Pour ceux qui ne connaissent pas bien le Parti Socialiste, voici leurs fonctions actuelles Manuel Valls (premier ministre), Jean-Christophe Cambadélis (premier secrétaire national du PS), Jean-Marie Le Guen (secrétaire d’État, chargé des relations avec le Parlement), Christophe Borgel (député de Haute Garonne, n° 2 de Christophe Cambadélis à la tête du PS)
Quand le député PS Jean-Marie Le Guen et candidat aux municipales à Paris parle comme Pierre Gattaz contre le code du travail ! (Alexis Corbière)
« Pour l’emploi, il faudra que François Hollande s’attaque à un ultime et redoutable tabou national : celui des rigidités d’un code du travail qui, de protecteur du salarié, est devenu un puissant répulsif de l’emploi » Qui parle ainsi ? Pierre Gattaz, le provocateur président du Medef ? Jean-François Copé ? Charles Beigbeder ? Non, détrompez-vous, vous n’y êtes pas. Ce sont 10 parlementaires du PS qui ont publié une tribune aujourd’hui pour soutenir le pacte de responsabilité de François Hollande et qui concluent ainsi leur éloge à la politique du gouvernement. Parmi les signataires, on compte les députés parisiens Jean-Marie Le Guen, également Adjoint au Maire de Paris, Christophe Caresche, ainsi que le sénateur Jean-Pierre Caffet, actuel président du groupe socialiste au Conseil de Paris.
Allons à l’essentiel, ces propos, pour une conscience de gauche, sont affligeants et terriblement dangereux. Comment peut-on se prétendre « socialiste » et oser dire en 2014 qu’en France le code du travail est un « puissant répulsif de l’emploi » ? En cette période où l’offensive libérale est à son comble, ou la précarité atteint des sommets, la souffrance au travail une réalité constatée, les licenciements en hausse, etc… il faudrait s’en prendre au Code du travail. Terrifiant.
Petit rappel, oui, depuis un siècle le code du travail s’est épaissi, s’est complexifié. Tant mieux d’ailleurs. La réalité du monde du travail aussi. Nos brillants esprits pourraient observer qu’en 2014, plus de 9/10e des actifs sont salariés (soit 18 millions de personnes). Le code du travail, en fait, mesure le type société que nous voulons. Il ne s’agit donc pas de « rigidités » comme l’affirme cette tribune de façon totalement démagogique. Il exprime plus d’un siècle d’évolution des rapports de forces sociaux faite de luttes sociales, de victoires électorales. Que Le Guen, et ses co-signataires, sortent des ambiguïtés et nous disent quels articles, quels alinéas, quels décrets, ils veulent supprimer ou modifier ? Manifestement, ils manquent de courage pour le dire. Alors, à quoi sert cette tribune ? Fondamentalement à rien, si ce n’est de souffler dans les voiles idéologiques du Medef et de ses griots. Triste et rageant.
Le Code du travail est un magnifique acquis qui permet que l’employeur paye non seulement le travail lui même, mais aussi tout ce qui permet que les salariés puissent travailler dans des conditions correctes : le repos, les congés payés, le transport, la formation, la protection contre le chômage, les accidents du travail, la maladie, la vieillesse. Il précise les conditions du droit de grève, des institutions représentatives du personnel, les droits syndicaux, l’inspection du travail, les prud’hommes. Et aussi toutes les questions en détail d’hygiène sécurité, conditions de travail, ce faisant il aborde des milliers de situations, chantiers, machines dangereuses, produits toxiques, etc.
Il reste, avec toute sa complexité, absolument pas répulsif mais au contraire attractif et offre fondamentalement une protection des salariés. Qui ne voit pas alors que cette tribune s’inscrit dans ce contexte de large confusion idéologique entretenue par le gouvernement actuel, sous les coups répétés de la droite et du Medef qui bénéficient de « crédits d’impôts » (35 milliards d’euros supplémentaires sur un total de 230 milliards d’euros) qui n’auront aucune conséquence positive sur l’emploi, mais affaibliront encore plus la dépense publique donc la relance économique. Les mots de gauche n’ont plus aucune signification dans la bouche de responsables PS. C’est intolérable et cela produit des dégâts terribles. L’abstention est généralement la conséquence de ces renoncements idéologiques… et le FN prospère sur ces débris.
par Stéphane Alliès, Médiapart)
Devant le conseil national du parti socialiste, le premier ministre a livré un discours offensif appelant à « dépasser la gauche », tandis que le premier secrétaire a décrété « la fin du cycle d’Épinay ».
