Division ou union de la gauche : l’exemple de Romainville

vendredi 16 février 2007.
 

Expliquons en quelques mots de quoi il s’agit. Dimanche dernier, deux listes de gauche s’affrontent à Romainville. L’une d’elles, conduite par Corinne Valls, obtient 46,77% des voix, l’autre conduite par Jean-Marie Doussin en totalise 33,27%. C’est exprès que je ne vous dis pas les étiquettes. Car en l’occurrence ce n’est pas le problème. Disons pour les connaisseurs de Lucky Luke que la première était soutenu par le parti des Smith et la seconde par celui des O’Hara.

Que se passe-t-il en pareil cas ? Ce cas de figure n’est pas nouveau à gauche. Il a été maintes fois examiné, en des lieux différents et par des générations successives. L’expérience historique et militante accumulée nous a légué un principe pour y répondre. On l’appelait autrefois « discipline républicaine ». Ce principe pose que le candidat de gauche arrivé en seconde position, quel qu’il soit, se désiste en faveur du candidat de gauche arrivé en tête, quel qu’il soit. Dans les règles particulières d’une élection municipale, combinant scrutin de liste et élection à deux tours, cela passe par une fusion des listes entre les deux tours. Pourquoi ce principe ? Pour réaliser dans les comportements électoraux de ceux qu’elle organise un objectif politiquement vital pour la gauche : ne former qu’un seul camp face à la droite. Non seulement le rassemblement de la gauche doit s’opérer pour battre la droite (ce qui ne paraît pas trop difficile avec un total gauche de 80% des voix à Romainville). Mais en outre, en ne s’affrontant pas au deuxième tour, les partis de gauche empêchent les électeurs de droite d’arbitrer leurs querelles. Pour avoir le droit de dire quel candidat de gauche l’on préfère, il faut voter à gauche dès le premier tour ! Et la gauche toute entière respecte ensuite, au second tour, le verdict exprimé par ses électeurs au premier.

Hélas, à Romainville, on m’apprend que la liste Doussin arrivée en deuxième position a décidé de se maintenir et de faire voler en éclats le principe si durement acquis de la discipline républicaine. Elle a tort. On me rétorque que la liste Valls aurait refusé de fusionner avec la précédente. Si c’est vrai, elle a tort aussi. Mais la liste Doussin a également eu tort de ne jamais le demander. Ce n’est de toute façon pas cet argument qu’elle avance pour justifier son maintien.

J’entends déjà s’élever des voix : « de quel droit des gens qui ne sont jamais venus à Romainville, n’y sont même pas nés, n’y ont pas enterré d’ancêtres sur plusieurs générations, viennent-ils juger de nos choix locaux, faits en toute proximité ? » Je les entends pour les avoir entendues tant de fois, venues de tous les bords, me dire « oui au désistement républicain », mais « lui/elle, ce n’est pas possible, car il est vraiment trop incompétent-e / corrompu-e / incapable de l’emporter / incorrect avec nous... On voit bien que tu ne connais pas la ville / le département /le canton, tu ne peux pas comprendre nos spécificités locales ! »

Par définition, chaque élection est un cas particulier. C’est pour cette raison qu’il faut poser des règles générales ! Car sinon la gauche toute entière se retrouve otage du droit particulier de chacun à égorger son voisin de gauche en toute proximité. J’exagère ? Jugez-en.

Le président du Conseil général de Seine-St-Denis, qui a ses bureaux à Bobigny, à proximité de Romainville, apporte immédiatement son soutien à l’une des listes. Il le fait en des termes qui mettent en cause violemment ses partenaires socialistes de la majorité de gauche départementale. Sachez pour comprendre à quel point l’ambiance est électrique que les groupes communistes et socialistes sont à égalité parfaite dans l’Assemblée Départementale. Immédiatement, le groupe des élus socialistes réplique en annonçant qu’il suspend sa participation aux travaux du Bureau du Conseil général. Le feu s’est déjà étendu dans la plaine. On n’attend plus, à proximité, que deux parlementaires de ce département, par ailleurs candidates à la présidentielle, Marie-George Buffet et Dominique Voynet, s’impliquent à leur tour pour bien marquer l’irréductible spécificité locale de la partielle de Romainville.

Irresponsabilité ! Si la liste Doussin se maintient, chacun demain en Seine-St-Denis et ailleurs pourra se réclamer du précédent de Romainville, pour expliquer à quel point sa situation locale l’exonère de toute discipline républicaine. La liste est sans doute longue de ceux qui se frottent déjà les mains, espérant avec gourmandise obtenir carte blanche pour leur guerre d’extermination locale. Déjà je lis des mails dans lesquels chacun invite sa guerre privée dans la bataille de Romainville. La liste Doussin a raison de ne pas se désister pour des gens qui ont voté oui lors du référendum européen écrit un responsable politique d’une commune voisine. Or Corinne Valls comme son second de liste ont tout deux défendu le « non » au TCE... Mais peu importe la réalité si spécifiquement particulière de la gauche à Romainville : cet homme-là pense sans doute à quelqu’un d’autre dans son voisinage plus immédiat.

Je me suis souvent demandé pourquoi l’on appelait ce principe de désistement à gauche « discipline républicaine ». Je risque une hypothèse. Les historiens me contrediront à coup sûr, mais je la trouve séduisante. Cette discipline est républicaine, car elle invite chacun à se comporter en fonction de l’intérêt général de la gauche et non en fonction de l’intérêt particulier de la faction à laquelle il appartient. C’est la légitimité supérieure du général sur le local. Ce type de raisonnement est convaincant parce qu’il est en fait très concret.

Par exemple, Jean-Marie Doussin n’est pas seulement élu à Romainville. Il est aussi secrétaire de la fédération du PCF. Qu’adviendra-t-il demain si des candidats socialistes, et certains n’attendent que cela, décident de lui retourner son exemple en se maintenant contre un communiste arrivé en tête ? Combien de ville, de cantons, de circonscriptions seraient alors perdues pour son parti et parfois pour la gauche ? Les candidats aux municipales de Romainville sont aussi des citoyens et militants de gauche soucieux de la victoire contre la droite aux présidentielles et aux législatives prochaines. S’ils ne parviennent pas à s’entendre, comment pourront-ils demander à leurs électeurs de dépasser leurs préférences voire leurs répugnances personnelles pour faire gagner le candidat de gauche arrivé au deuxième tour ? Combien de sectarisme semé, d’énergies perdues, de suffrages dispersés, de combativité annihilée à l’arrivée ? Nous vivons hélas un contexte d’explosion à gauche, d’incompréhension et de sectarisme. Ces moments n’ont jamais rendu plus intelligent. La rancœur et l’exaspération peuvent tout emporter. Tant de gens à gauche se sauteraient alors à la gorge. C’est pourquoi nous devons défendre la discipline républicaine comme un trésor inestimable et exiger qu’elle s’applique à Romainville comme ailleurs.


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