Mélenchon : "L’élan de ce dimanche n’est pas simplement émotionnel. La fraternité républicaine est à la fois un sentiment et un concept politique"

jeudi 13 août 2015.
 

Lundi, l’ancien co-président du Parti de gauche tenait une conférence sur le thème "Laïcité et paix civile", comme une réponse à la folie meurtrière des frères Kouachi et de leur complice Amedy Coulibaly.

L’occasion pour "Marianne" d’interroger l’ex-candidat à la présidentielle sur le sens qu’il donne à cette tragédie, les leçons qu’il faudrait en tirer et les débats qu’il estime urgent d’avoir...

Marianne : Comment avez-vous vécu les événements de l’attaque meurtrière de Charlie Hebdo ?

Jean-Luc Mélenchon : Aussitôt je me suis dit : « Pourvu que ce ne soit pas vrai » ! Je ne voulais pas que ce soit possible. Cette rédaction, c’était des gens que je connaissais, avec qui j’avais des affinités personnelles, des gens pleins de gentillesse, d’une grande simplicité. Mais bien sûr, j’ai eu aussitôt claire conscience de la nature très politique de cet attentat. Chaque fois que ces fanatiques tuent, ce sont des personnes de la gauche laïque. En Tunisie, il y a eu deux morts pour la liberté de conscience, tous deux du Front populaire ! J’étais allé aussitôt à Tunis. Ici aussi je suis allé sur les lieux, assez anxieux, sans trop savoir comment me rendre utile. Je me suis dit, il y a peut-être un ami de l’équipe à qui je pourrais donner un peu de réconfort. Sur place, j’ai ai été touché par l’attitude des policiers : sensibles, délicats, ils nous donnaient — en nous ménageant — des infos. Ce sont des moments que l’on n’oublie pas.

Ensuite, je me suis demandé quel sera l’impact de l’événement : « Comment la population va réagir ? » Et il y a eu les mobilisations du peuple anonyme. Alors ce fût l’émerveillement, et un sentiment de gratitude énorme pour mon pays d’avoir été capable d’une telle mobilisation sans haine. Le peuple s’est mis en mouvement. Le pari des assassins est un échec. Ils nous ont frappé à l’endroit qui a permis le plus grand rebond. L’élan de ce dimanche n’est pas simplement émotionnel. La fraternité républicaine est à la fois un sentiment et un concept politique. La république s’est refondée dans la rue ce dimanche. C’est un point d’appui pour la suite. Car les amis du communautarisme et de la théorie du choc des civilisations ne resteront pas sur cet échec. Les criminels non plus.

Le frère de Ahmed Merabet, ce policier qui est mort en tentant de stopper les frères Kouachi a, dans un vibrant hommage, rappelé la nécessité de ne pas tomber dans les amalgames qui lieraient musulmans et fanatiques. Pensez-vous qu’il y a effectivement un risque et comment éviter ce « piège tendu » selon Robert Badinter ?

Ce risque, c’est même le but des assassins ! Ils veulent cet amalgame ! La résistance à l’amalgame, c’est donc la manière d’empêcher qu’ils trouvent un espace, c’est leur enlever l’eau du bocal. De l’autre côté, il y a tous ceux qui sont les tenants du choc des civilisations qui ont pour but l’ethnicisation de la vie politique, ceux qui veulent que tous les communautarismes s’approprient l’espace public. J’ai aussi été écœuré de voir comment des gens ont profité des événements pour instiller sournoisement une forme particulièrement perverse d’antisémitisme en laissant entendre qu’il y aurait une communauté « à part » dans la nation républicaine. Un peu comme cette récente une du Parisien dévastatrice : « Juifs de France : la tentation du départ ». De qui d’autre dirait-on ça ? Pourquoi répandre ce soupçon ? Mais il a été mis en échec. Le discours du grand rabbin de France déclarant « La France est pour nous une espérance » a été une formidable gifle à la manœuvre de Benyamin Netanyahou (le Premier minsitre israëlien, ndlr) et de Roger Cukierman (le président du Crif, ndlr) pour suggérer un judaïsme exogène en France. La Marseillaise de la grande révolution républicaine a été le chant commun de ces jours.

La gauche n’a-t-elle pas une nécessaire autocritique à effectuer, elle qui a parfois abandonné ou refusé de réfléchir à la question de la laïcité ?