Cela a ressemblé comme deux gouttes d’eau aux discours qu’il prononçait à la tribune des congrès socialistes, à une époque où il était archiminoritaire. Mais désormais, Manuel Valls parle comme chef de la majorité au pouvoir. Devant le conseil national du PS, réuni (une nouvelle fois) à huis clos samedi 14 juin à la Maison de la chimie, le premier ministre a souhaité fixer une ligne idéologique nouvelle à son parti, qui n’en a jamais réellement débattu jusqu’ici. Avec une franchise et une clarté que beaucoup lui ont reconnues, mais sans convaincre les sceptiques ni les oppositions qui s’expriment depuis sa nomination et les défaites aux élections municipales et européennes.
« Insécurité culturelle et identitaire », « fractures communautaires, culturelles et géographiques », « irruption » puis « dérive » des communautarismes, combinée à l’abandon « depuis trop longtemps » par la gauche d’une « défense acharnée » de la laïcité. Telles sont, dans « un monde qui change si vite et dans lequel les menaces sont multiples et permanentes », les causes des résultats catastrophiques des derniers scrutins, selon Manuel Valls. Et son analyse des conséquences à en tirer ne fait pas un pli : « Il n’y a pas d’alternative à gauche. Notre échec électoral ne renforce pas la gauche de la gauche. Nous devons donc tirer un enseignement pour nos débats internes : c’est de nous que devra venir la solution ! »
Son alerte, qui rappelle les propos de celui qui, il y a six ans, appelait à « en finir avec le vieux socialisme », en a glacé certains parmi la moitié des 300 conseillers nationaux présents. « La gauche peut mourir, donc elle doit se dépasser », a déclamé le premier ministre, qui se « trouve de fait dans une position centrale, au cœur de la majorité ». Autodésigné au centre du dispositif, il entend incarner l’aggiornamento du PS qu’il appelle de ses vœux. Le parti, Valls le rêve en « force moderne, attractive et conquérante », et sûrement pas à la recherche d’« alliances improbables » avec les écologistes ou le Front de gauche. Car lui veut en finir aussi avec « les vieilles théories ou les stratégies du passé ». L’union de la gauche et le combat idéologique, très peu pour lui. Il veut sortir des « vieilles recettes », « du confort des idées connues, des mots qui ne fâchent pas et des dogmes ! »
Valls a son plan de route, pour expliquer à cette gauche qui « ne sait pas toujours comprendre ce monde qui change et en faire le récit ». Devant le conseil national, il a égrené les axes de sa politique si « moderne » : réduction de la dépense publique, retour de la compétitivité pour les entreprises, et, bien sûr, la politique de l’offre – « Non seulement je la mène, mais je l’assume ». À ceux qui ne sont pas encore transportés, il dit aussi vouloir « explorer d’autres chemins, sans tabou ». Comme la baisse de la fiscalité des ménages (« Les impôts sont trop lourds »), ou le « desserrement de la contrainte budgétaire européenne », mais seulement « si nous nous montrons crédibles sur notre effort budgétaire et nos réformes de structures ».
Fort de l’hégémonie culturelle qu’il pense avoir imposée au PS (deux ans seulement après n’avoir recueilli que 5,7 % à la primaire), Manuel Valls plaide pour un PS hégémonique à gauche, en ratissant large. « La gauche n’est jamais aussi forte que lorsque les socialistes sont unis et donnent l’exemple (…). Ne soyons pas sectaires et rassemblons tous les Français. » Mais s’il entendait enthousiasmer ceux qui dans ses rangs ne supportent plus l’orientation et l’obstination du pouvoir, l’opération n’est pas franchement réussie.
