Ce 4 décembre 2015, la justice militaire du Burkina Faso a lancé un mandat d’arrêt international contre Blaise Compaoré, ex dictateur du pays, réfugié en Côte d’Ivoire depuis qu’il a été renversé le 31 octobre 2014. Il est poursuivi pour « assassinat », « attentat » et « recel de cadavre » dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du président Thomas Sankara. S’ensuit un mandat d’arrêt international.
En janvier 2016, pour échapper à la justice, Blaise Compaoré se fait naturaliser ivoirien par le régime d’Abidjan, fer de lance du capitalisme international en Afrique. Grâce aux amis qu’il a placé aux postes décisifs du Burkina le mandat d’arrêt le visant est annulé en avril 2016.
En 1987, le Burkina Faso présidé par Thomas Sankara apparaît comme le pilier de la résistance africaine face aux appétits des transnationales, du capital financier (dette publique à rembourser), des grands pays capitalistes, en particulier la France avec laquelle les relations se sont beaucoup tendues durant les mois précédents.
Blaise Compaoré réussit le 15 octobre 1987 un coup d’état sanglant grâce à l’action des mercenaires du seigneur de guerre des diamants libériens (soutenu par les USA) Prince Yormie Johnson. Le président Sankara est assassiné de même que douze autres proches de celui-ci.
Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, président progressiste du Burkina Faso, est assassiné
La responsabilité de Blaise Compaoré dans l’assassinat de Sankara a fait l’objet d’une plainte contre le Burkina Faso déposée par Mariam Sankara, la veuve de Thomas Sankara. En avril 2006, le Comité des droits de l’Homme des Nations unies a condamné le Burkina Faso pour refus d’enquêter sur les circonstances de la mort de Thomas Sankara.
Qui a tiré les ficelles du coup d’état réussi par Compaoré ? sans aucun doute la Françafrique et le Fonds Monétaire International qui en profitent aussitôt.
Alors que Sankara menait une politique d’intérêt général pour sortir le Burkina de la misère (c’est un des pays les plus pauvres de la planète avec 70% d’analphabètes), Compaoré déploie la politique de privatisation tous azimuts orchestrée par le Fonds Monétaire International (FMI).
Sur le continent africain, Compaoré inscrit le Burkina parmi les régimes réactionnaires et sanguinaires suppôts de transnationales vautours (Libéria, Sierra leone, Angola...). Il participe lui-même au trafic de diamants et d’armes, devenant en particulier le parrain de Charles Taylor qui sera jugé pour crimes contre l’humanité.
Compaoré devient surtout un des piliers de la politique de la France dans cette région de l’Afrique où elle a charge de maintenir l’ordre pour le compte des multinationales. Ainsi, il joue un rôle décisif pour préparer le renversement de Laurent Gbagbo, président "socialiste" de la Côte d’Ivoire.
Dans ces conditions, Compaoré pouvait faire assassiner impunément ses opposants comme Henri Zongo ( par les hommes de main de son frère) et Jean-Baptiste Boukary Lingani. Il pouvait impunément se prévaloir d’élections truquées et illégitimes (en 1991 pour sa première élection l’opposition boycotte pour marquer sa désapprobation du coup d’état et la participation n’atteint que 25%).
Dans ces conditions, Compaoré pouvait faire régner une terreur militaire et policière permanente. Soudain, en 2011, le peuple commence à se mobiliser suite à la mort d’un élève battu par les policiers de Koudougou. Des manifestations demandent une enquête sur ce décès tragique ; elles sont réprimées dans le sang en février avant de reprendre en avril provoquant une première crise dans l’armée.
Compaoré a cru pouvoir passer outre au respect de la légalité en voulant s’imposer comme président à vie. Renversé par un mouvement démocratique populaire, il laissera un très mauvais souvenir dans l’histoire de l’émancipation africaine.
Jacques Serieys
Réfugié en Côte d’Ivoire, l’autocrate déchu est toujours poursuivi à Ouagadougou pour l’assassinat, en 1987, du président Sankara.
Depuis les bords de la lagune Ébrié, Blaise Compaoré suit de près les péripéties des procédures judiciaires qui le visent au Burkina Faso. Le président déchu, qui a élu domicile dans le quartier chic de Cocody Ambassade, à Abidjan, depuis son retour d’un séjour médical à Casablanca, est un réfugié VIP. Il veut croire que la nationalité ivoirienne accordée par son ex-homologue et ami, Alassane Ouattara, le dispensera de rendre des comptes dans son pays : la Côte d’Ivoire n’extrade pas ses ressortissants.
