Détachement des travailleurs, attachement à la concurrence

samedi 4 janvier 2014.
 

Le détachement des travailleurs concerne quelques 1,5 million de travailleurs en Europe. La France en accueille officiellement 210 000, principalement dans le secteur du BTP (33%), de l’industrie (25%) et du travail temporaire (20%) - mais plusieurs centaines de milliers travaillent sans être déclarés, ce qui porte leur nombre réel autour de 400.000, pour conserver une estimation basse.

Aux termes de la réunion du 9 décembre du Conseil européen des ministres du travail, ceux-ci ont sanctuarisé le dumping social permis par la directive sur le détachement des travailleurs. Le tout dans le secret de leurs arrangements sur un coin de table, pressés qu’ils étaient de trouver un consensus pour ne pas avoir à porter le sujet à la lumière des journalistes couvrant la prochaine grande rencontre européenne, le Conseil européen des 19 et 20 décembre.

Au début de son mandat à la Commission européenne, M. Barroso avait promis une révision de la directive de 1996. Il ne s’agit plus maintenant que d’un simple toilettage de cette législation. Avec la complicité de la social-démocratie, le dumping social demeure puisque les cotisations sociales (patronales comme salariales) continuent d’être déterminées et prélevées dans le pays d’origine des entreprises. Il s’agit du cœur du problème, puisqu’un gouffre sépare les législations des Etats les plus progressistes à l’Ouest des Etats les plus libéraux à l’Est. Cette mise en concurrence ne cesse de s’accroître depuis les élargissements à l’Est de 2004, 2007 et 2013. A titre d’exemple les cotisations salariales et patronales varient de 1 à 3 entre la Pologne et la France (bien entendu, les prestations et la couverture sociale évoluent en conséquence, et il ne fait pas bon d’être indemnisé en Pologne pour un accident du travail). La droite et le grand patronat européen n’ont qu’un objectif : flexibiliser encore davantage la main d’œuvre. Rappelons ici le rôle fondamental du « non » français au Traité pour une Constitution européenne de 2005, qui avait bloqué les tentatives réactionnaires d’instaurer un détachement complet des travailleurs, soumis alors aux salaires et conditions de travail de leur pays d’origine.

Ce dumping est officialisé dans l’Union Européenne ; la Cour de Justice protège l’édifice concurrentiel. Rappelons qu’elle a vigoureusement condamné les mouvements de travailleurs qui souhaitaient améliorer les conditions d’embauche des travailleurs étrangers, et qui refusaient la manipulation patronale opposant les salariés suivant leur nationalité. Les syndicats suédois qui souhaitaient l’extension des conventions collectives aux entreprises étrangères, les marins finnois qui refusaient de s’immatriculer en Estonie, le dépassement du « socle social minimal » octroyés aux salariés en détachement par le Luxembourg ou encore l’imposition par le Land de Basse-Saxe d’un salaire minimum à des ouvriers polonais du BTP ont été condamnés en justice (respectivement arrêts de la Cour de Justice dits Laval, Viking, Luxembourg, Rüffert).

Le gouvernement français se refuse à une remise en cause de ce cadre concurrentiel. Comme Sarkozy qui souhaitait moraliser le capitalisme, Hollande prétend moraliser le détachement ! Pourtant, Allemagne et Royaume-Uni parviennent à se faire entendre politiquement sur le sujet. Dans sa lâcheté, le gouvernement a décrété que la France ne pouvait faire une proposition véritablement progressiste, qu’elle « serait inefficace » sans l’accord de Mme Merkel (Michel Sapin, le 2 décembre, dans Libération).

Au-delà de cette concurrence forcenée pour échapper aux cotisations (qui concourt donc directement à la fragilisation des régimes nationaux de Sécurité Sociale : tout le monde en paie la facture), se cache tout un système de tricheries. De fausses entreprises (une simple boîte aux lettres suffit parfois) apparaissent ex-nihilo dans différents pays est-européens, qui n’ont pour unique intérêt que d’inventer un établissement de sous-traitance, qui diminue les coûts du donneur d’ordre. Au niveau des salariés détachés depuis leur pays d’origine, de nombreux sont maltraités, victimes d’abus, dérogent aux règles minimales d’hygiène et de sécurité, bref, sont victimes d’une exploitation forcenée. Un contournement classique consiste pour une entreprise chypriote à embaucher des salariés polonais… qu’elle envoie travailler en France. Ce type de maquillage est complexe à contrôler.

Effectivement, privés de maîtrise de la langue nationale et en dépendance complète vis-à-vis de l’employeur, partagés entre ignorance et peur des représailles, les salariés sont souvent privés de tout recours. Enfin, par ailleurs, des salariés en détachement sont régulièrement rémunérés au salaire minimum du pays d’accueil, duquel est soustrait un ensemble de frais divers (loyer, matériel d’hygiène ou de sécurité, heures supplémentaires non décomptées, transports) : au final, en réalité, il sera largement sous-rémunéré, au nez et à la barbe de l’inspection du travail. Bref, cette directive engendre un concours Lépine de la fraude !

Plutôt que de combattre le cœur du problème – les entreprises ne paient pas les cotisations sociales sur le lieu où elles exercent leurs activités de détachement – le gouvernement se contente d’une lutte contre la fraude dont il ne se donne même pas les moyens. Avec des choix de ces dirigeants de budgets amputés et de personnel non-renouvelé, l’inspection du travail s’avère incapable de vérifier le respect de la directive. La réforme Sapin de l’inspection du travail ne donne pas les moyens de lutter contre la fraude, et remet par ailleurs en cause la liberté de contrôle des inspecteurs qu’elle segmente. Les procédures sont longues, laxistes (amendes très basses imposées plusieurs mois après le constat) et encore trop peu nombreuses alors que, lorsqu’elle aboutissent, elles condamnent 9 fois sur 10 les entreprises.

Face à la catastrophe sociale, le Parti de Gauche réaffirme sa double réponse : au niveau européen, il faut assurer la primauté du droit du travail sur la libre installation et introduire des critères sociaux et écologiques impératifs pour l’accès aux marchés publics ; au niveau national, l’inspection du travail doit se voir conférer les moyens de son activité, tant en termes d’effectifs et d’indépendance que de législation appropriée qui limite légalement l’éventail de la sous-traitance.

L’exemple de l’entreprise Gad :

En octobre 2013, l’entreprise d’abattage porcin Gad en Bretagne, a supprimé 900 emplois. Elle continue pourtant tout à fait légalement de recourir à des salariés roumains, payés 600€ mensuels. Une agence d’interim a permis ce montage, et cette extorsion de cotisations sociales à la Nation. En Allemagne, première bénéficiaire de ce dumping, les salariés détachés de la filière sont payés 5 euros l’heure. Et ce sont ces leaders en campagne qui vont bientôt nous parler d’Europe sociale.

Que se vayan todos !

Sophie Rauszer et Hadrien Toucel


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