Loi renseignement : après le vote du Sénat, réactions de Next Impact et de la Quadrature du net

samedi 13 juin 2015.
 

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1) Le texte de la loi adopté par les sénateurs en cliquant ici.

Remarque : il ne s’agit pas d’un texte définitif, puisqu’il est susceptible d’être modifié par la commission paritaire des deux assemblées puis ultérieurement par les avis du conseil constitutionnel.

2) La réaction de Next impact (1) Le Sénat adepte le projet de loi renseignement

"Le Sénat a adopté aujourd’hui le projet de loi sur le renseignement. Cependant, le thème de la surveillance d’ampleur, pour reprendre une expression de la si délaissée CNIL, n’a pas été au goût de tous les parlementaires. Compte rendu.

Première à prendre la parole, Cécile Cukierman, du groupe communiste républicain et citoyen, a d’abord regretté que le gouvernement ait opté pour une procédure accélérée. Un tel choix, très souvent critiqué par le PS alors dans l’opposition, a réduit le nombre de navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat et donc les espaces de discussion. Selon l’élue, les modifications apportées par la commission des lois « n’ont pas changé l’esprit du projet de loi (…). Au lieu de partir de la cible pour trouver les données, on part des données pour trouver la cible ». Au passage, le risque est désormais acquis qu’une surveillance des organisations politiques, dont syndicales, s’installe en France compte tenu des finalités justifiant la surveillance (dont la fameuse préservation des intérêts économiques français).

L’IMSI Catcher, aspirateur aveugle de données très sensibles.

« Les boites noires surveilleront toutes les données », ajoute la parlementaire du groupe GCRC qui votera contre. Pas question d’un système permanent où de trop nombreux individus seront soumis à une enquête de suspicion généralisée afin de traquer de potentielles menaces terroristes. Pour elle, il y a donc une grande menace pour les libertés individuelles et certaines professions, dont le journalisme. Comment un IMSI Catcher saura par exemple déterminer si telle personne est ou non un journaliste ? Bref, le projet de loi Renseignement est l’illusion du risque zéro, taclera-t-elle. Pour Jacques Mézard (Rassemblement Démocratique et Social Européen), « ce n’est pas un texte sur le terrorisme », mais un texte bien plus ample. Cependant, l’approche et l’acceptation dudit texte se sont bien faites sur les cendres des attentats de Charlie Hebdo. S’il s’est félicité de l’encadrement de pratiques jusqu’alors sauvages ou des nombreux apports du Sénat sur ce texte, il temporise : « la probabilité d’identifier un terroriste est infinitésimale ». Dans son explication de vote, il a regretté toutefois que ce soit finalement le juge administratif qui soit devenu le juge de droit commun en matière de voie de fait. « L’excès est une faute et le manque provoque le blâme » dira-t-il, citant Aristote. Finalement, le RDSE choisira la voie du vote diversifié, mais « majoritairement d’abstention. »

Les radars, c’est bien, donc le projet de loi est bien

Robert Navarro, élu non inscrit, apportera son puissant soutien solitaire au texte : personne ne conteste les radars sur les routes, pourquoi donc contester un tel projet de loi, a-t-il expliqué en substance. L’UDI François Zocchetto embrayera avec plus de prudence : « nous devons, au-delà de l’examen de ce texte, garder un contrôle permanent sur les procédures ». Il annonce que plusieurs élus UDI voteront contre le texte (mais pas tous…).

Jean-Jacques Hyest (UMP-Les Républicains) a aussi congratulé les commissions sénatoriales pour l’apport sur le projet de loi. Il a espéré que la Commission de contrôle des techniques de renseignement puisse bénéficier des capacités suffisantes pour contrôler les flux aspirés par les services gouvernementaux. Cependant, à titre personnel, sur la surveillance des données, il considère que la crainte légitime exprimée par certains « ne me parait pas pertinente ». Il juge le texte « équilibré ». Au final, le groupe votera finalement pour, « dans sa grande majorité ».

Pour Jean-Pierre Sueur (PS), « quand on regarde attentivement le texte issu du Sénat, nul ne peut soutenir qu’il ne comprend pas des avancées importantes, y compris par rapport au texte de l’Assemblée nationale ». Parmi les points qui retiennent, il applaudit les nouveaux moyens juridiques attribués à la CNCTR. « Notre Sénat a bien travaillé et a été fidèle à sa vocation, la défense des libertés, l’accroissement des contrôles ». Par exemple, la CNCTR devrait disposer d’un accès direct aux données glanées. Il a toutefois regretté que l’expression « paix civile » soit maintenue parmi les finalités justifiant la surveillance, expression qui a suscité une pluie de critiques. Le PS prévient qu’il votera contre, malgré quelques remous internes.