Il faut dire que dans le cas de Blaise Compaoré, le passif est lourd. Renversé par un soulèvement populaire, le 31 octobre 2014, exfiltré du pays avec la complicité de Paris, il n’a pas ménagé sa peine pour tenter de faire dérailler la transition, jusqu’à l’éphémère coup d’État perpétré le 17 septembre 2015 par son bras droit, le général Gilbert Diendéré. Cet ex-putschiste a été inculpé d’« attentat à la sûreté de l’État ». Comme l’ancien chef de la diplomatie, Djibril Bassolé, autre âme damnée de Blaise Compaoré. Onze chefs d’accusation pèsent sur les deux hommes, détenus à la maison d’arrêt et de correction des armées (Maca) de Ouagadougou : « collusion avec des forces étrangères pour déstabiliser la sécurité intérieure », « meurtre », « coups et blessures volontaires », « destruction volontaire de biens », etc.
Poursuivi pour « assassinat », « attentat » et « recel de cadavre »
Les ramifications de l’affaire remontent... jusqu’à l’ancien premier ministre et actuel président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro. Les extraits d’une conversation téléphonique entre Bassolé et Soro, diffusés sur Internet et versés au dossier d’instruction, mettent explicitement en cause l’ancien seigneur de guerre des Forces nouvelles, qui a longtemps trouvé dans le Burkina Faso de Blaise Compaoré une accueillante base arrière, pour sa croisade politique contre l’ex-président Laurent Gbagbo comme pour les trafics d’armes, de diamants et de cacao de ses « com’zones ». « Voilà ce que je voulais te proposer : on frappe dans une ville en haut, quelque part là-bas ; on récupère un commissariat ou bien une gendarmerie. Eux, ils vont fuir. Ils ne peuvent pas résister. Et comme on me dit que l’armée est autour de Ouagadougou, si on frappe à un bout là-bas, l’armée va vouloir se réorganiser pour y aller. Si un centimètre carré est pris, ils sont obligés d’aller se battre. Au moment où ils décollent là, on refrappe dans un autre coin », conseille Guillaume Soro au cours de cet échange avec Bassolé. Assez pour convaincre la justice militaire du Burkina Faso de l’inculper pour son implication présumée dans le coup d’État du 16 septembre 2015 contre les autorités de transition.
Blaise Compaoré, qui tirait à distance les ficelles de ce coup de force avorté, est, lui, l’objet d’un mandat d’arrêt international. L’insurrection qui l’a chassé du palais de Kosyam a porté sur la place publique l’exigence de vérité et de justice sur l’assassinat du président Thomas Sankara, tué lors du putsch qui l’a porté au pouvoir, le 15 octobre 1987. Les procédures judiciaires engagées de longue date par la famille Sankara trouvent enfin écho à Ouagadougou : le président déchu est poursuivi par un tribunal militaire pour « assassinat », « attentat » et « recel de cadavre ». Le 26 mai 2015, les dépouilles présumées de Thomas Sankara et de douze de ses compagnons tombés avec lui sont exhumées pour être soumises à une autopsie. Elles sont criblées de balles. La justice se penche sur le rôle éventuel du général Diendéré dans ces assassinats et dans celui du journaliste d’investigation Norbert Zongo, tué le 13 décembre 1998. Une enquête dont les résultats doivent être dévoilés... le 17 septembre 2015, date du coup d’État manqué du compagnon d’armes de Blaise Compaoré.
Comme la transition politique, l’instruction reprend finalement son cours, en dépit des obstacles. Jusqu’au 28 avril, date à laquelle le procureur général de la Cour de cassation, la plus haute juridiction du Burkina Faso, finit par annoncer l’annulation, pour vice de forme, de « tous les mandats d’arrêt internationaux » émis par le tribunal militaire contre Blaise Compaoré, Guillaume Soro « et bien d’autres ». Le 17 mai, coup de théâtre et démenti du parquet militaire, pour qui les mandats annulés concernent uniquement le putsch du 17 septembre 2015 et non l’affaire Thomas Sankara, des dossiers « complètement distincts qu’on ne peut pas joindre ». Ce que confirme Me Benewende Sankara en déplorant cette « cacophonie » judiciaire. L’avocat de la famille Sankara ne désespère pas de voir la procédure aller jusqu’à son terme, malgré l’exil de Blaise Compaoré. « Ce n’est pas parce que la Côte d’Ivoire n’extrade pas ses ressortissants que la justice ne doit pas être rendue. Il existe entre les deux pays des accords de coopération judiciaire et Blaise Compaoré peut être aussi jugé par contumace », insiste-t-il.
Le 31 octobre 2014, c’est un hélicoptère, puis un avion français qui ont convoyé Blaise Compaoré jusqu’à la capitale ivoirienne, Yamoussoukro. Là même où, vingt-sept ans plus tôt, était scellé, sous les auspices de Félix Houphouët-Boigny, alors pilier de la Françafrique, le funeste sort de Thomas Sankara, anti-impérialiste, pourfendeur du Fonds monétaire international et de la dette odieuse, révolutionnaire épris de paix et de justice sociale. Retour sur les lieux du crime.
