La morale comme fondement de l’anticapitalisme

jeudi 21 novembre 2019.
 

1) "L’ambition morale de la politique. Changer l’homme ?" (Yvon Quiniou)

2) Faut-il enseigner la morale laïque à l’école de la république ? (Yvon Quiniou)

3) La dissolution de la morale sexuelle bourgeoise est l’œuvre du capitalisme

4) Procréation, biotechnologies, début et fin de vie : Épineuses questions de morale (Denis Collin)

5) «  L’Humain d’abord  ». L’éthique aux sources du politique

L’éthique n’est pas un plus de morale, elle est une posture exigeante, tendue, courageuse, à défendre et construire la valeur en toutes circonstances. L’éthique est un rapport actif à l’inconscient, une position de travail, de re-connaissance, de vouloir (et) savoir.

«  L’injustice sociale sous les formes de l’exploitation ne serait que l’euphémisme du meurtre… » (1) La totalité du corps social est en train de se fissurer dans une sorte d’anomie passive, où les signifiants maîtres sont ceux des maîtres du signifiant. Résister dans sa tête, son cœur, son corps, nous oblige à revisiter la philosophie et la psychanalyse. Maria Zambrano, Vladimir Jankélévitch, Emmanuel Lévinas nous enseignent la responsabilité pour autrui comme forme première de l’être. La détresse fonde l’éthique. Sigmund Freud pense le Nebenmensch comme proximité secourable, de l’un à l’autre, de l’autre à l’un. Il s’agit d’une figure maternelle, métaphore des prémisses de l’éthique au-delà du soin. L’éthique n’est pas un plus de morale, elle est une posture exigeante, tendue, courageuse, à défendre et construire la valeur en toutes circonstances. L’éthique est un rapport actif à l’inconscient, une position de travail, de re-connaissance, de vouloir (et) savoir. L’éthique est à la fois relation à l’autre et rapport au soi (de l’inconscient).

Avec le Nebenmensch, l’écoute, la réponse, l’interprétation sont aux fondements de la responsabilité pour autrui. À partir des soins primaires (et même avant), le souci de l’autre, le désir de l’autre s’élaborent comme gratitude, pour ne pas dire amour. À l’opposé, l’envie, la haine, les pulsions destructrices non élaborées, non élaborables, les déficiences vitales symboliques induisent (une sorte) de sortie de l’humain. Pour Emmanuel Lévinas, l’humain, c’est le visage de l’autre dont je suis responsable, le visage humain. Sauver l’humain, c’est offrir les conditions maximales à la gestation, reproduction, éducation des petits d’hommes. Nous sommes très très très loin du compte. Que demande le «  peuple  »  ? Une égalité fraternelle. Dans les formes les plus rudimentaires, les plus précaires, les plus démunies de l’existence, l’humain résiste  ; un terreau millénaire d’humanisations partagées et réciproques existe comme patrimoine éthique de l’humanité. Cette fondation anthroponomique (Paul Boccara) est le réel de l’humain. Mais pas que… À l’opposé, nous le savons, les forces de destruction, de domination, de transgression, la pulsion de mort, travaillent en 3x8, dans et hors sujet.

L’éthique, rapport terrible du sujet à lui-même. Pour élucider les causes de la faille, l’origine de l’effondrement éthique, j’interroge dans cet article la source de l’engagement en deçà de l’idéologie. Il y a certes l’amour maternel, paternel, l’éducation, « étudier et bâtir » (Emmanuel Lévinas). Il y a aussi la « piété filiale »comme forme première de la solidarité, elle oblige le sujet à prendre soin de son propre corps, comme bien d’héritage. L’amour-propre n’est-il pas le propre de l’amour  ? Si le père se prolonge dans le fils qui est à la fois le même et un autre, le fils est traversé par le sentiment de piété, gratitude éclairée par la transmission de la vie. Ici la relation père-fils est une métaphore de la filiation.

La crise politique est avant tout une crise de la transmission et de la filiation. Les courroies de transmission sont grippées, voire inexistantes. Quant à la « dette transgénérationnelle », on discerne mal les contours de sa pérennité. Se sentir une dette légitime à l’égard de Mère Nature ne nous dédouane pas d’une dette critique à l’égard des anciens. Fût-ce (les luttes émancipatrices) du prolétariat. Voici tracée à grands traits l’analyse de « l’Humain d’abord », d’un point de vue éthique. Quand j’aborde ces propositions avec des jeunes en formation, ils les entendent et s’y retrouvent. Pourquoi le discours politique hésite-t-il devant l’obstacle du dire l’éthique  ? Aller y voir nous oblige à un travail d’analyse(s) et d’énonciation inédit. Lever les résistances, se confronter à la question de l’éthique, donc de l’inconscient, n’est pas une mince affaire, y compris pour les militants, les dirigeants. « L’Humain d’abord » est à ce prix  : quitter le registre du mot d’ordre incantatoire pour aller à la rencontre du réel, comme « rapport terrible » du sujet à lui-même.

Par Jacques Broda, universitaire.

5) Le sens révolutionnaire est un sens moral (Victor Hugo, Les Misérables)

Grâce à la révolution, les conditions sociales sont changées. Les maladies féodales et monarchiques ne sont plus dans notre sang. Il n’y a plus de moyen âge dans notre constitution...

Le sens révolutionnaire est un sens moral. Le sentiment du droit, développé, développe le sentiment du devoir. La loi de tous, c’est la liberté, qui finit où commence la liberté d’autrui, selon l’admirable définition de Robespierre. Depuis 89, le peuple tout entier se dilate dans l’individu sublimé ; il n’y a pas de pauvre qui, ayant son droit, n’ait son rayon ; le meurt-de-faim sent en lui l’honnêteté de la France ; la dignité du citoyen est une armure intérieure ; qui est libre est scrupuleux ; qui vote règne. De là l’incorruptibilité ; de là l’avortement des convoitises malsaines ; de là les yeux héroïquement baissés devant les tentations. L’assainissement révolutionnaire est tel qu’un jour de délivrance, un 14 juillet, un 10 août, il n’y a plus de populace.

Le premier cri des foules illuminées et grandissantes c’est : mort aux voleurs ! Le progrès est honnête homme ; l’idéal et l’absolu ne font pas le mouchoir. Par qui furent escortés en 1848 les fourgons qui contenaient les richesses des Tuileries ? par les chiffonniers du faubourg Saint-Antoine. Le haillon monta la garde devant le trésor. La vertu fit ces déguenillés resplendissants. Il y avait là, dans ces fourgons, dans des caisses à peine fermées, quelques-unes même entrouvertes, parmi cent écrins éblouissants, cette vieille couronne de France toute en diamants, surmontée de l’escarboucle(307), du régent, qui valait trente millions. Ils gardaient, pieds nus, cette couronne. Donc plus de jacquerie. J’en suis fâché pour les habiles. C’est là de la vieille peur qui a fait son dernier effet et qui ne pourrait plus désormais être employée en politique. Le grand ressort du spectre rouge est cassé. Tout le monde le sait maintenant. L’épouvantail n’épouvante plus. Les oiseaux prennent des familiarités avec le mannequin, les stercoraires s’y posent, les bourgeois rient dessus.


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