Carnet de route de Strasbourg à Figeac

vendredi 1er novembre 2013.
 

Mardi. A Strasbourg, pour notre réunion publique, la salle était pleine et les gens drôlement courageux car il leur fallait rester debout dans une chaleur d’étuve. De fait, moi aussi, je ruisselais en parlant, quoi que je sois vêtu pour la chaleur à ce moment-là. Pour la première fois depuis quelques temps, il y avait là des socialistes notoires dans la salle. A l’inverse, il n’y avait pas de responsables communistes car la consigne avait été donnée au PC local de ne pas venir à la réunion publique du PG. Avant cela, notre offre d’organiser ensemble la soirée avait été repoussée. A Strasbourg, personne n’est dupe du jeu de surenchère que ce genre d’injonction contient. Mais quelle importance ? C’est une comédie. De toute façon, nombre de communistes du rang sont quand même venus et nous avons échangé des embrassades fraternelles après l’Internationale chantée ensemble. La lutte des places reste un exercice confiné dans certaines sphères. Ailleurs, les convictions et le bon cœur restent les maîtres. A Strasbourg comme à Lyon, les communistes ont voté pour l’autonomie.

Il y avait beaucoup de jeunes dans la salle. Vraiment beaucoup. La fac n’est pas loin, il est vrai. Je vérifie que les cœurs tiennent bon, comme je l’ai fait ailleurs : j’explique pourquoi la guerre aux pauvres est une guerre indigne. Je fais le travail d’éducation populaire en donnant des arguments. Je prends la défense des injuriés du moment : Roms, musulmans et ainsi de suite. La salle applaudi à tout rompre. Le fond tient bon. On s’est compris. Ce n’est pas moi qu’on applaudit, ce sont mes paroles que chacun déclare siennes en les applaudissant. En elles, chacun se reconnait sur le sujet et veut le dire. La clameur fonctionne ici comme un manifeste. J’ai enjoint ceux qui étaient là à tenir bon par le cœur d’abord. Chacun d’entre nous est une ligne d’arrêt à la bêtise. Le Front de gauche doit monter en ligne dans la vie quotidienne de ses membres. Ne laissez pas dire des paroles racistes. Dites vous-même aux autres qu’il fait bon vivre en paix avec soi et les autres. La politique suivra.

Mercredi. Départ précipité de Strasbourg après les votes. Une mauvaise nouvelle. On enterre jeudi à Figeac un camarade hors du commun, Hervé De Teule. Tous nous sommes sous le choc. Je l’ai quitté en bonne forme jeudi dernier tandis qu’il filmait le meeting à Rodez. Hervé est l’auteur d’une photo célébrissime dans nos rangs. Elle avait bien circulé aussi sur Facebook pendant la présidentielle. On y voit un groupe de spéléo avec une pancarte « la France d’en bas vote front de gauche ». Ce fut alors un sujet d’immense rigolade et de fierté aussi. Hervé est parti. Marie-Hélène, sa compagne l’a trouvé mort au lit le matin. De Strasbourg, j’arrive à Paris d’où je repars aussitôt après avoir changé mon lot de chemises. C’est le dernier avion pour Rodez. De là on roulera jusqu’à Figeac dans la nuit. Heureusement pour moi, j’ignore à ce moment-là qu’il me faudra neuf heures pour remonter à Paris. Je le dois aux charmes de la circulation sur les routes de la Corrèze vers Brive, derrière les 2CV agonisantes, les 4L flatulentes et les mobil home anglais. Ceux-là vous infligent le long des lignes blanches un imprévisible déplacement a 30km heures de moyenne, qui explose vos prévisions et vous font rater un train sans problème. Evitez alors de croire que l’avion peut prendre le relais depuis l’improbable aéroport de Brive. Mon avion a été annulé pour cause de panne technique après une réglementaire demi-heure d’espérances trompées. Tout l’art fut de m’extraire de là, en pleine cambrousse sans aucune liaison pour revenir à la gare. Pour ce qui est des transports collectifs, la Corrèze de Hollande lui ressemble : ça devient vite un cul de sac.

En chemin, on a eu notre petite faiblesse collective. Ça s’est passé à Firmi. Une méchante rocade a failli nous faire manquer notre rendez-vous hors du commun. C’était un rendez-vous avec un arbre. Oui, un arbre, petit mais vaillant ! Maigre comme un cure-dent mais coiffé d’une abondante chevelure de feuilles. Cet arbre, je l’ai planté avec les camarades il y a quelques paires d’années. C’était la conclusion d’une manifestation pour défendre la poste du coin menacée de fermeture. C’était en 2007, au « printemps national des services publics ». La femme qui tient le volant de notre véhicule est du coin. C’est Marlène, prof de math, co-secrétaire du PG du Lot à cette heure. Elle me dit que la manifestation de ce jour-là a marqué les esprits sur place. Ça me fait plaisir d’y penser. Ça donne de la force. Sur le chemin, je vois le bâtiment de la poste tout pimpant dans la nuit.

