment donné, une désignation, une investiture ou un texte, le vote peut être lui-même par la suite désavoué. Harlem Désir a certes été élu premier secrétaire par les militants, cela ne l’a pas empêché d’être remplacé par Jean-Christophe Cambadélis sans vote direct équivalent, ni organisation rapide d’un nouveau congrès. Et nombreuses sont les orientations validées par un scrutin qui sont rapidement oubliées par la suite (sur la rénovation du parti sous l’ère Aubry, par exemple, en particulier concernant le non-cumul des mandats).

De manière générale, les multiples scrutins internes au Parti Socialiste sont une preuve flagrante qu’un vote n’est pas la garantie d’un fonctionnement démocratique, et peut même servir à valider son absence. De même que pour le gouvernement ou M. Le Roux, les député(e)s de la majorité ne sont là que pour valider les propositions d’« en-haut ».

Au niveau du parti, deux verrous anti-démocratiques sont en place pour assurer la survie de ce système oligarchique : la nécessité d’avoir la signature d’un membre du conseil national du parti pour pouvoir déposer une contribution ou une motion, la nécessité de faire 5% des voix pour avoir accès à la proportionnelle à des représentants dans ce conseil national. Aucune possibilité n’est donné à un groupe constitué de militants et de militantes (plus de 1000 issus d’au moins 3 régions par exemple) pour déposer des textes et des orientations politiques. Pour être au conseil national, il faut donc être adoubé par ceux qui y sont déjà. Garantie immédiate de vérrouillage du débat et de la vassalisation des élus.

Ce vérrouillage du débat existe également au niveau des commissions de travail thématique au niveau du parti qui sont quasiment à l’arrêt depuis des années. L’accès à ces commissions est opaque et leur travail très irrégulier, leur impact sur la ligne du parti quasi-nul. Le divorce avec le monde intellectuel est également consommé.

Partir ou rester ?

Nous sommes de nombreux socialistes à déplorer la politique économique et sociale actuelle du gouvernement et le manque de débat et de démocratie au sein du PS. A l’issue de ce congrès, la question de rester ou de partir se pose à beaucoup. Elle équivaut à se demander s’il est possible ou plus efficace d’essayer de changer le PS de l’intérieur que de l’extérieur. Certain(e)s continuent à le croire et choisissent de rester. Nous l’avons nous-mêmes cru, mais pensons désormais au contraire que tout changement de l’intérieur est illusoire, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le dernier vote des motions a validé sans conteste l’option légitimiste (60% des votants). Dont acte. Ce score confortable permet à la majorité d’ignorer complètement les opinions contraires, et de désavouer publiquement, en se targuant de l’appui des militants et des militantes, les positions des députés "frondeurs". Certes, depuis plusieurs congrès, la sensibilité représentée par la motion B progresse au sein du Parti (+ 5% par congrès), mais pas assez fortement pour espérer renverser la tendance à court ou moyen terme. Et surtout, cette progression est plus faible que la fonte du nombre des votants, caractéristiques de la défiance accrue des militants et des militantes vis à vis du PS, qui ne fait qu’accompagner la défiance des sympathisants et des électeurs lors des dernières municipales et départementales. La motion B n’a donc aujourd’hui pour seul horizon que d’incarner l’aile minoritaire d’un parti de plus en plus exsangue, et à servir de caution aux décisions prises par la majorité.

Ensuite, comment réellement espérer un fléchissement de la politique gouvernementale insufflé par une motion B minoritaire ? Le gouvernement n’a pas changé d’un iota sa politique à la suite des dernières claques électorales. Pourquoi la changerait-il après un congrès qui valide en apparence son orientation, avec un premier secrétaire du PS identique ?

Enfin, le Parti Socialiste est structurellement un parti d’élu(e)s, ce qui renforce le légitimisme dans ses rangs. Certes, les dernières déconvenues électorales ont vu fondre le nombre d’élus, mais celui-ci reste très important au regard du nombre de militants (33 000 élus pour 70 000 votants au dernier congrès). De manière plus globale, la population de militants socialistes composée d’élus, de collaborateurs d’élus (attachés parlementaires...) et de permanents du PS ou des fédérations représente une bonne part des militants, et plus encore des militants investis dans les instances nationales, fédérales et locales. Or, cette population aura forcément une tendance principalement légitimiste, de part les pressions sur leurs postes, leurs investitures... Quelle que soit la politique du gouvernement soutenue par la direction du PS, qu’elle soit fidèle ou pas aux promesses de campagne ou aux valeurs du parti, le légitimisme a de beaux jours devant lui au sein du Parti Socialiste. Jusqu’à ce qu’il coule.

Nous appelons l’ensemble de nos camarades qui n’ont pas voté pour la motion A à quitter dès aujourd’hui le parti socialiste et à rejoindre ou à créer la formation politique authentiquement progressiste de leur choix.

Il est de la reponsabilité de chacun d’entre nous de faire cesser les illusions et de porter efficacement un projet de progrès économique et social qui en l’état ne peut se faire qu’en dehors du PS.

Nous pensons que les partis traditionnels de la gauche sont sclérosés. Des initiatives nouvelles doivent voir le jour autour de projets fédérateurs, comme cela est le cas en Espagne et en Grèce.

Au niveau local, la gestion de la ville de Grenoble est un exemple qui nous semble intéressant et constitue un modèle que nous souhaiterions voir se généraliser.

La construction de mouvement politiques faisant une réelle place aux citoyens et aux militants est également une priorité car elle permet l’émergence de pratiques nouvelles susceptibles de casser les logiques électoralistes et les écuries de prise du pouvoir que sont devenus les partis classiques.

Redonner confiance au citoyen dans le processus de gestion de la cité est une priorité. De ce point de vue, l’émergence d’un projet économique original et crédible et d’un mode innovant de désignation des candidats aux élections européennes et régionales au sein de Nouvelle Donne nous paraît intéressant.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message