« C’est du sous-Rocard, soupire Marie-Noëlle Lienemann, qui a commencé rocardienne dans les années 1970. “Tout va mal, le monde est déstabilisé, il faut tout réinventer”… mais dans les actes, c’est tout pour les entreprises. » L’ex-strausskahnien Laurent Baumel, responsable du club de la Gauche populaire, abonde : « C’est le retour du rocardisme débridé. “Il n’y a que moi qui ai compris la mondialisation, si vous êtes contre c’est que vous n’y comprenez rien.” C’est comme si Valls voulait clore la synthèse jospinienne entre première et deuxième gauche… »
Récemment élu eurodéputé, Guillaume Balas voit du Joffre dans l’offensive du premier ministre. « Ma gauche est enfoncée, ma droite est en lambeaux, donc j’attaque, s’amuse le responsable du courant Un monde d’avance (les proches de Benoît Hamon). Valls veut profiter du moment pour tout bouleverser. » Autre figure de l’aile gauche elle aussi élue au parlement européen, Emmanuel Maurel a des envies de « faire feu sur le quartier général », comme le disait Mélenchon en son temps, après le 21 avril 2002. Pour l’heure, il se contente de regretter la fracture toujours plus grande avec la majorité au pouvoir et ce qu’il estime être la majorité réelle à gauche : « Je veux bien être solidaire de l’exécutif ; mais il faudrait pour cela que l’exécutif soit solidaire de sa base sociale. » « On a quand même en l’état un gros problème de premier tour », appuie Laurent Baumel.
Un "nouveau PS" contre « la reparlementarisation à outrance » ?
Pour remodeler le PS, tout en contenant sa contestation, Manuel Valls peut compter sur Jean-Christophe Cambadélis. À l’aise dans son costume de premier secrétaire par effraction – il n’a toujours pas confirmé son engagement initial de faire valider par un vote militant sa désignation en remplacement de Harlem Désir –, “Camba” a dévoilé sa feuille de route. Laquelle entend « redonner une carte d’identité au PS », alors que « la force propulsive du cycle d’Épinay est arrivé à son terme ». Lors d’une conférence de presse conclusive, il a ainsi épousé le point de vue de Manuel Valls, évoquant « les militants plutôt que les courants », et une union de la gauche a minima, essentiellement des accords électoraux pour éviter d’être « marginalisé dans un tripartisme avec la droite et le FN, dont il n’est pas certain qu’il soit pérenne pour la gauche ». En résumé, le rassemblement ou le FN.
Sur les questions de calendrier, Cambadélis a aussi annoncé la désignation des têtes de liste socialistes aux régionales en janvier prochain, et une commission de chefs à plumes de toutes les sensibilités, pour fixer la date du futur congrès du PS (lui penche pour l’organiser dès février). Celle-ci, normalement prévue fin 2015, pourrait être bouleversée par le report des futures régionales (pour l’instant annoncée en novembre). Quant à l’éventuelle tenue d’une primaire pour 2017, pour laquelle s’est prononcée le matin même Emmanuel Maurel, Cambadélis évacue d’un sourire matois : « Les luttes déterminent les luttes. Nous verrons après les régionales. »
Quand on lui demande si nous sommes en train d’assister à la mue du parti socialiste français en New Labour à l’anglaise ou en Parti démocrate à l’italienne, il opine. « C’est à ce niveau-là qu’il faut se situer. Ce qui est en jeu, c’est un nouveau parti socialiste. » Mais quand on le relance pour savoir s’il s’agit d’entériner un recentrage du PS, Cambadélis tempère : « Notre Bad-Godesberg est fait depuis longtemps. Il nous faut nous réinscrire dans une réalité qui a changé. On veut pouvoir dire : “le socialisme moderne est arrivé”. » Il n’envisage toutefois pas un changement de nom et l’abandon du patronyme socialiste, comme l’avait proposé Manuel Valls il y a sept ans.
Pour l’heure, le parti semble sous contrôle de Cambadélis et Valls, avec l’assentiment des proches de François Hollande. À leurs yeux, le mécontentement interne est très relatif. Le parti verrouillé, c’est au groupe PS que résident les espoirs de l’opposition interne pour infléchir l’orientation libérale du pouvoir. À quelques jours d’un premier vote sur le budget, les députés de « l’appel des 100 » n’ont pas l’intention de déposer les armes. Après la publication de leur « plateforme pour plus d’emplois et de justice sociale ». « La politique économique du gouvernement ne se réglera pas dans le parti, mais dans l’enceinte parlementaire, prévient toutefois le député Christophe Borgel, proche de Cambadélis et ardent promoteur de Manuel Valls. Le cap défini a été validé deux fois à l’assemblée, lors du vote de confiance et du vote sur le pacte de stabilité budgétaire. On peut mener des débats sans payer le prix d’un tournant politique que n’attendent pas nos électeurs. »
Pour imposer la discipline de vote aux députés, le premier ministre joue sur la corde du « dialogue avec le Parlement », comme marque de « la nouvelle étape du quinquennat » qu’il entend incarner. Un « dialogue permanent empreint de respect, de confiance et de responsabilité », mais pour mieux favoriser « l’acceptation par tous du cap fixé par le président de la République le 14 janvier dernier ».
