Syrie : « Un coup de tonnerre ? Mais c’est la révolution ! »

mercredi 13 juillet 2011.
 

Depuis le 15 mars 2011, la Syrie connait un soulèvement populaire contre le régime dictatorial de Bachar al-Asad . Aux manifestations pacifiques des masses syriennes réclamant au début du soulèvement la liberté et la dignité, la dictature a répondu par la répression sanglante et féroce. Le nombre des manifestants civils tués dépasse aujourd’hui les 1 600 tués dont 90 enfants, le nombre des détenus 12 000, et le nombre des blessés dépassent les 10 000. Mais ce prix, le plus élevé par comparaison aux autres révolutions dans les pays arabes, ne fait qu’accroitre l’étendue géographique de la révolution à la quasi totalités des villes syrienne et d’augmenter sensiblement le nombre des masses révoltées. Aujourd’hui les masses scandent dans les rues syriennes le mot d’ordre de toutes les révolutions arabes : « Dégage, le peuple veut renverser le régime ».

Bachar al-Asad, l’actuel président de la république arabe syrienne est le fils de l’ancien dictateur Hafiz al-Asad qui a régné sans partage avec un poing de fer pendant trente ans. Asad père est arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État en novembre 1970 renversant, grâce à sa fonction de ministre de la Défense, ses camarades au parti Baath au pouvoir depuis le 8 mars 1963 [1]. Hafiz al-Asad met en prison, pour des périodes longues d’environ 25 ans, ses anciens camarades considérés de l’aile socialisante du parti Baath. La plupart d’entre eux sont morts en détention ou peu après leur libération.

Hafiz al-Asad a taillé à sa mesure une constitution en 1973, lui donnant tous les pouvoirs. L’article 8 de cette constitution stipule que « le parti Baath est le parti dirigeant de l’État et de la société », la seule concession que l’ancien dictateur a fait est de céder aux manifestations des Frères musulmans réclamant d’inscrire l’obligation constitutionnelle que la religion du président soit l’Islam.

Hafiz al-Asad s’inspire du modèle des pays « socialistes » de l’Europe de l’Est en créant, en 1972, un front nationaliste et progressiste comprenant le Parti communiste syrien pro-Moscou et quatre autre petits partis nationalistes. Ce front « gouvernemental » n’a aucun pouvoir réel excepté d’applaudir aux décisions du dictateur. D’ailleurs tous les partis de ce front, sauf le parti Baath, sont interdits de toute activité politique dans deux secteurs : l’armée et les étudiants. Il s’inspire aussi du modèle de la Corée du nord en créant Les avant-gardes du Baath, une organisation baathiste responsable d’endoctriner les enfants dès leur petit âge, d’instaurer le culte de la personnalité du chef et les parades de masse à sa gloire personnelle.

Le régime d’Asad père a envahi le Liban en juin 1976 avec la bénédiction des États-Unis et des pays occidentaux pour écraser le mouvement nationaliste libanais et la résistance palestinienne. L’année suivante, une insurrection armée est lancée par le mouvement des Frères musulmans. Pendant ce conflit armé les deux parties commettent les plus abominables des crimes. La réponse de la dictature est sanglante, écrasant définitivement cette insurrection dans un bain de sang avec le massacre de la ville de Hama début février 1982. Encore aujourd’hui nous ignorons le nombre exact des victimes qui varie entre 15 000 et 30 000 mort. Cette répression ne s’est pas limitée aux Frères musulmans, elle s’est étendue aux forces politiques de gauche, qui ont subi des vagues successives d’arrestations jusqu’à l’épuisement. Des milliers de militants et militantes ont connus la mort, la torture, l’emprisonnement sans jugement grâce à la loi d’urgence en vigueur pour des périodes très longues et ont connu aussi l’exil. La société a été quasiment vidée de sa force vive. Il semblait que le régime avait vaincu la société.

Dans les années 1980 et 1990 a régné une répression sanguinaire avec privation totale des libertés que nous appelons les « années noires » dans l’histoire de ce pays.

Pouvoir et économie

La politique socio-économique à l’époque de Hafiz al-Asad, a été marquée au début par l’héritage de l’aile gauche du Baath qu’il a renversé. Il a hérité d’une nationalisation associée à une réforme agraire la plus radicale dans la région.

La politique que le vieux dictateur a adopté dans ce domaine a été d’encourager une corruption massive des militaires et des hauts fonctionnaires en échange d’une loyauté sans faille à sa personne. La forme du capitalisme d’État préexistant s’est transformée par le biais de la corruption en une vache à lait pour cette nomenklatura et en particulier pour le cercle proche du dictateur, de sa famille et de ses lieutenants les plus fidèles.

La Syrie a ainsi connu dans les années 1970-1980 une opération d’enrichissement illégal basée sur une politique de corruption massive conduite par le groupe dirigeant lui-même. La composition socio-économique du pays a radicalement changé. Apparaît alors une importante nouvelle « classe » de riches bourgeois qui ne sont devenu riches que grâce à leur fonction dans l’appareil d’État et à leur pillage du secteur public et de la richesse nationale.

