En Grèce comme ailleurs : « La dette est un moyen de chantage pour imposer les politiques néolibérales »

dimanche 22 février 2015.
 

Pour Eric Toussaint le fardeau de la dette grecque est en grande partie lié au plan de sauvetage des banques consécutif à la crise financière de 2008. Nous l’avons rencontré dimanche soir à Athènes, où il participait à la manifestation organisée sur la Place Syntagma à la veille de l’Eurogroupe. Entretien dans L’Humanité.

Éric Toussaint est maître de conférences à l’université de Liège, président du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) Belgique. Il est l’auteur, entre autres, de Bancocratie (Aden, 2014).

Rosa Moussaoui – La proposition d’annuler une partie de la dette grecque, portée par Syriza durant la campagne électorale, est-elle toujours à l’ordre du jour ?

Éric Toussaint. Le gouvernement dirigé par Alexis Tsipras veut en priorité obtenir des autorités européennes la possibilité d’appliquer son programme anti-austérité. D’où ce choix de ne pas chercher d’affrontement direct sur la question de la dette. La proposition d’une conférence internationale pour réduire radicalement la dette a laissé place à celle de Yanis Varoufakis, qui pense possible de maintenir le stock de la dette à partir du moment où la Banque centrale européenne (BCE) transforme les titres grecs en titres perpétuels, dont on ne rembourse pas le capital, avec un taux d’intérêt indexé sur la croissance. Ceci dit, cette proposition, si elle était appliquée, entraînerait de fait une réduction radicale de la dette. C’est un choix tactique. Il est clair que le gouvernement Syriza avance cette proposition de compromis en pensant que la Grèce n’obtiendra pas de véritable concession sur le stock de la dette et qu’il vaut mieux, dès lors, ne pas porter le débat sur ce terrain, l’urgence étant de stopper les politiques d’austérité.

Où se trouve l’origine de cette dette non viable ? Peut-on incriminer les plans de sauvetage des banques consécutifs à la crise financière de 2008 ?

Éric Toussaint. Absolument. Au total, 80% de la dette grecque est détenue par la troïka. Les 20% restant concernent des obligations émises par l’Etat grec à trois, six mois, achetées par les banques grecques qui dépendent des liquidités mises à disposition par la BCE via le mécanisme ELA. Il clair que cette dette remonte à 2010 et à 2012. Elle est liée au sauvetage des banques privées, françaises, allemandes, italiennes, luxembourgeoises, belges, principales créancières de la Grèce. Les banques françaises détenaient à elles seules 25% de la dette grecque. Les banques allemandes, presque 20%, les banques italiennes, 10%, les banques belges, 8%. Quelques banques privées (dans le cas de la France, BNP-Paribas, Société générale et le Crédit agricole) se partageaient l’essentiel de la dette grecque. Le plan de sauvetage de 2010 a eu pour fonction de débloquer des prêts bilatéraux, pour un montant de 52,9 milliards d’euros, la part française se montant à 11,39 milliards, avant que le Mécanisme européen de stabilité (MES) ne prenne le relais ainsi qu’un prêt du FMI. Cet argent a servi à rembourser les banques françaises, allemandes, etc. créancières de la Grèce. Lesquelles ont pu être ainsi dégagées et remplacées par la troïka. En 2012, la restructuration de la dette ne les a donc pas affectées. En revanche, les banques chypriotes, qui avaient acheté sur le marché secondaire des titres grecs en solde, croyant faire une bonne affaire, se sont retrouvées au bord de la banqueroute. En 2010, le « plan d’aide » a surtout permis, sur l’insistance de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel, d’assurer le sauvetage des banques des pays centraux et surtout des banques françaises et allemandes. Ces prêts étaient bien sûr conditionnés à un plan d’ajustement structurel impliquant des reculs très graves sur le niveau des salaires et des retraites, sur le droit de négociation collective, sur les privatisations.

Ce plan d’ajustement structurel, censé assainir les finances publiques, a finalement conduit à l’explosion de la dette grecque, passée de 113% du PIB en 2009 à 185% aujourd’hui, selon les derniers chiffres rendus publics par le gouvernement grec. Comment l’expliquez-vous ?

Éric Toussaint. En 2012, par un habile tour de prestidigitation, on a présenté à l’opinion publique grecque et européenne un plan de restructuration qui devait, disait-on alors, alléger la dette de 50%. Mais cet allègement était lié à de nouveaux prêts conditionnés aux programmes de la troïka, prêts qui sont venus alourdir encore le fardeau de la dette. C’était une fausse annulation de dette, une supercherie qui a coûté cher à certaines structures publiques, aux banques grecques et aux caisses de retraites de la fonction publique ayant acheté des titres. Celles-ci ont été frappées de plein fouet par la décote imposée par cette restructuration. À mes yeux, cette dette est donc illégitime, car contractée en grande partie pour satisfaire les intérêts privés des banquiers étrangers ou de certains secteurs en Grèce. Le plan d’ajustement structurel imposé à la Grèce est odieux, car il a conduit à la violation des droits fondamentaux des citoyens grecs. On pourrait aussi démonter qu’il est illégal, dans la mesure où le programme de 2010 n’a pas respecté la Constitution grecque. Le Parlement n’a pas pu délibérer, il a été dessaisi par la procédure du vote bloqué. Les règles européennes elles aussi ont été bafouées, puisque l’article 125 du traité de Lisbonne interdit aux États membres de répondre des engagements d’un autre État membre. Si on a violé le traité, alors les prêts en question sont illégaux ! Quant au FMI, il a lui-même piétiné ses propres statuts, qui prévoient que cette institution financière ne peut accorder de prêt à un pays que si ce prêt rend soutenable le remboursement de la dette. Démonstration est faite que ce n’est pas le cas. Il existe des arguments très forts pour contester la dette grecque. Le discours culpabilisant vis-à-vis de la Grèce est mensonger. L’enjeu, en réalité, n’est pas le remboursement de la dette. La dette est un moyen de chantage, pour contraindre les autorités grecques à poursuivre les politiques d’ajustement structurel, les privatisations, la précarisation des contrats de travail. En un mot pour qu’elles appliquent des réformes néolibérales brutales.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ROSA MOUSSAOUI


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