La Syrie du dauphin Assad, une poudrière sociale et religieuse

lundi 8 septembre 2014.
 

Au cours des années 2000, le nouveau président, Bachar 
Al Assad, entame une libéralisation qui renforce les inégalités. Entre répression et instrumentalisation, le radicalisme religieux s’enracine faute de débouchés démocratiques.

Avant le «  printemps arabe  », le monde crut en une autre saison du renouveau. Le 13 juin 2000, lorsque le jeune Bachar Al Assad (34 ans) succède à son père, Hafez, d’aucuns voient en lui le modernisateur qui saura engager la «  critique constructive  » et les réformes auxquelles la Syrie aspire. C’était sans compter sur les caciques du Parti Ba’th qui contestent les ordres présidentiels et freinent toute évolution. À l’aune de l’intervention américaine en Irak et du retrait syrien du Liban, Bachar Al Assad se concentre sur le redéploiement stratégique sur les scènes régionale et internationale et œuvre, notamment, à un rapprochement avec la Turquie afin d’entamer des négociations indirectes avec Israël et une normalisation avec Washington.

Une libéralisation qui accentue 
les inégalités

Souhaitant ne pas répéter les erreurs du passé, le jeune raïs n’entend pas négliger la politique intérieure. Héritier d’un pays à l’économie suffocante et d’une situation sociale dangereuse (30,1 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et 11,4 % ne peut subvenir à ses besoins alimentaires en 2005), le président entame une libéralisation qui accentue les inégalités et offre peu de débouchés pour les 300 000 nouveaux demandeurs d’emploi qui arrivent chaque année sur le marché. «  “L’économie sociale de marché” se traduit par un “capitalisme des copains”, marqué par la constitution d’oligopoles. Une nouvelle alliance se dessine entre les dirigeants et la communauté d’affaires  : fragile parce que scellée sous la contrainte, elle n’en menace pas moins, dans le même temps, le pacte politique avec le secteur public, qui se trouve de plus en plus marginalisé  », explique la journaliste Caroline Donati (1).

Ainsi, le «  printemps de Damas  » se traduit-il par une économie essentiellement spéculative et une inflation galopante. Bachar Al Assad envisage également un plan régional afin de stimuler le développement des zones délaissées mais sa mise en place est compliquée par l’inertie administrative et la fragilité des services publics. Selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), la Syrie compte alors 300 000 enfants des rues. Un phénomène alors inédit. Plus de la moitié des populations pauvres se concentrent à Deir ez-Zor, Alep, Hassaké et Raqqa, aujourd’hui fief de l’«  État islamique  », et 50 % de ces habitants a moins de quinze ans. «  Cela a favorisé les forces réactionnaires, comme les Frères musulmans, qui se sont appuyées sur le sous-prolétariat, surtout rural  », analyse Ammar Bagdash, secrétaire général du Parti communiste syrien. La création d’allocations aux plus démunis, d’un système de sécurité sociale, d’assurance chômage et d’un fonds de retraite pour les fonctionnaires peine en effet à redresser la barre, d’autant que la naissance d’une société de consommation privilégiée donne le sentiment d’une Syrie à deux vitesses. En 2001, les Frères musulmans sont en quête de respectabilité. Ils appellent au rejet de la violence et à une réconciliation nationale avec toutes les forces politiques dans une «  charte d’honneur nationale  ». Trois ans plus tard, ils établissent un programme pour un État «  démocratique pluraliste islamique  ». Malgré les tentatives de canalisation des poussées religieuses et la résurgence d’un islam politique après les violences des années 1978-1982, des poches intégristes se développent au cours de cette décennie.

Homs, cœur de la révolte 
contre le pouvoir

Selon Arnaud Lenfant, spécialiste des mouvements religieux en Syrie, «  le radicalisme idéologique d’inspiration religieuse est principalement incarné par le Hizb al-Tahrir  », très implanté à Homs, dans le centre du pays où se situera, dès 2011, le cœur de la révolte contre le pouvoir. Il est le fait de classes moyennes et de professions libérales qui inspirent à restaurer le califat. La répression s’accompagne d’une manipulation par le régime, qui entend se débarrasser des éléments les plus radicaux en favorisant leur départ dans l’Irak voisin. Certains prédicateurs, comme à Alep, forment ainsi des groupes paramilitaires pour combattre l’impérialisme américain. La clandestinité à laquelle est contrainte l’opposition offre par ailleurs peu de débouchés sur le plan politique à une jeunesse entrée brutalement dans l’ère de la mondialisation. Au tournant du XXIe siècle, la poudrière est prête à exploser.

Le vent de libéralisation insufflé par Bachar Al Assad concerne aussi les intellectuels. Les forums de discussions, les associations de défense des droits et les bulletins d’opinion se multiplient. Autant d’espaces où la critique des projets de modernisation du jeune président pointe. Accusés de mener le pays au désastre, les responsables de ces cercles sont convoqués par la sûreté de l’État, qui impose des conditions drastiques pour la tenue des conférences, obligeant leur fermeture, voire l’entrée en clandestinité des intellectuels. «  Ce fut assez pour que l’atmosphère de peur se rétablisse et pour que prenne fin la première expérience d’apprentissage de la citoyenneté  », conclut le chercheur Najati Tayyara.

Lina Sankari, L’Humanité


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