Syriza, Podemos... Les sept jours qui changent l’Europe

dimanche 8 février 2015.
 

Les premiers pas du gouvernement Tsipras ont été un concentré de ce que nous-mêmes nous avons connu en mai 1981. De très rudes coups ont été portés au système de la caste. Les symboles eux-mêmes sont très puissants. Le fait pour l’intronisation du Premier ministre de ne pas jurer sur la Bible est une broutille vu d’ici. Là bas, c’est d’une violence symbolique terrible. Mais quand on passe à l’expulsion de la Troïka ! Puis à l’affirmation de la souveraineté nationale en affichant que la Grèce ne signera pas le Traité sur le Grand Marché Transatlantique, ce qui ruine cette affaire ! Ou bien que le gouvernement grec désapprouve les déclarations anti-russes de la Commission ! Bref, l’explosion a commencé.

Cette semaine s’est déroulée dans l’onde de choc de la victoire de Syriza en Grèce. Elle a été celle du début de la contre propagande la plus classique en pareil cas. Celle-ci a fonctionné sur des registres classiques pour nier l’identité du parti et de l’action de Tsipras, brouiller les signaux venus de Grèce et confondre les attributions. À la fin Syriza serait une sorte de parti solférinien soutenu par le Front national et nous serions de vils récupérateurs. Hilarant ! Le plus grotesque et sans vergogne est l’accusation de « récupérer » Syriza. Comme si Tsipras n’avait pas été notre candidat commun pendant les élections européennes pour la Commission Européenne ! Comme si nous n’étions pas membre du même parti européen, le PGE, que préside l’un d’entre nous : Pierre Laurent ! Comme si nous ne siégions pas au même groupe au Parlement européen, la GUE ! Mieux inspiré d’habitude, Ruquier a lui aussi passé ce sketch dans son émission ONPC. Cela fonctionne comme d’habitude en boucle, en mouton de Panurge.

Telle a été la construction séance tenante d’une ligne de défense contre la contagion en France. De soudains puristes ont alors surgi pour s’indigner de l’alliance avec la droite nationaliste, eux qui n’avaient rien à dire quand les socialistes gouvernaient avec l’extrême-droite. D’autres la jouait sur un registre de ravi de la crèche : « en fait ce sont de bons réformistes et même nos meilleurs amis depuis toujours ». Puis ce fut l’annonce que les Grecs mettraient de l’eau dans leur vin. Tout cela est excellent car cela n’a rien à voir avec la réalité. Il est important pour nous que l’ennemi se leurre sur ce qu’il affronte. Nous voyons donc bien qu’il est encore pris par surprise. Il n’a pas compris que le mouvement était engagé dans un vrai rapport de force. Il a cru que des gesticulations médiatiques suffiraient pour attendre le moment où ce gouvernement grec capitulera enfin comme les autres. Dès lors, la première manche a été gagnée par les Grecs. En chassant la troïka et en sortant du mémorandum, les Grecs ont agi comme l’avait fait Rafael Correa en Equateur dès son arrivée au pouvoir. Ils ont mis la bande à Merkel dans l’obligation de faire le pas de plus : soit refuser la discussion et provoquer la crise de l’euro, soit négocier et ouvrir la brèche. Dans cette affaire nous n’avons rien à perdre. Eux beaucoup.

L’ennemi ne le réalise que par bribes. Du peu qu’il comprend, il en tire l’idée stupide de rouler les mécaniques et d’entrer en escalade. Excellent pour nous car il n’a pas les moyens de ses mouvements de menton. Quand le banquier central menace de couper la circulation monétaire en Grèce, il pose un acte de guerre tout à fait vain, mais extraordinairement dangereux. La Grèce n’est pas Chypre ! Poussée à se mettre en défaut, la Grèce provoquera la disqualification de l’Euro. Je doute que cela soit du gout des Chinois ou des Russes, détenteurs de réserves considérables dans cette monnaie ! Ainsi est validée dans les faits la stratégie que j’ai mille fois expliquée sur des dizaines de plateau, avec pour toute réaction des sourires niais ou des yeux de merlans frits ! Je jubile ! Ils ne connaissent pas la suite. Nous, si !