Au Parti socialiste, ils ont effectivement un sacré examen de conscience à faire sur leur engagement laïque. Au Parlement européen, pas un socialiste ne s’est levé pour refuser qu’un pape prêche devant une assemblée parlementaire. J’ai été le seul député français à le faire. Ils ne savent plus comment on articule les idées, quel rapport il y a entre la laïcité, la République, la laïcité et l’égalité sociale. Le Parti socialiste est passé entièrement sur la ligne « démocrate » de déconflictualisation de la politique. En fait c’est un déni des conflits qui travaillent la société. S’ajoute à cela, une récupération émotionnelle des concepts religieux que l’on peut qualifier de « socialisme compassionnel ». L’extrême gauche est un cas différent. Elle se comporte souvent en héritière d’une vision très mécaniste du marxisme réduit à la question sociale : puisque nous pouvons tous être d’accord sur le social, ne créons pas de raisons qui nous sépareraient, surtout si c’est sur des illusions comme la religion. Cette vision les empêche de comprendre comment, sans séparation stricte, les religions briseraient le front social. L’unité dans la lutte sociale intègre la nécessité de la séparation du religieux et du politique. D’une façon générale, c’est un marxisme mécaniste qui agit comme si les motivations culturelles des individus n’avaient pas de consistance objective.

Une partie de la gauche et de l’extrême gauche n’a-t-elle pas, par ailleurs, cédé à une forme de clientélisme communautaire ?

Ce serait une erreur. Le clientélisme communautaire ne marche que pour la droite car les gens auxquels il s’adresse sont des conservateurs. Quand nous perdons certaines communes, c’est aussi parce que des leaders communautaires considèrent l’homosexualité comme un péché majeur. Ils font payer à la gauche municipale de s’être impliquée dans « le mariage pour tous ».

Je crois plutôt que pour une partie de l’extrême gauche la question de la religion est sans importance en général et pas seulement dans les quartiers populaires. Toute limite au champ d’action de la religion leur semble être une discrimination de plus pour justifier la ségrégation sociale. Cette extrême gauche là n’a toujours pas compris la place de la bataille culturelle dans la lutte de classes. Elle ne croit pas que ce soit un domaine autonome. Son réductionnisme absurde ne tient pas compte de l’expérience de l’Histoire et des acquis des sciences humaines. Mais n’oublions pas l’UMP et le FN ! Ils auront passé leur temps à jeter de l’huile sur le feu et à faire de la récupération sécuritaire. Ils n’ont rien compris au message républicain du peuple. Leur adhésion à la doctrine du « choc des civilisations » des Etats-Unis les a placé hors de l’universalisme laïque.

Plus la société est républicaine plus les criminels sont isolés. Depuis l’attentat meurtrier contre Charlie Hebdo et les prises d’otages qui ont fait quatre morts, la classe politique est tentée par un renforcement de l’appareil antiterroriste français. Mais à l’heure actuelle, un « Patriot act » à la française est-il la seule réponse et même la bonne réponse ?

Le « Patriot Act » ? Ceux qui en parlent savent-ils ce que c’est ? Juste une loi de réduction des libertés qui, comme toutes les lois d’exception, ne marche pas. Mais elle légalise la torture ! C’est cher payer le délire sécuritaire. Stop à la surenchère ! Depuis 2001, on a eu huit lois contre le terrorisme, sans y inclure les lois sur la délinquance et le crime en bandes organisées ! Quand en fait-on le bilan ? La discussion doit aussi être technique. Qu’a-t-il manqué pour empêcher les crimes qui viennent d’avoir lieu ? Je suis pour des mesures efficaces. Mais pas pour les coups de menton et la récupération. Ras le bol de cette façon de faire de la politique : de la com’, portée par des gens qui se fichent des conséquences des mots qu’ils emploient. Le bon angle selon moi est de renforcer les anticorps de la société elle-même face aux terreaux fondamentalistes. Plus la société est républicaine plus les criminels sont isolés. Et alors leur défaite est assurée.

Pensez-vous qu’il est temps d’ouvrir de grands « chantiers » de réflexions sur nos fondements républicains, sur la laïcité, l’école, le vivre ensemble ?

Ce n’est jamais inutile. Mais il faut partir du fond de la question posée. On a le mode d’emploi avec la marche de ce dimanche. Quand le peuple se fédère sur ses principes communs fondamentaux, il est la solution au problème posé. Ce phénomène de mobilisation civique massive, caractéristique de notre époque, j’en ai décrit les fondamentaux dans mon livre L’Ere du peuple. L’Ere du peuple est un corpus théorique qui fonctionne : il rend compte des événements, les explique et propose une stratégie adaptée à notre temps. Comment maintenir cette souveraineté du peuple exprimée dans la rue ? En proposant à ce peuple de se constituer lui-même comme sujet politique. C’est là que prend place l’objectif d’une Constituante. L’objectif de la VIe République est très actuel. Méditez cette image : quarante-quatre « importants » ne pouvait défiler plus de 150 mètres sans la protection d’une armée quand des millions de gens ne comptaient que sur leur nombre et leur détermination pour répondre à la peur et aux risques. Les uns sont le problème, les autres sont la solution.

Article réactualisé le mercredi 14 janvier à 11h55.

Propos recueillis par Bruno Rieth


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