Georges Moustaki est parti mais la révolution permanente continue

dimanche 2 juin 2013.
 

A) Réactions et hommages

Jean-Luc Mélenchon : "J’ai la gueule de travers. Georges Moustaki est parti mais la révolution permanente continue."

Pierre Laurent : " Moustaki ne chantera plus dans les fêtes populaires qu’il affectionnait tant mais ses chansons continueront à vivre dans nos combats"

Philippe Poutou, l’ancien candidat du NPA à la présidentielle 2012 que Georges Moustaki avait soutenu  : "C’était quelqu’un dont on se sentait très proche, c’était un contestataire, il rêvait d’une autre société comme nous, d’une révolte contre ce monde qu’il fallait changer".

Aurélie Filippetti rend hommage à un "artiste engagé qui portait des valeurs humanistes, un grand poète."

Communiqué de la GA. Hommage à Georges moustaki, chanteur populaire et engagé.

La Gauche anticapitaliste, membre du Front de gauche, rend hommage à Georges Moustaki qui vient de disparaître.

Chanteur engagé, n’hésitant pas à prendre des positions publiques, il fut et restera un chanteur populaire dont les mélodies, pleines de poésie, sont dans nos esprits et dans nos coeurs.

Loin des turbulences médiatiques, ses textes évoquent un monde de liberté dans lequel avoir une gueule de métèque n’excite pas la haine et la discrimination.

On ne verra plus l’artiste sur scène, dans les galas de soutien ou dans les fêtes populaires. Mais il vivra à travers ses chansons que nous n’oublierons pas, comme nous n’oublierons pas qu’il participa à sa façon aux événements de mai 68.

B) Entretien avec Georges Moustaki en 2008 sur Mai 1968

Au moment ou l’on célèbre les quarante ans de Mai 68, vous dites que ce fut pour vous « un moment de grande poésie » ?

Georges Moustaki. C’est comme ça que je qualifierais ce qu’on appelle les événements, la révolution, la révolte. Pour moi, c’était la poésie qui s’exprimait dans la rue, avec des revendications sociales, mais tout cela était en termes politiques, et c’est peut-être ce qui faisait sa beauté. J’ai entendu ce qui se passait à la Sorbonne. J’étais à Caen et nous sommes rentrés parce qu’on avait envie de savoir ce qui s’y passait. C’était exceptionnel. Comme je n’habite pas loin, j’étais confronté tous les jours aux bruits des bombes lacrymogènes, des manifestations qui avaient lieu dans le voisinage. Je suis allé voir avec des amis musiciens et on a décidé d’accompagner les événements avec nos guitares et nos chansons. On a été présents, mais pas en première ligne. On était très solidaires et concernés par ce qu’on était en train de vivre.

Dans le Temps de vivre, vous aviez écrit : « Écoute ces mots qui vibrent sur les murs du mois de mai »...

Georges Moustaki. La poésie est contagieuse. Elle était partout sur les murs, cela m’a donné envie d’être en résonance. Il n’y a pas eu beaucoup de chansons écrites sur ce mois de mai. La vraie poésie, elle était dans les rues. Avec ces mots, j’indique la source. C’est une chanson qui accompagnait un film de Bernard Paul, le Temps de vivre, qui se tournait au mois de mai 1968, adapté d’un livre d’André Remacle, écrivain communiste de Marseille. Il y avait une concordance entre le film, le livre, les événements et la chanson.

Entretien dans L’Humanité

C) Révolution permanente (Sans la nommer) Chanson de Georges Moustaki 1969

Paroles de cette chanson et vidéo de Georges Moustaki l’interprétant en cliquant sur le titre C ci-dessus.

D) Georges Moustaki Un vrai humaniste et une immense délicatesse

Mots clés : georges moustaki, carnet, claude lemesle,

par Claude Lemesle, parolier

« Georges Moustaki était un chanteur d’une extrême élégance et qui en même temps était très populaire. On sentait tous les textes vraiment peaufinés, léchés, ciselés. C’était un orfèvre et sa chanson touchait très directement. C’est quelque chose d’exceptionnel et qui me touche terriblement chez lui. Ce n’était pas une grande voix mais c’était un timbre. Un timbre qui contrairement à certains autres dans la chanson contemporaine, hélas, est parfaitement reconnaissable. Il chantait tout avec une espèce de douceur qu’on pouvait quelquefois assimiler à de la nonchalance, mais qui n’était, je crois, que de la discrétion.

