De violents heurts ont éclaté dimanche à Jisr al-Choughour, où l’armée s’est déployée en force pour reprendre le contrôle de cette ville du nord-ouest de la Syrie que des milliers d’habitants ont fui ces derniers jours, Washington accusant Damas de provoquer "une crise humanitaire".
En proie à une forte protestation anti-régime, le gouvernorat d’Idleb (nord-ouest), à 330 km au nord de Damas, fait l’objet d’une opération d’envergure de l’armée depuis vendredi.
"Ils sont en train d’attaquer à Jisr al-Choughour avec des chars, des hélicoptères et de l’artillerie lourde", a raconté Ali, un réfugié syrien de 27 ans rencontré par l’AFP sur un chemin de contrebandiers du côté turc de la frontière.
Un militant sur place a raconté à l’AFP par téléphone que tôt dimanche matin "l’armée a commencé à pilonner d’une manière intense la ville à partir de chars et avec des armes lourdes, ensuite elle a pris d’assaut la ville". La télévision publique a elle aussi indiqué que les troupes sont entrées dans Jisr al-Choughour dimanche matin.
Ville de 50.000 habitants, Jisr al-Choughour est quasi-déserte depuis une semaine en raison des combats qui s’y déroulent. Le régime parle d’affrontements avec des "groupes armés", des témoins évoquent plutôt une mutinerie et un ratissage méthodique et sanglant des autorités.
"Il y a maintenant une séparation au sein de l’armée et un groupe essaie de protéger les gens : il a fait sauter deux ponts", a ajouté Ali, affirmant tenir ces informations de personnes qui ont fui la ville dimanche et sont arrivées à la frontière "il y a une heure à peine".Une affirmation qui semble corroborée par la télévision d’Etat selon qui les troupes "ont désamorcé les explosifs et les charges de dynamite posés par ces groupes armés sur les ponts et dans les rues".
En reprenant la ville, les militaires ont découvert "une fausse commune" contenant les dépouilles des membres des agents tués lors de l’attaque du QG de la Sécurité, le 6 juin, a annoncé la télévision. Selon Damas, 120 policiers ont été tués ce jour-là par des "groupes armés", dont 82 au QG. Mais des opposants et des témoins ont contesté la version officielle et ont affirmé que les policiers avaient péri lors d’une mutinerie.
Les restrictions imposées aux médias étrangers par les autorités empêchent toute vérification indépendante.
Croisé sur le même chemin qu’Ali, Mohamed, 24 ans, a affirmé de son côté que "le régime est en train d’armer toutes les familles alaouites". La communauté alaouite, issue d’une ramification de l’islam chiite, est minoritaire en Syrie (10 % de la population) mais constitue un pilier du régime dirigé par Bachar al-Assad, qui en fait lui-même partie.
La répression a poussé plus de 5.000 personnes à trouver refuge en Turquie, distante d’une quarantaine de kilomètres à peine. Ankara a promis d’accueillir tous les réfugies syriens. Une fois arrivés près du village de Güvecci, ils sont installés dans des camps érigés par le Croissant-Rouge. "Mais il est plus difficile maintenant de s’approcher de la frontière : les soldats et les policiers en civil empêchent les voitures de réfugiés de passer. Il faut les contourner en secret", précise Mohamed.
Face à une contestation sans précédent depuis près de trois mois, le régime de Bachar al-Assad continue de mater les manifestations avec force. Vendredi encore, les forces de l’ordre appuyées par des hélicoptères ont tué au moins 25 civils dans tout le pays.
Depuis le 15 mars, plus de 1.200 opposants sont morts et 10.000 autres ont été arrêtés, selon des ONG.
La Maison Blanche a haussé le ton samedi en dénonçant une "crise humanitaire" provoquée par Damas dans le nord de la Syrie.
"Les Etats-Unis appellent le gouvernement syrien à cesser cette violence, et à donner au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) un accès immédiat et sans entraves à cette région", a-t-elle déclaré.
Même demande pour un accès "immédiat et illimité" pour la Croix-Rouge exprimée dimanche par l’Italie, qui a également condamné le "recours inacceptable à la violence".
Aux 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU qui doivent poursuivre leurs discussions pendant le week-end faute d’avoir pu se mettre d’accord à ce jour sur une résolution, le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague a lancé un appel : il est temps de prendre une "position claire."
Un appel relayé dimanche par le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, pour qui "la situation dangereuse qui prévaut actuellement rend particulièrement urgente une réaction claire du Conseil de sécurité".
De son côté, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon s’est dit "très triste et très inquiet" et a demandé au président Assad de "prendre des mesures immédiates et décisives et écouter son peuple".