Rosa Moussaoui
La première décennie de son pouvoir est marquée par une série d’assassinats politiques (dont le plus emblématique, celui du journaliste Norbert Zongo en 1998, dont les responsables n’ont toujours pas été inquiétés), et ses 27 ans de règne sont émaillés d’opérations de déstabilisation dans la région. Son clan a notamment soutenu activement les milices de Charles Taylor au Liberia et en Sierra Leone, participé à des trafics de diamants au profit du mouvement rebelle angolais UNITA, abrité plus récemment les « rebelles ivoiriens » emmenés par Guillaume Soro avant qu’ils ne déclenchent la guerre dans leur pays, et joué un rôle trouble vis à vis de certains groupes armés qui ont occupé le nord du Mali à partir de début 2012.
Mais, en pilier régional de la Françafrique, Blaise Compaoré a su redorer son image à l’international, y compris grâce à des alliées au sein du Parti socialiste telles que Ségolène Royal et Elisabeth Guigou [2]. Une relative liberté d’expression et un multipartisme de façade l’ont rendu prétendument fréquentable, tandis que ses soutiens au sein de la Grande Loge Nationale Française (GLNF), à laquelle il appartient, l’Association d’amitié France-Burkina de Guy Penne, ou son hagiographe, Jean Guion, ont redoublé d’efforts pour forger en France et à l’international l’image d’un homme de paix. Il a ainsi été choisi pour être le médiateur de crises politiques au Togo, en Guinée, et même en Côte d’Ivoire et au Mali où il a pourtant soutenu des belligérants. Et, sur fond de crise malienne, il a été reçu à l’Elysée dès le 18 septembre 2012 par un François Hollande déjà soucieux d’enterrer le changement.
Association Survie
Le nom de Blaise Compaoré entre dans l’histoire accompagné d’une tache de sang. Le 15 octobre 1987 (le « jeudi noir »), à la faveur d’un coup d’État, celui qui est depuis vingt-sept ans au pouvoir au Burkina Faso remplace Thomas Sankara, l’inspirateur de la révolution burkinabée, assassiné le même jour. Compaoré parlera toujours d’accident concernant la mort d’un des plus grands symboles du panafricanisme et de l’anti-impérialisme africain.
Depuis lors, avec une aide sans faille de la France, il dirige un pays devenu sous sa présidence l’un des plus pauvres et corrompus de la planète. Tandis qu’il se forge pendant une vingtaine d’années l’image lisse d’un diplomate incontournable du continent – il fut nommé médiateur lors de crises politiques au Togo, en Guinée, et même en Côte d’Ivoire et au Mali –, Blaise Compaoré met en place au Burkina un système taillé sur mesure à base de tours de passe-passe constitutionnels.
Aussi, ce héraut de la Françafrique trouve-t-il toujours une argutie juridique pour se présenter : en 1991, comme président du Front populaire du Burkina Faso ; en 1998, pour son second septennat ; en 2005 et en 2010, pour son premier puis son second quinquennat. Arrivé par le sang, c’est aussi par le sang qu’il installe son pouvoir. Beaucoup de crimes politiques lui sont indirectement imputés, dont celui du journaliste Norbert Zongo en 1998 qui menait une enquête sur la mort mystérieuse et toujours inexpliquée de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré, le frère du président.
D’aucuns ont aussi accusé le numéro un burkinabé de déstabiliser volontairement la région. Le « clan Compaoré » est ainsi soupçonné de soutenir activement les milices de Charles Taylor au Liberia et en Sierra Leone. Le nom de Compaoré apparaît également dans les trafics de diamants avec le mouvement rebelle angolais Unita. Plus récemment, il est accusé de jouer un double jeu vis-à-vis de certains groupes armés du nord du Mali.
Malgré ces nombreux passifs, Blaise Compaoré réussit à redorer son image, « y compris grâce à des alliés au sein du Parti socialiste tels que Ségolène Royal et Élisabeth Guigou », fait remarquer dans un communiqué l’association Survie, qui dénonce depuis 1984 les pratiques de la Françafrique et de ses hommes de paille, avant de préciser : « Ses soutiens au sein de la Grande Loge nationale française (GLNF), à laquelle il appartient, et l’Association d’amitié France-Burkina, disparue récemment avec son créateur Jean Guion, ont redoublé d’efforts pour forger en France et à l’international l’image d’un homme de paix. » Une image déjà ternie mais, qui ces dernières heures, a fini de se fissurer.
Date | Nom | Message |