Si notre rôle est bien de repérer tout ce qui peut permettre un effet domino, pour autant nous aurions tort de croire qu’il sera mécanique ou qu’il nous donnera la main en France sans autre effort qu’être au bon endroit au bon moment. D’abord parce que comme chacun le sait trop bien, l’existence d’un mouvement comme le FN perturbe sérieusement les comparaisons. Ensuite parce que la suite de la séquence grecque va remodeler le contexte. En premier lieu parce que le sort de la dette va peser sur toutes les consciences. Au demeurant, il n’est pas exclu que l’arrogance de Merkel sur ce sujet ne provoque une catastrophe, non seulement en Grèce mais sur tout le vieux continent. Je nomme catastrophe un effondrement sans contrôle de la zone euro. En second lieu, parce que dorénavant les puissants se savent en danger en Europe. Les chiens vont se lâcher. La propagande va se débonder. L’habituelle panoplie va être déployée. Je pense que l’accusation d’antisémitisme ne va tarder. N’a–t-elle pas commencé quand un journaliste vedette de « Libération » accuse Syriza d’être un « gouvernement rouge-brun » ? Ou quand un Daniel Cohn-Bendit crache sa haine de caste sur des dizaines de lignes qui ont donné le ton à tous les perroquets sociaux-libéraux ? La suite va être répugnante, croyez en ce que j’ai vu à ce sujet en Amérique latine. Certes, la police des esprits a été prise de court. Mais elle va bientôt redisposer ses batteries. Accompagnée, suivie, ou précédée de « révélations » de tous ordres dont le facteur commun sera de dénigrer, avilir les personnes qui incarnent le changement. On connait la musique. Dans ce contexte la lettre ouverte de Tsipras aux lecteurs allemands est un petit chef d’œuvre de ce que nous savons faire dans l’Histoire. Cela ne garantit rien, comme le précédent de la lettre du premier gouvernement de Lénine aux Allemands l’a montré. Mais à l’ère des réseaux sociaux, cela permet un contact direct avec l’argumentaire du principal protagoniste, sans l’intermédiaire des décryptages des embrouilleurs professionnels.

Le choc en retour pour nous est bien visible. Je m’amuse d’observer le flot de lazzis qui m’accable dans les colonnes du parti médiatique ces temps derniers et même à l’écran. Plantu me montre ivre, bière à la main, devant l’écran de télé. Madame Fressoz dans « Le Monde » m’appelle « Méluche » et, après avoir dit que je « clame » ceci ou cela à trois reprises, elle me voit « ivre » de mes meetings de 2012, puis « ivre » de notre victoire en Grèce. Avant d’annoncer que le résultat de la Grèce montrait que je pouvais faire gagner le Front National. En lisant ça, évitez de fumer la moquette, ça ferait double emploi ! Tout le reste est à l’avenant. Même « Le Canard enchaîné », de façon bien inattendue, sous la plume d’Anne Sophie Mercier, nous accable de railleries dans la pure veine des bien-pensants. Avant de traiter notre victoire électorale de « farce ». Rien de moins.

Pourquoi une telle entreprise de démolition, et pourquoi une telle confusion dans les méthodes de dézinguage ? Tous ces gens n’ont rien vu venir. Ils ne connaissent toujours rien à cette famille politique en construction depuis les premières réunions du forum de San Paolo en 1991. Là-bas aussi nous étions considérés comme un ramassis folklorique. Nous sommes aujourd’hui au pouvoir, avec des histoires et des programmes différents, dans dix pays où la droite et la social-démocratie se sont effondrés dans la corruption et les programmes d’austérité du FMI et de la banque mondiale. Pris de nouveau par surprise sur le vieux continent, ils tirent dans le tas de ce qu’ils ressentent comme un grand danger. Et nous le sommes en effet. Pas comme ils le disent ni pour les raisons qu’ils donnent. Mais pour leurs mandants, la finance mondialisée. Mais le parti médiatique pourrait-il être moins grossier ? Juste par élégance. Pourquoi ne raffinerait il pas son argumentaire ? Pourquoi les mêmes injures, les mêmes clichés depuis un demi-siècle contre tout ce qui bouge ? Parce que la classe moyenne à laquelle ils s’adressent est puissamment lobotomisée politiquement, après trente ans de drogues dures libéralo-libertaires. Dorénavant précipitée dans le déclassement elle se cramponne à des certitudes de pacotilles que le parti médiatique lui sert à grosse louche. Ce régime alimentaire ne suffira pas à faire cesser le mal qui les ronge.

Mais déjà, commençons par le commencement de nos tâches. D’abord éviter de répercuter les ragots et calomnies des trolls de tous poils sur la scène médiatico-politique. Ensuite, il faut s’armer d’une doctrine d’action stable. Celle de la « solidarité raisonnée ». Pas d’adulation ostentatoire. Mais pas de critiques pour prouver qu’on est libre de dire du mal et comme si dire du bien serait de la complaisance ! Pas de suivisme au jour le jour, non plus. Nous ne sommes pas, nous, les répétiteurs de l’ambassade du pays que nous soutenons. Nous ne devons jamais partir d’autre chose que de notre propre intérêt à soutenir et défendre la Grèce dans son choc avec les institutions malfaisantes de l’Union européenne. Exemple dans l’affaire de la dette. Quoi que négocie le gouvernement grec, nous devons interpeller le nôtre sur le fond du sujet. Notre travail doit être d’expliquer ce qu’est une « dette odieuse ». Et de mettre tout le monde pédagogiquement au pied du mur : du côté du peuple grec ou du côté des créanciers ?


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