Non, le FN n’est pas ce que vous croyez !

lundi 4 mai 2015.
 

Le politologue Alexandre Dézé démonte les idées reçues sur le FN, dans un essai téléchargeable gratuitement. Une salutaire opération de désintox.

Non, le FN n’est pas aux portes du pouvoir. Non, il n’est pas le premier parti de France. Et non, il n’a pas changé ! Démonter les idées reçues, ou plutôt véhiculées par la communication du Front à grand renfort médiatique : telle est l’ambition du dernier ouvrage d’Alexandre Dézé, maître de conférence en sciences politiques à l’université Montpellier, Le « nouveau » Front national en question (téléchargeable sur le site de la Fondation Jean Jaurès).

« Ce n’est pas tant le FN qui a changé que les perceptions de ce parti », explique le chercheur, qui pointe que la banalisation du FN repose certes sur un relooking de façade du parti. Mais aussi, et surtout, sur « le traitement médiatique, sondagier et politique de l’organisation frontiste ». Une complicité objective – pas toujours consciente – que le chercheur développe largement, et qui fait l’originalité de son ouvrage.

Le FN, « premier parti de France » ?

Malgré des scores inédits aux élections l’an passé (10 mairies sont tombées dans son escarcelles aux dernières municipales, le FN devançant l’UMP et le PS aux européennes...), les exploits électoraux du FN sont surévalués, pointe Alexandre Dézé :

« Les derniers scores électoraux du FN sont donc indiscutablement élevés, a fortiori dans un contexte de forte démobilisation électorale. Mais ils ne sauraient suffire à faire de l’organisation frontiste la première force politique française – un statut qu’il convient d’apprécier à l’aune de bien d’autres critères. »

Sa représentation reste ainsi « marginale » à tous les échelons du millefeuille territorial. En outre, le FN n’a aujourd’hui que deux députés sur 577 (dont un « étiqueté » Rassemblement Bleu Marine) et deux sénateurs sur 348. Quant à ses adhérents, ils sont moins nombreux que le laisse croire sa sur-représentation médiatique :

« Au lieu des 83 087 militants annoncés par ses dirigeants à la fin du mois d’octobre 2014 – un chiffre présenté sans vérification ni retenue comme un “record historique” par un certain nombre de médias –, il s’avère que le parti d’extrême droite en compte deux fois moins (42 130). »

Quelque 40 000 militants frontistes à comparer avec les 60 000 militants socialistes (selon les estimations les plus basses) et aux plus de 200 000 adhérents à l’UMP. D’autre part, le FN ne convainc pas de manière spectaculaire au-delà de ses bastions habituels :

« La grande majorité des électeurs frontistes continuent de se situer à l’est d’une ligne Le Havre-Valence-Perpignan (exception faite de la vallée de la Garonne), et plus particulièrement dans le Nord-Est de la France et autour du bassin méditerranéen. C’est dans ces territoires que le parti d’extrême droite s’est historiquement implanté et qu’il continue aujourd’hui de progresser. »

Enfin, les bons scores du FN ne sont pas si « nouveaux » que cela, le parti ayant enregistré des flux et des reflux électoraux tout au long de son histoire... que les commentateurs (journalistes, militants...) ont, semble-t-il, oubliée.

Le FN, un parti « comme un autre » ?

La ritournelle est connue : le FN se serait normalisé. Plus de fachos dans les rangs, plus de « dérapages » racistes, en témoignerait la récente prise de bec entre Marine Le Pen et son père. C’est oublier un peu vite l’épisode le bal autrichien auquel s’était rendu Marine Le Pen en 2012, où se trouvaient certains sympathisants nazis.... Bref, le FN pourrait légitimement prétendre au pouvoir.

Cette antienne relève de la « fiction politique », selon Alexandre Dézé, qui rappelle que le FN ne bénéficie ni de l’implantation, ni du réseau d’élus, ni du nombre de cadres suffisants pour espérer aujourd’hui prendre le pouvoir au niveau national :

« En septembre 2014, un responsable affirmait ainsi : “Vous imaginez demain “Marine” à l’Élysée ? Il n’y a pas assez de ministres ! Qui est son directeur de cabinet ? Qui est ambassadeur à Washington ? S’il n’y a qu’une dissolution, et qu’on peut avoir 150 députés, on met qui ?” »

Enfin, non seulement, le profil (CSP +, technocrates, fonctionnaires) de ses « nouvelles » recrues mises en avant dans les médias n’est non seulement pas nouveau – « Ces recrutements demeurent numériquement marginaux et, en tout état de cause, inférieurs à ceux que le FN avait pu enregistrer avant la scission de 1998 » -, mais ils sont aussi vivement critiqués par les frontistes en interne.