À la lecture du discours de Manuel Valls, on sent même poindre la menace et l’argument d’autorité. « Si la tradition de la Ve République, de la majorité parlementaire automatique sous menace du 49-3 n’a jamais fait partie de notre culture, celle de la reparlementarisation à outrance des institutions n’est pas tenable, lance-t-il. Ce serait la voie ouverte à la multiplication d’initiatives minoritaires qui feraient exploser le bloc central de la majorité et qui mettrait celle-ci à la merci de toutes les manœuvres. »
Votes « en conscience » au parlement, et convergences avec le reste de la gauche
Jean-Marc Germain, lui, ne se tait plus. Très proche de Martine Aubry, dont il a été le directeur de cabinet à Lille puis au PS, le député sort du bois. « Les Français sont dans l’attente d’un changement de cap, dit-il. Il faut acter qu’il y a une évolution économique différente de ce qui était attendu. La croissance est à l’arrêt, le chômage ne cesse d’augmenter et le Medef n’a pas négocié. Il est donc normal de faire évoluer aussi sa politique. » Comme Christian Paul ou Laurent Baumel, Germain n’est pas un radical, et il répète souvent que les amendements déposés sont « dans un chemin compatible avec la parole présidentielle », consistant seulement à répartir différemment les efforts austéritaires.
Il ne cache pas son amertume vis-à-vis de la caporalisation en cours. « Il n’y a aucune discussion possible au groupe, dit-il. Si on propose un amendement, on vote contre le gouvernement. » Alors, avec les autres leaders de « l’appel des 100 » (dont personne ne sait combien ils seront lors des prochains votes budgétaires décisifs), il veut déposer directement leurs amendements dans l’hémicycle lors de la discussion générale (et non plus les voir filtrer par le groupe PS), afin de permettre à tout le monde de « voter en conscience ». « C’est comme cela que Manuel Valls avait défini son vote pour l’interdiction du voile intégral en 2010, rappelle-t-il, malgré la décision d’abstention prise par le groupe. »
Surtout, ajoute-t-il, l’orientation assumée par l’exécutif de Valls a de lourdes conséquences stratégiques : « On ne pourra pas ressouder la gauche si la pratique du pouvoir est contraire à ce pourquoi on a été élu. » En fin de journée ce samedi, Jean-Marc Germain, dont tout le monde espère que son engagement annonce celui de Martine Aubry, a affolé l’applaudimètre à la réunion publique unitaire, organisé par le courant hamoniste Un monde d’avance, à la salle des fêtes de la mairie du 11e arrondissement de Paris.
Il y achèvera d’enfoncer son coin, en rendant hommage au travail programmatique du PS de Aubry, balayé par l’élection de Hollande à la primaire. « Le premier ministre dit qu’on ne s’était pas préparé au pouvoir, mais je pense qu’il se trompe et que si l’on appliquait ce qu’on avait dit qu’on ferait, on se porterait mieux », a-t-il posé. Avant de rappeler une leçon qu’il dit avoir apprise de Lionel Jospin, au cabinet duquel il a croisé Manuel Valls à Matignon : « Si au pouvoir on n’applique pas ce qu’on a pensé dans l’opposition, alors on le repense avec des hauts fonctionnaires imprégnés par le monde de la finance. » Et en termes de pratique politique, le mari de Anne Hidalgo (et lui-même ancien polytechnicien) porte l’estocade : « Une bonne loi, ça ne peut se faire qu’au parlement. Sinon, elles ne se font qu’à l’Élysée ou à Matignon, avec M. Rotschild et Mme Merryl Linch. »
Aux côtés du communiste Pierre Laurent et de l’écologiste David Cormand, les orateurs socialistes (d’Henri Emmanuelli à Laurent Baumel, en passant par Marie-Noëlle Lienemann ou un représentant de la “motion 4”) ont énoncé de concert la nécessité de trouver des convergences pour provoquer le changement de cap gouvernemental, ou à défaut l’alternative au socialisme hollando-vallsien. Les discussions sont allés bon train, dans un étrange climat d’avant-congrès socialiste ou de tréteaux communs pré-manifestation.