Cette nouvelle « classe » liée organiquement à l’État avait besoin d’investir sa richesse dans les secteurs divers de l’économie. Le décret n° 10 de 1991 a été le tremplin par lequel cette classe a pu « blanchir » sa richesse. Il permet l’investissement dans le secteur privé et lui a ouvre l’importation-exportation mais toujours sous contrôle de l’État ce qui permet d’enrichir les uns sans gêner l’autre et de perdurer le système de corruption généralisé. La décennie 1990 a été celle de l’émergence de cette « nouvelle classe » bourgeoise ou de nouveaux riches, classe hybride issue d’une fusion de la bureaucratie et des survivants de l’ancienne bourgeoisie, la « bourgeoisie privée ».

Ceci s’est accompagné d’un appauvrissement croissant des couches moyennes et populaires. Un clivage astronomique sépare depuis fin 1990 l’élite de l’État et cette nouvelle bourgeoisie, d’une part, et le reste de la société syrienne, d’autre part. L’État policier veille à réprimer toute activité indépendante. En 1990, la, le Comité de défense des libertés démocratiques en Syrie [2] estimait le nombre des détenus politiques dans les geôles de la dictature Syriennes à 18 000 personnes.

Le roi est mort, vive le roi !

Le vieux dictateur Hafiz al-Asad est décédé le 10 juin 2000 (déclaré officiellement le 11 juin). En une séance tenue le jour même et qui a duré une demi-heure, l’article 83 de la Constitution syrienne a été modifié, baissant l’âge requis pour le président de la République de 40 à 34 ans pour s’adapter à l’âge de Bachar al-Asad, le fils de dictateur destiné à succéder à son père. Le même jour aussi, le 11 juin 2000, le vice-président Abdel Halim Khadam, un des pilier de la dictature et une des personnes les plus corrompues, devenue depuis en 2005 un « opposant », publie deux arrêtés l’un promulguant Bachar al-Asad au grade de maréchal (il était colonel) et l’autre comme le chef suprême des forces armées. La boucle était bouclée, en quelques heures, le fils, médecin de formation, remplaçait le père à la présidence.

Le discours d’investiture le 17 juillet 2000 du nouveau président héritier a promis beaucoup de réformes politiques, économiques et administratives. Ce climat de « changement » possible a permis l’émergence d’un mouvement de libre expression politique parmi les intellectuels que l’on peut appeler « le printemps de Damas ». Mais ce climat de liberté relative a été de courte durée car la répression s’est abattue sur cette brèche de liberté à partir du mois de février 2001, pour qu’une nouvelle chape de plomb écrase toute activité politique ou intellectuelle indépendante ou critique. Le nouveau président poursuit la même politique de répression que son père.

Par contre, sur le plan socio-économique le fils a dépassé, et de loin, son père, car il encourage dès le départ la mise en application de toutes les recettes néolibérales du FMI et de la Banque mondiale. Pour ce faire, Bachar al-Asad forme une équipe économique adepte du néolibéralisme et présidée par Abdallah Aldardari, un fou irresponsable néolibéral. En une décennie du règne de Bachar al-Asad, la moitié de la population de Syrie (pays d’environ 23 millions d’habitant) se retrouve au niveau de seuil de pauvreté et plus que le tiers en-desous de ce seuil. Le chômage atteint selon des statistiques officielles 20 % et selon des source indépendante plus de 25 %. Ce chômage touche en particulier les jeunes. Plus de 55 % des moins de 25 ans sont au chômage, dans un pays jeune où les moins de trente ans dépassent 65 % de la totalité de la population. L’État s’est retiré de son rôle social en supprimant les subventions qui soutenaient les besoins de première nécessité — le sucre, le riz, le pain et le fuel… Un nouveau système d’éducation privée est mis en route au dépens du système d’éducation public qui tombe en ruine, le système de santé publique est délaissé et appauvri. L’année 2008 voit la décision du gouvernement de « libérer les prix et supprimer les subventions aux couches les plus défavorisées ». La part du PIB accaparée par la nouvelle bourgeoisie est passée entre 2005 et 2007 de 63,4 % à 70 % (selon le journal progouvernemental Annour du 19/08/2008).

Montée des contestations

Ce mélange de dégradation de niveau de vie de la majorité du peuple Syrie couplé avec une répression sans merci ne pouvait que susciter la contestation. Cette contestation est devenue visible depuis 2006. En mai 2006, deux manifestations de centaines d’ouvriers de la Société de construction publique ont lieu à Damas avec des affrontements avec les forces de l’ordre. L’année 2006 connaît la grève des chauffeurs de taxi à Alep et des affrontements entre la population d’un des quartiers de Homs avec la police, une population en colère contre la démolition de maisons occupées par des couches défavorisées au profit d’un grand propriétaire immobilier.

