Quel rapport aux institutions et à l’Etat ? Engels puis Lénine utilisent l’exemple espagnol de 1873

mercredi 28 juillet 2021.
 

Depuis plus de 150 ans, la possibilité ou pas de participer aux institutions (de la Commune à l’Etat) divise le mouvement ouvrier et socialiste, entre :

- d’une part les anarchistes qui ont refusé théoriquement tout compromis

- d’autre part les "socialistes pragmatiques" qui souvent s’y sont noyés

- enfin des courants marxiens qui ont essayé de les utiliser fonction du rapport de forces avant comme après la révolution

Lénine pages 393 et 394 Tome 8

Sur le site Marxist.org

E. Yaroslavski

Le marxisme et l’anarchisme

Source : Les cahiers du Communisme (?), 1935 (?)

La 1re Internationale a surgi dans la période d’animation du mouvement ouvrier, après des années d’accalmie ayant succédé à la défaite de la révolution de 1848. Dans cette période du développement du capitalisme, lié étroitement à la révolution dans la technique, dans le mode de production, dans les moyens de transport, le capitalisme a pénétré dans les pays les plus arriérés d’Europe. Le capitalisme a ruiné des millions de petits patrons et artisans, a aggravé les contradictions entre les formes précapitalistes d’économie en décadence et les formes capitalistes en progression. Des millions de prolétaires jetés par le capitalisme dans les affres de la misère et de la famine cherchaient l’issue dans le mouvement révolutionnaire organisé. En même temps, c’était l’époque de mouvements nationaux et de création des États nationaux. Les guerres de cette période contribuaient indirectement au développement du mouvement révolutionnaire. Il faut souligner en particulier la grande influence de la guerre civile en Amérique de 1861-65. Les événements américains étaient, comme Marx l’a dit dans la préface au 1er volume du Capital, le tocsin pour le mouvement ouvrier d’Europe.

Ce mouvement ouvrier n’a pas trouvé dès le début sa véritable voie. Il y a trente ans — écrivait Lénine en 1905 — le marxisme ne dominait même pas en Allemagne où prévalaient des conceptions pour ainsi dire transitoires, mixtes, éclectiques entre le socialisme petit-bourgeois et le socialisme prolétarien. Dans les pays latins, en France, Espagne, Belgique, les théories les plus répandues parmi les ouvriers avancés, c’étaient le proudhonisme, le blanquisme, l’anarchisme qui exprimaient le point de vue du petit-bourgeois, et non pas celui du prolétaire.

Pendant que Marx et Engels représentaient dans la 1re Internationale le mouvement ouvrier prolétarien organisé dont !e but était la conquête du pouvoir politique par le prolétariat pour écraser les exploiteurs, détruire les classes et créer la société socialiste sans classes, Bakounine représentait dans la 1re Internationale la petite-bourgeoisie ruinée par le capitalisme et « le prolétariat en haillons ».

Marx, dirigeant théorique et pratique de la 1re Internationale, avait une grande expérience révolutionnaire du mouvement européen avancé. L’essentiel dans ses enseignements, c’est la théorie de la dictature du prolétariat. Marx était convaincu, et l’histoire l’a confirmé, que

« entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de la première en seconde. A quoi correspond une période de transition politique où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat. (Marx — Critique du programme de Gotha, page 33.)

Bakounine en 1866 construisit le schéma de son « Internationale occulte » où il développa son système anarchiste. La base de ce système, c’est la négation de tout État, la négation de la dictature du prolétariat et de la lutte politique. Bakounine est entré avec ces conceptions dans la 1re Internationale et en est devenu le mauvais ange en menant une politique scissionniste contre Marx et Engels, en multipliant des intrigues contre eux. Cette activité de Bakounine et des bakouninistes fut une des causes de la désagrégation de la 1re Internationale.

Les anarchistes ont adopté une position hostile envers Marx dans la question fondamentale de l’État et de la dictature du prolétariat. Leur phraséologie archirévolutionnaire, leurs philippiques contre l’État pouvaient tromper les prolétaires arriérés au point de vue politique, mais ils entraînaient surtout les petits-bourgeois enragés par les horreurs de la révolution. Les Max Stirner, Proudhon, Kropotkine, Jean Grave, Malatesta et autres chefs de l’anarchisme international exprimaient, en premier lieu, les conceptions de cette couche sociale. C’est pourquoi ils étaient enchantés par les phrases sur la mort complète, sur « la négation » de l’État. C’est pourquoi la seule idée de la dictature du prolétariat agissait sur eux comme un épouvantail. Il est caractéristique, comme Lénine l’a souligné en 1917, que Plekhanov et Kautski dans leurs critiques de l’anarchisme omirent complètement la question la plus actuelle, politiquement la plus importante dans la lutte contre l’anarchisme, les rapports entre la révolution et l’État, la question de l’État en général.

* * *

L’attitude négative des anarchistes envers la dictature du prolétariat découle directement de leur attitude négative envers l’État. Les anarchistes expliquaient la nécessité de s’abstenir de participer à la vie politique par leur attitude négative envers chaque État. Si chaque État est un nœud coulant pour les travailleurs, qu’importe la forme de ce nœud ? Les anarchistes affirmaient que les ouvriers n’ont à choisir entre le servage et le capitalisme, entre les différentes formes de l’État. La conception fausse du rôle des classes dans la société contemporaine a amené Bakounine à sa conception de l’égalisation de classes qu’il opposa à la formule communiste sur la suppression des classes.