« On a quand même un problème, note le dirigeant écolo Cormand. D’habitude, on construit le rassemblement à gauche dans l’opposition… » Pour lui, les prochaines régionales seront « un moment où des choses pourront être expérimentées ». Pour Lienemann, « il ne faut pas tarder à donner du contenu à la stratégie et du contenu à nos convergences, afin de montrer à ceux qui jugent qu’il n’y a pas d’alternative à gauche qu’ils se trompent ». Et de citer les grands axes d’une plateforme possible de la gauche retrouvée. « Refus des politiques d’austérité », « une grande réforme institutionnelle, et en premier lieu la proportionnelle », « une réelle réforme bancaire ambitieuse », « un retour du rôle de l’intervention publique, notamment dans la vie des entreprises », « la transition énergétique, sujet le plus compliqué pour nous mettre tous d’accord, mais où un compromis dynamique est possible ».
En vieux sage inquiet, Henri Emmanuelli a résumé la réponse de nombreux socialistes, et au-delà, au discours de Manuel Valls : « Je ne sais pas si la gauche peut mourir, mais nous ferons tout pour qu’elle continue à vivre. »
En vingt-quatre heures, Manuel Valls a su construire un dispositif réduit, mais avec les bonnes personnes aux postes cruciaux. Pas majoritaire au sein du PS, il se révèle ainsi capable d’en prendre le contrôle pour lui imposer un aggiornamento, comme on s’empare d’une vulgaire AG de fac à l’Unef.
Pièce essentielle de ce dispositif, Jean-Marie Le Guen s’impose vite. Brutal, il est devenu la bête noire des députés PS dissidents, qu’il traite tour à tour de « soi-disant socialistes » ou de « gauchistes ». Sur la forme, il incarne au parlement, jusqu’à la caricature, le ton martial du premier ministre – Le Guen, va souvent beaucoup plus loin que son mentor, qui sait au moins y mettre les formes. Avant le vote du 29 avril sur la trajectoire budgétaire, il a longuement fait pression sur de nombreux députés tangeants.
« Il m’a appelé, ça a duré 45 minutes, lui a parlé 44 minutes ! » raconte un élu, le jour du vote de confiance sur la déclaration de politique générale de Valls. « Le Guen, c’est le candidat qui fait du porte-à-porte et dont tu dis : “Ouf, heureusement qu’il est passé, j’ai failli voter pour lui” », dit un autre. « C’est quand même un mec qui, au bout de cinq minutes de discussion, peut menacer de vous péter la gueule… », soupire un dirigeant du parti, quand un député écolo jure l’avoir vu dans les coulisses du Palais-Bourbon saisir au collet l’un des hésitants socialistes.
Lors des débats sur le budget à l’assemblée, Le Guen joue les vigies, l’œil braqué sur l’hémicycle, pour s’assurer que les “frondeurs” sont bien minoritaires. Et il déclenche des suspensions de séance pour tenter de discipliner les récalcitrants. La stratégie n’est pas toujours payante. Le 29 avril, 41 députés PS se sont abstenus, du jamais-vu. Faute de débats, les réunions du groupe PS à l’assemblée se vident un peu plus chaque mardi. À celles des Verts, Le Guen a carrément été interdit de présence.
De la prise de la Mnef à la conquête jospinienne du PS
Sur le fond, il applique et partage à la perfection son souhait de « dépassement de la gauche ». « Il théorise en permanence le post-socialisme », s’amusait, il y a quelques mois, Emmanuel Maurel, qui ne cachait pas pour autant avoir plaisir à se disputer avec Le Guen. Les partenaires de la gauche ne sont pas franchement la tasse de thé du secrétaire d’État. Il a passé toute l’avant-campagne municipale à tenter de dissuader Anne Hidalgo de s’allier avec les communistes dès le premier tour.
Cette même Hidalgo derrière laquelle il s’est finalement rangé, après avoir entretenu l’illusion de se présenter face à elle, lors d’une primaire qui n’a pas eu lieu. Comme il s’était préparé à concourir face à Bertrand Delanoë, à la fin des années 1990, avant d’en être empêché par le scandale de la Mnef (où il a été mis en cause avant de bénéficier d’un non-lieu).
À cette époque, Jean-Marie Le Guen est rattrapé par son passé militant. Et par ses alliances nouées vingt ans plus tôt avec une partie de ces « gauchistes » français qu’il abhorre tant désormais. Au mitan des années 1970, le jeune médecin mitterrandien est le chef des Jeunesses socialistes (alors sous l’autorité d’Edith Cresson, secrétaire national à la jeunesse du PS). La gauche anticommuniste est en plein émiettement, après la rupture du programme commun avec le PCF, en 1977, et le jeune Le Guen a pour mission de faire converger l’Organisation communiste internationale (OCI) des trotskystes lambertistes et le PS de Mitterrand. Pour ce faire, il va nouer une relation intime avec le nouveau chef de file des étudiants lambertistes, Jean-Christophe Cambadélis, dit Kostas.