En 2007, plusieurs affrontements avec la police et des manifestations ont eu lieu, comme dans le quartier de al-moussrania à Alep, al-mazra`a à Homs, la manifestation devant le palais Alroudha à Damas, et une manifestation à Dimas près de Damas. 2008 a connu des manifestations des ouvriers du port de Lattaquié, ainsi qu’à Dhabia et Zabadani près de Damas. En 2009 et 2010, encore des contestations...

Malgré ces signes annonciateurs d’un grondement populaire croissant en Syrie, et la dynamique révolutionnaire dans le monde arabe suscitée par les révolutions tunisiennes et égyptienne et d’ailleurs, Bachar al-Asad a déclaré dans une interview réalisée le 31 janvier 2011 par The Wall Street Journal que son régime serait épargné de cette vague de révolutions car il « sert l’intérêt du peuple » et il a souligné que « la Syrie n’est pas comme l’Égypte ou la Tunisie ». Dans cette interview il déclare avec mépris que les réformes qu’il a promis, il y a dix ans, demanderont « des générations avant d’être réalisées ».

Un coup de tonnerre ? Mais c’est la révolution !

Quinze jours après la publication de cette interview un événement « banal » dans un pays comme la Syrie a eu lieu le 17 février 2011 : un jeune citoyen se fait tabasser dans la rue par des policiers pour une probable simple contravention de circulation en plein centre de Damas à Alharika. Aussitôt une manifestation d’environ 3 000 citoyens proteste contre le passage à tabac de ce jeune conducteur, les manifestants crient pour la première fois « le peuple Syrien refuse d’être humilié ».

Le 6 mars 2011, les services de sécurité arrêtent dans la ville de Deraa, près de la Jordanie, une quinzaine de garçons de moins de 15 ans. Ces enfants influencés par les images télévisées des révolutions égyptienne et tunisienne ont tagué sur le mur de leur école le célèbre slogan « le peuple veut renverser le régime ». Ils sont torturés sauvagement par le chef de sécurité Atef Najib — qui n’est autre que le neveu du président — leurs ongles sont arrachés et les traces de torture sur leurs corps sont horribles. Lorsque leurs familles ont rencontré ce tortionnaire pour solliciter la libération de leurs enfants, sa réponse a été choquante. Il leur a dit, selon les témoignage des familles, « oubliez vos enfants, faites d’autres enfants à vos femmes, si vous en êtes incapables emmenez-moi vos femmes, je ferai le nécessaire ».

Le 15 mars une trentaine de jeunes courageux manifestent à la mosquée d’Omayyad dans la vielle ville de Damas, réclamant la liberté et la dignité, avec un nouveau slogan « Allah, Syrie et liberté seulement » en réponse au slogan des Baathistes « Allah, Syrie et Bachar seulement ». Tous ont été arrêtés et demeurent à ce jour en détention.

Mais c’est dans la ville martyre Deraa que le processus révolutionnaire a été déclenché. Le 18 mars 2011 une manifestation pacifique de masse a envahi les rues de la ville réclamant la libération des enfants, la liberté et la levée de l’état d’urgence. La riposte des forces de sécurité est d’utiliser les armes à feu contre les manifestants pacifiques, des centaines des morts et des blessés, des détentions…

C’était la poudre de la révolution : le 20 mars encore des manifestations et massacres à Daraa, le 21 mars aussi réclamant toujours la liberté et la levée de l’état d’urgence, le 22 mars des manifestations à Daraa et Nawa, le 23 mars encore Daraa et le cycle de manifestation et de répression, mais à partir de 25 mars c’est aussi des manifestations dans les banlieues pauvres de Damas et la ville côtière Lattaquié. Chaque manifestation a son lot de morts, blessés et arrêtés.

A partir de la fin mars le mouvement de contestations est devenu national.

Bachar al-Asad prononce son premier discours depuis le début de la contestation le 15 mars, il a négligé la demande de liberté et de démocratie des manifestants, il a considéré que ces manifestations ne sont rien d’autres qu’un complot occidental contre son régime et il n’a présenté aucune excuse ou regret pour les victimes.

Ce discours a été ressenti par les masses syriennes comme une insulte et un affront à leurs demandes légitimes. A partir de cette date le processus révolutionnaire va s’étendre sur territoire national et le nombre des manifestants est en augmentation sensible, Le 1er juillet, le nombre des manifestants est estimé à quatre millions, dont environ quatre cents mille manifestants dans la ville de Hama, le slogan des manifestations est devenu, à l’instar des autres révolutions Arabes « le peuple veut renverser le régime ».

Ghayath Naisse

Ghayath Naisse, médecin, exilé, est un des fondateurs du Comité de défense des libertés démocratiques en Syrie (CDF), crée en décembre 1989, dont la plupart des membres ont été emprisonnés ou forcés à l’exil.


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