Le problème de l’État a acquis une acuité particulière lors de la Commune de Paris. Dans son pamphlet remarquable « Les bakouninistes au travail », Engels démasque l’inconsistance des théories bakouninistes. Engels montre, sur la base des exemples d’Espagne, que les bakouninistes chaque fois qu’ils avaient à faire face aux événements révolutionnaires « étaient obligés de jeter par-dessus bord tout leur programme antérieur ». Ils participaient contrairement à leurs théories aux comités gouvernementaux de villes particulières, lors de la révolution espagnole de 1873 et étalaient partout une impuissance complète. « Les bakouninistes en Espagne — conclut Engels — nous fournissent un exemple classique de la façon dont il ne faut pas faire la révolution. »

De la conception fausse des anarchistes sur l’État, sur la lutte politique, sur la dictature prolétarienne découlaient leurs opinions sur le parti. Pour les marxistes la création d’un parti révolutionnaire indépendant du prolétariat est la condition première indispensable de la victoire de la révolution prolétarienne. Les anarchistes rejettent la constitution d’un pareil parti organisé selon les principes du centralisme démocratique.

Pour les marxistes la condition essentielle de la victoire du prolétariat est l’armement de la classe ouvrière avec la théorie révolutionnaire du marxisme-léninisme. Les anarchistes affirmaient que les ouvriers et les paysans n’ont rien à apprendre. Les paysans sont, selon les bakouninistes, « des révoltés éternels » qui n’ont rien à apprendre ; on n’a donc aucun besoin de faire parmi eux la propagande des idées communistes : il suffit d’organiser leur révolte dans des localités différentes. Quand dans la période récente les soviets ont surgi en tant qu’organes d’insurrection, en tant que germes du pouvoir révolutionnaire étatique, les anarchistes adoptèrent naturellement une attitude méprisante, méfiante, négative envers ces organisations. La naissance des soviets, l’avènement de l’État soviétique en particulier, porta un coup mortel aux conceptions anarchistes.

Lorsqu’on accusait les bolchéviks d’anarchisme — Lénine soulignait à plusieurs reprises que les anarchistes rejettent l’utilisation du pouvoir étatique par le prolétariat révolutionnaire dans la période de transition vers le communisme, pendant que nous autres marxistes, nous considérons cette utilisation du pouvoir étatique dans les intérêts de l’écrasement des exploiteurs et de la suppression des classes comme la condition indispensable de la victoire du communisme. C’est pourquoi Marx et Lénine affirmaient qu’entre l’anarchisme et le socialisme il y a tout un abîme.

Une des sources des conceptions fausses des anarchistes est qu’ils prennent l’effet pour la cause. Ainsi les anarchistes mettaient dans leur programme comme revendication essentielle la suppression du droit d’héritage en justifiant cette revendication par le fait que la propriété se base sur l’héritage. Les marxistes devaient expliquer aux anarchistes que le droit d’hériter n’est que la conséquence du régime social basé sur la division des classes, sur le monopole des moyens de production concentrés dans les mains d’une classe.

Les anarchistes exigeaient la suppression de la religion, des cultes, au lieu de mener une lutte systématique persévérante, une propagande antireligieuse systématique pour extirper les racines de la religion. Les anarchistes proposaient des plans très « radicaux » extérieurement de lutte contre la guerre. Gustave Hervé anarchisant proposait, il y a vingt-cinq ans, que tous les soldats désertent le jour de la proclamation de la guerre. Mais quand la guerre mondiale éclata, non seulement Hervé se transforma en chauvin, mais les théoriciens les plus en vue de l’anarchisme, comme Kropotkine, Grave, Kornelissen, se muèrent en partisans de la guerre impérialiste.

Le mouvement ouvrier contemporain doit traiter l’anarchisme comme un ennemi qui brise la lutte révolutionnaire organisée en se couvrant de la phrase anarchiste. L’exemple du mouvement anarchiste en Espagne est particulièrement suggestif. Depuis le début de la révolution de 1931, les anarchistes, en commun avec les réformistes, brisaient les grèves ouvrières, désorganisaient le mouvement de masse des ouvriers et des paysans. Leur rôle de briseurs de grèves est particulièrement néfaste dans la lutte récente de la classe ouvrière espagnole contre la réaction cléricale et fasciste de Lerroux-Gil Robles.

L’anarchisme essayait de pénétrer également dans le parti bolchévik en utilisant ses difficultés et en se frayant un chemin à travers les éléments petits-bourgeois dans le parti. Lénine caractérisait la haine de menchéviks envers la discipline prolétarienne comme des traits anarchistes, il combattait avec acharnement « l’anarchisme de seigneur » de Trotsky.

Après la révolution de 1905, le parti bolchévik devait lutter contre les tendances anarchistes des ultra-gauchistes du groupe « En avant ». En 1916 Lénine luttait contre les conceptions fausses du camarade Boukharine sur l’État. Boukharine glissait à ce moment vers la conception semi-anarchiste de l’État. Il préconisait l’hostilité de principe envers l’État, sans faire la distinction entre l’État prolétarien et l’État capitaliste, il défendait la nécessité de « faire sauter » l’État en général. En 1920-21, Lénine et le parti bolchévik menèrent la lutte énergique contre la déviation anarcho-syndicaliste du groupe de Chliapnikov, « l’opposition ouvrière » qui fut résolument condamnée par le Xe congrès du parti bolchévik en 1921.


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