Le camarade Kostas vient de remplacer Charles Berg, sombre bureaucrate exclu (et devenu le volubile producteur de cinéma Jacques Kirsner), à la tête du « secteur jeune » des « lambertos ». « Ce qui était effrayant chez Berg est devenu ludique et pour tout dire séduisant avec Jean-Christophe », résumait Jean-Marie Le Guen dans les colonnes du Monde, à l’occasion d’une remarquable saga sur la Mnef lamberto-mitterrandienne, publiée en 1999.
Ensemble, Le Guen et Cambadélis vont réunifier l’Unef non-communiste, sur le dos des trotskystes étudiants de la LCR, alors emmenés par Julien Dray. Le « deal » est passé au milieu de l’hiver 1978, dans le bureau d’André Bergeron (secrétaire général de FO), en présence de Pierre Lambert. Ce « Yalta étudiant » débouchera sur le congrès de Nanterre en 1980 et la création de l’Unef-id, puis, dans la foulée, la prise de la Mnef, débarrassée de la concurrence interne des chevènementistes du Cérès et des communistes. Suite logique de l’alliance : l’OCI soutient Mitterrand dès le premier tour de la présidentielle de 1981, et les militants de l’Unef-Id font la campagne. Lors de la fête de la victoire, à la Bastille, le service d’ordre est assuré par les lambertistes, et Cambadélis s’exprime à la tribune.
Pour Jean-Marie Le Guen, c’est un long compagnonnage politique qui s’engage avec « Camba », qu’il estime alors être le « leader d’une génération ». À la Mnef, ils sont les deux chefs du conseil d’administration, mais aussi des employés fort bien rémunérés. Le Guen occupera les postes de directeur médical de la mutuelle de 1982 à 1993, puis de conseiller stratégique jusqu’en 1997 (son salaire est de 25 000 francs par mois en 1982, ainsi que le révèle, en 1982, un rapport de la Cour des comptes enterré par le pouvoir), avant d’être élu député du XIIIe arrondissement.
Au cours de leur instruction de l’affaire de la Mnef, écrit Le Monde, « chaque tiroir ouvert par les juges laisse apparaître, au choix, un ami de Jean-Christophe Cambadélis ou un proche de Jean-Marie Le Guen ». Des deux leaders politiques de la Mnef, seul Cambadélis écopera d’une sanction judiciaire (six mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende), pour recel d’abus de confiance.
Les deux hommes vont également manœuvrer ensemble dans l’appareil du PS, après la démission de l’OCI de Cambadélis, en 1986. Kostas rejoint alors le parti socialiste avec plus de 300 cadres lambertistes du « secteur étudiant ». Le Guen et Cambadélis vont faire la paire, l’un pour prendre la fédération de Paris (en 1987), l’autre pour devenir député du XIXe arrondissement (sans cesse réélus depuis). Ensemble, ils sont “mitterrandistes tendance Jospin”, lui aussi un ancien de l’OCI.
Au fameux et tumultueux congrès de Rennes, en 1990, avec les rocardiens, ils organiseront la salle délétère et les huées à l’encontre de Laurent Fabius. Puis ils s’attelleront à parfaire la “synthèse jospinienne” alors initiée, réconciliant première et deuxième gauche. Ils se rapprochent du chef des jeunes rocardiens d’alors, Manuel Valls, qu’ils connaissent depuis l’Unef du début des années 1980, et qui est aussi administrateur de la Mnef. C’est à ce moment surtout que se constitue le premier cercle du nouvel espoir de la deuxième gauche, Dominique Strauss-Kahn. Si ce dernier sera battu par Henri Emmanuelli pour succéder à un Michel Rocard démissionné après la déroute des européennes de 1994, il sera, trois ans plus tard, le ministre star de la « dream team » du gouvernement Jospin. Avant d’en démissionner, suite à sa mise en examen dans le dossier de la Mnef.
Une fois le scandale dissipé, Cambadélis et Le Guen sont désormais les premiers lieutenants de DSK. C’étaient déjà eux qui parlaient à la presse lors du congrès de Brest en 1997, attisant la rivalité gouvernementale avec la ministre du travail, Martine Aubry. Après le 21 avril 2002, ce sont encore eux qui accompagnent “Strauss” dans sa marche vers la primaire à la candidature présidentielle de 2007 (où il sera battu avec Laurent Fabius par Ségolène Royal).