Les forces syriennes appuyées par des hélicoptères ont tué au moins 25 civils lors d’énormes manifestations hostiles au régime vendredi à travers le pays, particulièrement dans le nord-ouest cible d’opérations brutales de l’armée.
Près de trois mois après le début de la révolte, le 15 mars, et en dépit des sanctions et des protestations internationales, le régime de Bachar al-Assad paraît déterminé à mater dans le sang toute contestation, des agissements qualifiés d’"atroces" par Ankara et "d’effroyables" par la Maison Blanche.
Alors que les 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU divergent sur l’opportunité d’une résolution condamnant cette répression, la Maison Blanche a affirmé que "la violence et les brutalités doivent cesser immédiatement" en Syrie. "Les Etats-Unis condamnent fermement l’usage effroyable de la violence par le gouvernement syrien", a indiqué le porte-parole de la présidence américaine, Jay Carney, dans un communiqué.
La répression a été particulièrement violente dans la localité de Maaret al-Nouman, proche de celle de Jisr al-Choughour dans le gouvernorat d’Idleb (nord-ouest), où au moins 10 civils ont été tués par les troupes qui ont tiré sur des dizaines de milliers de manifestants, selon des témoins et des militants. Un onzième est mort dans un village avoisinant, ont-ils précisé.
Le père de l’un des manifestants tués a affirmé à l’AFP que son fils avait été "touché à la poitrine par un tireur embusqué", et a affirmé, ainsi que d’autres militants sur place, que des hélicoptères de l’armée avaient tiré sur la foule.
Selon le chef de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), Rami Abdel-Rahmane, les manifestants à Maaret al-Nouman ont réussi à prendre le contrôle d’une station de police après la fuite des forces de sécurité. Des hélicoptères sont ensuite intervenus pour tirer sur le bâtiment, a-t-il dit.
La télévision d’Etat a, elle, fait état d’une attaque "de groupes terroristes armés contre un QG de la sécurité", les autorités accusant depuis le début de la révolte des "gangs armés" d’être à l’origine des troubles.
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Le scénario à Maaret al-Nouman rappelle celui en début de semaine de Jisr al-Choughour, dans la même région, quasi-désertée par ses 50.000 habitants après des violences qui, selon Damas, ont fait 120 morts parmi les policiers. Les opposants ont attribué ces décès à une mutinerie à leur QG. Le pouvoir a soutenu que l’opération militaire dans le secteur de Jisr Al-Choughour, était menée "à l’appel des habitants", pour "arrêter les groupes armés qui ont mis le feu à des récoltes". Mais un témoin a déclaré à l’AFP que les forces militaires bombardaient des villages autour de Jisr al-Choughour en avançant vers la ville, et accusé les soldats d’avoir mis eux-mêmes le feu à des champs de blé. C’est pour appeler à défendre cette localité que des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à l’appel de militants pro-démocratie à travers le pays, des régions kurdes du nord, aux villes du centre-est Deir Ezzor et Abou Kamal, en passant par la capitale Damas.
Le régime a une nouvelle fois répondu par la force, faisant trois morts à Damas, neuf dans la ville côtière de Lattaquié et deux dans la province de Deraa (sud), épicentre de la contestation, selon l’OSDH.
Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, pourtant "un ami" du président syrien, a décrit comme une "atrocité" la répression chez son voisin.
Alors que la Turquie a décidé de garder les frontières ouvertes, des milliers de Syriens, dont beaucoup originaires de Jisr al-Choughour, s’y sont réfugiés ces derniers jours. Mitraillages par des hélicoptères, tirs sur les cortèges funéraires ou les ambulanciers, ils ont livré des témoignages édifiants sur les méthodes employées selon eux par le régime. Un secouriste syrien, touché d’une balle au dos alors qu’il évacuait un blessé à Jisr al-Choughour, a affirmé sur son lit d’hôpital en Turquie avoir vu "des centaines" de blessés, ainsi que "dizaines de morts, peut-être 100".
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a qualifié d’"inacceptable" l’usage de la force militaire fait par le régime syrien contre les civils et s’est dit "profondément inquiet" des violences qui se poursuivent en Syrie.
Les Etats-Unis, qui ont imposé des sanctions directes à M. Assad, "continuent à chercher le moyen d’accentuer la pression" sur lui, a indiqué le porte-parole du département d’Etat.
La Russie, qui a un droit de veto à l’ONU, est contre une résolution sur la Syrie où la répression a fait plus de 1.200 morts et entraîné l’arrestation d’au moins 10.000 personnes et la fuite de milliers d’autres depuis le 15 mars, selon des ONG.
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