Le FN, un « parti nouveau » ?

Et d’abord, la « dédiabolisation » portée par Marine Le Pen est-elle vraiment nouvelle ? Non, répond Alexandre Dézé, qui la fait remonter à plus de trente ans en arrière :

Ce procédé de dédiabolisation « a tout d’abord tenté d’imposer un nouveau registre de discours euphémisé, en utilisant les notions de “priorité nationale”, de laïcité ou de République. Or, ce travail d’ajustement sémantique est tout sauf nouveau. Il remonte au milieu des années 1980, lorsque Jean-Yves Le Gallou et Bruno Mégret, qui venaient de quitter les formations de la droite classique pour rejoindre le FN, suggérèrent d’adopter le concept de “préférence nationale” pour à la fois contourner la législation antiraciste et rendre plus acceptables les propositions xénophobes du parti. »

De même, des structures type « Rassemblement Bleu Marine » ne sont pas une invention de Marine Le Pen. On se souviendra ainsi du « Rassemblement national » mis en place avant les législatives de 1986 pour « favoriser le recrutement de candidats extérieurs au FN, mais également [pour] combler le déficit du parti en matière de personnel politique ».

Sur le fond, Alexandre Dézé estime que le FN n’a pas connu de renouvellement programmatique majeur. Toujours réactionnaire sur les sujets sociétaux (opposé à l’avortement ou au mariage homosexuel, pour la peine de mort), son fonds de commerce est, encore et toujours, la xénophobie sous toutes ses formes.

« La seule exception tient à quelques points relatifs à l’économie qui, il est vrai, occupe une place croissante dans l’offre du parti, reconnaît Alexandre Dézé. Ainsi, le FN se montre désormais hostile à la suppression de l’impôt sur la fortune. Il est également favorable à la nationalisation des entreprises bancaires en difficulté. […] On peut sans doute considérer, comme le suggère Gilles Ivaldi, que le FN se place aujourd’hui ’’parmi les mouvements les plus économiquement à gauche’’, non pas du spectre politique, mais de ’’la constellation radicale populiste’’. »

A qui la faute ?

L’analyse fine du rôle joué par les sondages et les médias dans la montée en puissance médiatique du FN constitue la seconde partie de l’ouvrage. Entre biais statistiques et manquement à la déontologie la plus élémentaire, Alexandre Dézé affirme, multiples exemples à l’appui, que certains médias (L’Express, Le Nouvel Obs, Libé...) et sondeurs ont ainsi contribué, à partir de 2011, « à installer l’idée qu’un nouveau FN avait vu le jour » en donnant « corps et forme au ’’roman de la dédiabolisation’’ ». Et ainsi, à produire une prophétie autoréalisatrice où les sondages et médias viendraient produire une réalité électorale qu’ils alimenteraient sans cesse en la commentant...

L’inflation des sondages sur le FN, ainsi que leur interprétation parfois douteuse, trouve sa source le contexte économique morose d’une presse contrainte de faire des « coups » éditoriaux pour vendre du papier. Ajoutez à cela, un storytelling vendeur et une couverture « hyperbolique » des actualités du FN, sur fond de reprise par les politiques des thèmes frontistes dans le discours ambiant... Le résultat est que « dans tous les cas, la ’’dédiabolisation’’ s’est bien imposée comme la principale grille de lecture médiatique du parti d’extrême droite, contribuant en retour non seulement à la faire exister , mais aussi à la crédibiliser ».

Faut-il craindre alors que une progression inéluctable du FN ? Pas si sûr, selon Alexandre Dézé, qui souligne les contradictions d’un parti pris entre deux feux : surfer sur un discours anti-système porteur auprès de l’opinion, et établir des alliances, condition sine qua none à son accession au pouvoir. Un paradoxe qu’il n’a pas fini de régler.

Par Pauline Graulle


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message