Toujours ensemble, Le Guen et Cambadélis noueront et organiseront ensuite la nouvelle alliance, dite des « reconstructeurs », avec Martine Aubry et Laurent Fabius, puis Bertrand Delanoë et l’aile gauche de Benoît Hamon, leur permettant d’emporter in extremis le congrès de Reims en 2008 (face à Ségolène Royal). Ce sont enfin eux qui prépareront le « pacte de Marrakech », voulant qu’Aubry soutienne DSK à la primaire de 2011. Tout roulait à merveille, jusqu’à un petit matin blême new-yorkais.
Le Guen et Cambadélis seront parmi les plus ardents défenseurs de leur champion déchu après l’affaire du Sofitel. Tous deux débitent le même élément de langage, étrange pour qui le connaît aussi bien qu’eux : « Ça ne ressemble pas à Dominique » (lire ici et ici). Le Guen va même plus loin et affirme que « l’affaire n’est pas crédible. Il peut y avoir des circonstances, il peut y avoir des hallucinations ». Francs-tireurs au service de “Strauss”, ils tirent là leurs dernières cartouches, avant de rester quelques temps dans l’ombre (Camba n’obtient pas le PS et se voit préférer Harlem Désir, Le Guen n’obtient pas le ministère de la santé auquel il postulait) et de revenir avec Manuel Valls.
Par Stéphane Alliès (Médiapart, 27 juin 2014)
Jean-Marie Le Guen peut-il rester au gouvernement ? Le secrétaire d’État aux relations avec le parlement est une pièce essentielle dans le dispositif de Manuel Valls, tout comme Jean-Christophe Cambadélis. Ces trois-là se connaissent depuis presque quarante ans. Ils n’ont cessé de se rapprocher au gré des intrigues étudiantes et des congrès socialistes.
Épinglé par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (lire notre enquête), Jean-Marie Le Guen est aujourd’hui en difficulté. Alors qu’on lui reproche d’avoir sous-évalué son patrimoine de 700 000 euros, la situation du secrétaire d’État aux relations avec le parlement porte un mauvais coup à la majorité et à son chef, Manuel Valls. Après l’affaire Cahuzac, un ministre du budget convaincu de fraude fiscale, puis l’affaire Aquilino Morelle, un conseiller élyséen influent pris en conflit d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques, c’est un nouveau coup dur pour l’un des plus ardents soutiers du pouvoir socialiste. Il concerne une nouvelle fois le rapport à l’argent.
Le Guen est le seul réel choix de Manuel Valls dans le gouvernement formé au lendemain des municipales. Jusqu’ici, François Hollande s’était tenu à distance du premier cercle des apparatchiks strausskahniens, comme de l’agence Euro-RSCG. Mais face à la situation politique catastrophique, et après une telle déroute électorale, le président pense ne pas avoir d’autre choix que de promouvoir son ministre de l’intérieur. Et celui-ci demande que l’un de ses proches, le député Jean-Jacques Urvoas, le remplace Place Beauvau. Refus élyséen : un compromis se fera sur Bernard Cazeneuve. Valls fait alors une nouvelle requête.
Le secrétaire d’État aux relations avec le parlement doit être quelqu’un qu’il connaît bien et qui prolonge le retour d’autorité qu’il entend imprimer sur une majorité qu’il veut refaçonner. Ce sera Jean-Marie Le Guen, qui avait été le responsable des questions de santé dans l’équipe de campagne de Hollande. Dans le même temps, Harlem Désir est exfiltré de la direction du PS pour un sous-maroquin aux affaires européennes. Seul candidat, Jean-Christophe Cambadélis s’installe au premier étage du siège de Solférino, secondé par le député Christophe Borgel et quelques proches de Manuel Valls (le nouveau porte-parole, son suppléant Carlos Da Silva, et le sénateur Luc Carvounas, responsables des relations extérieures du parti).
Le 5 novembre 1999, le quotidien « Libération » met en cause deux des dirigeants de la MNEF dans une affaire de vente de frégates militaires à Taïwan, déjà au centre du scandale Elf. « A l’instar de Deviers-Joncour, écrit le quotidien, certains hommes de la MNEF ont aussi mouillé leur chemise en faveur des marchands d’armes ». Des accusations reprises par Christine Deviers-Joncour elle-même.