Un petit Patriot Act à nous

Esther Benbassa, élue écologiste, prendra plus de hauteur : les questions soulevées par ce texte relèvent d’un choix de société. Va-t-on vers un État ultra-préventif ? C’est la seule élue à avoir cité la longue liste de ceux qui ont mis le gouvernement et les parlementaires « en garde » contre les dérives de ces dispositions. « Nous allons voter notre petit Patriot Act à nous, quand les États-Unis votent leur Freedom Act ».

Une nouvelle utopie orwellienne à la française avec un « texte susceptible de devenir une arme redoutable dans les mains d’hommes et femmes d’un régime moins scrupuleux ». La petite phrase a suscité l’émoi des sénateurs : « Au moins vous les avez réveillés » dira le président de séance, pendant que les libertés sont potentiellement rabotées. « Nous allons, ignorants des technologies modernes, voter un texte redoutable. J’admire votre légèreté » insistera l’élue écologiste, en vain.

Un peu avant 16 heures, le texte a été adopté à 251 voix pour et 68 contre. Il part maintenant en commission mixte paritaire pour qu’un arbitrage soit trouvé avec la version des députés. En cas d’échec, l’Assemblée nationale, où le PS a la majorité, aura le dernier mot."

3) La réaction de la Quadrature du net (2)

Loi renseignement : vote désastreux des sénateurs qui abandonnent les libertés publiques

"Paris, 9 juin 2015 — La loi relative au renseignement a été votée ce 9 juin au Sénat par 252 voix pour, 67 voix contre et 26 abstentions. Cette loi a été discutée en urgence et sous la pression d’un goLe mondeuvernement arguant de l’extrême risque terroriste pour imposer l’espionnage de masse de la population française pour des finalités larges. Elle fera peser sur la France le poids d’une surveillance diffuse, intrusive, indiscriminée et sans contrôle réel. La Quadrature du Net regrette amèrement l’aveuglement des parlementaires français et appelle les citoyens à ne pas renoncer à leurs libertés.

Malgré une opposition proportionnellement un peu plus marquée qu’à l’Assemblée nationale, le vote des sénateurs a rejoint celui des députés le 5 mai dernier pour adopter un texte dénoncé comme dangereux par une part importante des défenseurs des libertés, des syndicats, des magistrats et avocats, des journalistes et malgré une opposition argumentée et transpartisane au sein même du Parlement1.

Cédant aux pressions incessantes de Bernard Cazeneuve qui n’a pas hésité à marteler, durant tout le débat parlementaire, son refus d’écouter les opposants tout en faisant peser une quasi responsabilité des futurs actes de terrorisme en cas de refus de la loi, les sénateurs n’ont pas voulu ou su protéger les droits des citoyens qu’ils représentent.

La commission mixte paritaire qui réunira, d’ici quelques jours, un groupe de députés et de sénateurs pour harmoniser le texte en vue de son adoption définitive ne pourra donc que valider une loi qui :

– étend largement le champ d’action du renseignement ;

– légalise massivement les pratiques illégales des services ;

– instaure des techniques de surveillance de masse ;

– crée une commission de contrôle des interceptions sans réel pouvoir ;

Elle n’instaure aucune sanction pour les actes de surveillance illégale, ni recours pour les personnes affectées ou possibilité véritable d’alerter pour ceux qui en ont connaissance.

« Nous appelons les parlementaires soucieux de la constitutionnalité de cette loi et des libertés publiques à préparer dès à présent la saisine du Conseil Constitutionnel et à travailler encore pour empêcher la mise en application d’une loi qui va à l’encontre des droits fondamentaux des citoyens et de la démocratie » appelle Philippe Aigrain, cofondateur de La Quadrature du Net."

4) Le compte–rendu de Mediapart.

C’est dans ce média que l’on trouve un compte rendu à la fois concis et complet sur les modifications apportées par rapport au texte de l’assemblée nationale. Voici un extrait du texte de Mediapart : "…L’esprit du texte demeure inchangé : donner une base légale à la « politique publique du renseignement », c’est-à-dire aux services, à leurs domaines d’activité, ainsi qu’à certaines techniques jusqu’à présent illégales mais largement utilisées : pose de balises de géolocalisation, « sonorisation » de domiciles ou de véhicules, utilisation de IMSI Catcher – un dispositif pouvant intercepter les données transitant par réseaux mobiles à proximité –, la sollicitation « en temps réel » des réseaux pour collecter les données de connexion d’internautes ou encore la pose sur le réseau d’algorithmes, qualifiés de « boîtes noires », censés détecter les comportements suspects de candidats au djihad. En échange de ces nouveaux pouvoirs, le texte prévoit la création d’un nouvel organisme, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), chargé de rendre un avis préalable mais contournable dans plusieurs cas […]