Je dormirai ce soir à « l’hôtel des bains » à Figeac, un endroit simple et charmant, penché sur la rivière Célé qui va se jeter gentiment plus loin dans le Lot. Je découvre cette maison par hasard car j’ai mes habitudes au « Champollion » sur la place du même nom, quoique la vieille pancarte, dans un délicieux occitan, me parle d’une place des châtaignes, lesquelles se nomment « castagnes » (j’ai oublié où on met le « h ») dans cette belle langue. La castagne ! Nous on connait !

Jeudi. Fait-il trop chaud, est-ce la mort de Hervé, je dors très mal. Je me lève à plusieurs reprises comme s’il fallait commencer la journée. Je vois donc le jour se lever sur le Célé qui coule en silence. Comme l’eau qui passe apaise ! Qu’elle est belle ! Bientôt, au petit déjeuner, l’équipe sur place lit la presse dans un silence pesant. De son côté l’équipe à Paris s’est mis en mode alerte pour suivre mon parcours, modifier tout l’agenda et tenir la veille. Premier échange avec Coquerel pour aujourd’hui. Puis j’aurai Danielle Simonnet au téléphone pour suivre les échos de la crise dans le Parti Communiste parisien après le vote d’alliance avec les socialistes. Elle faisait aussi un débat télé avec Luc Carvounas. Pourtant, il faut bien en venir à la cruelle réalité qui m’amène ici. Voici Marie-Hélène et ses fils qui viennent me retrouver avant d’aller à la levée du corps. On se serre dans les bras. On pleure ensemble. La mort passe ses griffes sur nos peaux à vif. Le souvenir n’est pas commencé. On conjugue à peine Hervé au passé mais chaque présent qui se faufile dans une phrase blesse au sang. Les copains, les camarades, se rassemblent bientôt devant l’hôtel. De là on ira à pied au cimetière, comme en manifestation, avec nos drapeaux et nos foulards rouges. En chemin les gens viennent nous serrer la main. Ils ne nous demandent pas ce qu’on fait là. Juste de l’amitié. Ils ne lisent pas « Le Monde » ici ? Ils ne savent pas reconnaitre le diable ?

Dans l’escalier qui serpente entre la rue médiévale et le plateau où se trouve le cimetière, j’interromps la montée pour regarder derrière moi. Je vois, de la hauteur où je suis, la paix des choses et la belle lumière chaude qui court sur la vie. A l’entrée du cimetière, d’autres camarades encore, sont déjà assemblés. Guilhem Seyries, venu de l’Aveyron, est là, et voici Jean-Christophe Selin de Toulouse, arrivé au pas de course. Et je vois aussitôt qu’il y a madame le maire de Figeac, Nicole Paulo, une socialiste pour de vrai. Je l’embrasse de bon cœur. Rien d’autre que l’affection : elle ne se représente pas à la mairie. Notre liste autonome y a donc ses chances. Du coup Martin Malvy a été réquisitionné une fois de plus, pour venir à la rescousse de l’aigre candidat que les solfériniens du coin ont désigné. Martin perd son temps. Même tout son appui ne fera pas aimer ce qui n’est pas aimable.

Je tiens Nicole par la main pendant qu’on se parle. Je lui dis que je suis content de la voir. Je pense à ce jour de 2009 où elle m’a accueilli en mairie avec ses adjoints en écharpe juste avant que j’aille tenir le meeting de ma liste aux européennes. Nicole dit : « c’est bien que vous soyez là tous, ses camarades ». Cette femme sait ce qui compte dans ces circonstances. Ces choses qui nous distinguent à ce moment sont des liens rituels pour nous et ils lui parlent aussi, à elle. Les camarades, les drapeaux rouges, les œillets que nous avons tous à la main. Nous sommes la famille qu’il avait choisie. Nous formons le cercle après sa compagne, ses parents et ses enfants. Elle le sait. Elle connait ces choses-là. Elle n’est pas la seule ? Mais alors pourquoi n’en tirent-ils aucune leçon ?

Nicole, et vous autres, mais qu’est-ce que vos chefs ont fait du parti socialiste ? Le royaume de Valls ! Pourquoi restez-vous sans rien faire plutôt que de nous aider ? Savez-vous bien ce que vous cautionnez ? Tiens un exemple. Encore un. Avant de m’endormir, vers minuit, j’ai eu les sms de Laurence Sauvage et Jean-Michel Mespoulède. Ils lancent l’alerte sur notre réseau « entreprise ». A Roissy, trois cars de CRS et quatre voitures de police pour faire dégager le piquet de grève de Swiss Cargo qui tient depuis 26 jours. C’est ça les solfériniens : traquer les pauvres, tabasser les ouvriers, cajoler les patrons, tondre les salariés. Quelqu’un peut-il me dire une seule chose de bien faite pour les nôtres depuis que cette équipe est en place ? Une seule ?


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