En cause, une association curieuse, les Amitiés France-Taïwan, qui est au cœur de cette interrogation. Les liens de cette association loi de 1901 avec la Mnef sont en effet étroits : Jean-Marie Le Guen, député PS de Paris et inamovible salarié de la mutuelle étudiante, en a été le vice-président, Olivier Spithakis, ancien patron de la Mnef (qui fut incarcéré), en était le trésorier et l’association a été domiciliée un temps rue Tiphaine, dans le XVe arrondissement de Paris, dans des locaux appartenant à la mutuelle. (L’Express)…
Certains observateurs n’ont pas manqué de remarquer que l’association des Amitiés franco-taïwanaise est née le 19 septembre 1991, quelques semaines à peine après la fameuse vente par la France de six frégates Lafayette à Taïwan. Un contrat faramineux qui a généré des centaines de millions de francs de commissions. Or, selon Christine Deviers-Joncour, l’ancienne compagne de Roland Dumas, précisément mise en examen pour avoir perçu une partie de ces dessous-de-table, les Amitiés France-Taïwan « auraient eu un rôle très actif dans la deuxième phase du marché ».
Il est vrai que la composition politiquement très ciblée de l’association est plutôt étrange. Outre Le Guen et Spithakis, on y trouve le très mitterrandien milliardaire Pierre Bergé, patron d’Yves Saint Laurent (qui hébergera, un temps, les Amitiés dans les locaux du couturier) et Jacques Cresson (époux de la Première ministre Édith Cresson, celle précisément qui a débloqué la vente des frégates à Taïwan).
" Borgel était le lieutenant de Cambadélis qui était le lieutenant de Strauss. Tous venaient de chez Lambert, cela se voyait, au moral comme au physique : des camarades austères, rigoureux, parfois brutaux, en parka ou veste de cuir. Le lambertisme, c’est la bonne école, qui mène à tout, à condition d’en sortir : pour eux, la voie royale, c’était le PS" (Un chef pour le PS, Emmanuel Mousset).
Ancien président de l’UNEF où il a cotoyé Jean-Christophe Cambadélis, Borgel a baigné très jeune dans les stratégies politiciennes et les cumuls de postes dans un opportunisme consternant.
Proche du Ministre Jack Lang, dont il a été le conseiller technique, Borgel a été nommé inspecteur de l’académie de Paris. La Cour des Comptes est venu préciser dans son rapport annuel que cet emploi (rémunéré environ 4 500 € net par mois) ne correspond à « aucun besoin particulier de l’académie de Paris ».
Borgel est aussi très proche de Martine Aubry. En 2008, il est l’une des chevilles ouvrières de sa campagne lors du congrès de Reims. Pour remercier son fidèle serviteur, elle le nommera secrétaire national chargé de la vie des fédérations et des élections. Borgel obtiendra là son diplôme de parachutisme pour la Haute-Garonne.
Parachutage et autres cumuls …
Chargé de venir régler le conflit entre deux candidates PS sur la 9ème circonscription de Haute-Garonne où l’investiture était initialement réservée à une femme, Borgel, alors Premier Adjoint au Maire de Villepinte, en bon machiste – responsable des élections, décide de s’autoparachuter. Il est désormais le candidat PS (plus que contesté) aux élections législatives. Au manque de galanterie s’ajoutent les gros sabots de l’opportunisme…
Elu Député, Borgel cumulera ce mandat avec celui de Conseiller Régional d’Ile-de-France pendant plus de 10 mois. Petit calcul simplifié. 10 mois avec une indemnité de 3 000 euros par mois, la morale politique peut bien être mise de côté pour 30 000 euros…
Président d’une SEM d’aménagement lié à son mandat régional, il n’en cédera la présidence qu’en janvier 2013
Cette fonction lui rapportait 21000 € par an : on peut considérer que sa démission tardive (10 mois) a dû lui rapporter plutôt 40 000 euros que 30000 euros.
Obligé de donner l’image d’un Député voué à sa circonscription, il démissionne de son mandat régional le 17 avril dernier avant d’être nommé… Président par intérim de la Fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, poste qu’il occupera jusqu’à la fin des élections municipales. De Toulouse à Marseille, il n’y a qu’un pas.
Expert en la matière, on comprend que ces petits amis parlementaires viennent de le nommer rapporteur de la loi sur le non-cumul des mandats.
Comme disait Alphonse Karr, « Tant de gens échangent volontiers l’honneur contre les honneurs ». A bon entendeur…
Hyacinthe, juin 2014
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