Mais plusieurs épées de Damoclès restent cependant encore suspendues au-dessus du projet de loi renseignement qui fera l’objet de plusieurs examens de la part du Conseil constitutionnel. Les Sages devraient tout d’abord être saisis par François Hollande lui-même. Face à la fronde de la société civile, le président de la République s’était engagé, le 19 avril dernier sur le plateau de Canal +, à saisir le Conseil. De son côté, un groupe de parlementaires avait également annoncé, lors des débats à l’Assemblée nationale, avoir recueilli assez de signatures pour déposer son propre recours.

Mais une autre procédure, lancée il y a maintenant plusieurs mois, pourrait bien elle aussi menacer certaines dispositions au cœur du projet de loi, mais également d’autres textes sécuritaires. Au mois d’avril dernier, la Quadrature du net, le fournisseur d’accès associatif French Data Network (FDN) et la fédération des fournisseurs d’accès associatif français (FFDN) avaient déposé devant le Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre les décrets d’application d’un autre texte voté fin 2013, la loi de programmation militaire (LPM). Ce recours porte sur plusieurs points du texte, comme la collecte indiscriminée de données sur les réseaux qui serait contraire à la jurisprudence européenne ou encore la possibilité de collecter tous les « documents » et « informations » sur « sollicitation du réseau », des termes jugés beaucoup trop vagues.

Or, le 1er juin, le rapporteur pour avis du Conseil d’État a recommandé à la plus haute juridiction administrative de transmettre la QPC des associations au Conseil constitutionnel. « Les deux questions que nous soulevons au sujet de la LPM se retrouvent exactement dans les mêmes termes dans la loi renseignement. Et dans son avis, le rapporteur ouvre plusieurs portes entre les deux textes », explique Adrienne Charmet-Alix. « Si le Conseil constitutionnel émet des réserves ou une censure même partielle de certaines dispositions, cela aura forcement un impact, par ricochet, sur la loi renseignement. Ça pourrait faire tomber des pans entiers de ces textes. »"

Texte complet accessible aux abonnés en cliquant ici (4) (Rappelons que les articles de Mediapart sont presque toujours téléchargeables en format PDF)

5) Comment ont voté les sénateurs ?

a) Source : Le Point (5)

"Le très contesté projet de loi sur le renseignement, présenté par le gouvernement au nom de la lutte antiterroriste, a été adopté sans encombre mardi au Sénat, comme il l’avait été à l’Assemblée nationale. 251 sénateurs, en majorité du parti Les Républicians (ex-UMP) et socialistes, ainsi que la moitié des centristes, ont voté pour. 68 en revanche se sont prononcés contre : les communistes, les écologistes, 19 centristes sur 43, dont Chantal Jouanno et Valérie Létard, et 9 Républicains parmi lesquels Claude Malhuret. Jean-Yves Leconte et Marie-Noëlle Lienemann chez les socialistes ont voté contre. Les autres sénateurs, dont la quasi-majorité du RDSE (à majorité PRG), se sont abstenus (26 abstentions) "

b) Source : l’Humanité (6) L oi Renseignement : Sénateurs socialistes et de droite adoptent un projet de loi modifié . Mercredi, 10 Juin, 2015

"127 sénateurs «  républicains  », 100 socialistes, 22 de l’UDI ont voté comme un seul homme, hier, le projet de loi sur le renseignement présenté par le gouvernement au nom de la lutte contre le terrorisme 127 sénateurs «  républicains  », 100 socialistes, 22 de l’UDI ont voté comme un seul homme, hier, le projet de loi sur le renseignement présenté par le gouvernement au nom de la lutte contre le terrorisme, après modification de certaines de ses dispositions comme la création d’un délit d’entrave aux missions de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). De leur côté, les sénateurs écologistes et communistes ont voté contre. «  Dans sa rédaction actuelle, le texte ouvre la voie à des dérives de surveillance de groupes ou d’individus entendant contester les politiques publiques, on pense aux organisations syndicales, mais pas seulement  », a justifié Cécile Cukierman (PCF) en séance. Dénonçant la création d’un «  arsenal de techniques intrusives  », la sénatrice voit dans ce texte un «  pilier de l’ère de la suspicion  ». Celui-ci doit être soumis à une commission mixte paritaire qui doit trouver une version commune aux deux chambres."

Hervé Debonrivage


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