La discrétion chez Georges, c’était quelque chose de fortement ancré en lui. À chaque fois qu’on évoque les très grands de la chanson francophone, on pense à Brassens, Brel, Nougaro, Ferré, mais on cite rarement Moustaki. C’est injuste parce qu’il fait partie des très très grands – d’ailleurs les plus grands l’ont chanté – et, en même temps, c’est compréhensible parce que ce n’était pas quelqu’un qui se mettait tellement en avant. Lui, ce n’était pas tout en force, c’était tout en charme. Son style est intemporel.

J’adore Votre fille a vingt ans. Il était capable de faire ça, d’écrire quelque chose de fort et très scénique comme Milord ou des choses très marrantes comme Donne du rhum à ton homme ou Dans mon hamac. C’était un homme extrêmement éclectique, il avait la musique comme support et c’est d’ailleurs ça qui va faire que ses chansons vont passer à la postérité. Il a su traiter avec beaucoup d’étoffe, de profondeur et sans avoir l’air d’y toucher, les très grands thèmes  : le temps, la vie, l’amour, la mort. C’était un vrai humaniste. Il défendait les droits de l’homme, les droits des femmes, avec une immense délicatesse, sans hurler. C’est beaucoup plus fort  ! »

E) Fin du voyage pour l’éternel Métèque

Georges Moustaki est mort hier, 
à Nice, à l’âge de soixante-dix-neuf ans. De Piaf aux influences brésiliennes, sa chanson éminemment délicate témoignait de son profond humanisme.

Georges Moustaki est mort et on a envie de pleurer comme jamais. Le chanteur est décédé hier, à Nice, à soixante-dix-neuf ans, des suites d’une maladie respiratoire. Moustaki incarnait la bonté et la douceur d’un homme qui savait regarder le monde avec humanisme. Moustaki, c’était l’élégance même, un homme à la voix d’une douceur infinie pour qui tout commença en 1969, avec la chanson le Métèque, dans laquelle il chantait «  (sa) gueule de juif errant, de pâtre grec  ».

Youssef Mustacchi, de son vrai nom, était né le 3 mai 1934, à Alexandrie en Égypte. Ses parents, grecs, Nessim et Sarah, originaires de Corfou, tenaient une librairie dans la grande cité côtière marquée par son cosmopolitisme. Dans la rue, on parle arabe, à la maison, le grec, l’italien et le français, que le jeune Moustaki apprend dans une école d’Alexandrie. Ses premières émotions, il les a vécues dans cette ville au nom féminin dont il restera amoureux toute sa vie. Chaleureuse, reflet d’un beau métissage culturel, elle est ce coin de paradis qu’il garda dans son cœur et lui permet de penser avec nostalgie à ses années d’adolescence.

C’est ici que Moustaki découvre le monde et que naît le désir de partir pour Paris, la Ville lumière. Il y voit la promesse d’une riche vie intellectuelle, la possibilité de rencontrer des artistes, de visiter les musées. Bac en poche, il s’installe en 1951 dans une ville qu’il trouve d’abord laide et très grise. Le soleil de la Méditerranée lui manque mais il se sent libre. Il veut tout embrasser de la culture française. Pour vivre, il fait du porte-à-porte, vendant des livres de poésie, se lance dans le journalisme comme correspondant culturel d’un journal égyptien, fait le barman dans un piano-bar.

Le début de la grande aventure

Une vie de bohème pour le jeune Moustaki qui compose quelques airs à la guitare jusqu’au jour où, aux Trois Baudets, il assiste à un tour de chant de Georges Brassens, qu’il rencontre plus tard. Une révélation pour Moustaki qui se voit encourager à continuer dans la chanson par Brassens. Il a vingt ans, se marie et a une fille, Pia. Jeune père de famille, il prend alors son destin en main. Brassens lui facilite les choses, lui présente les gens du métier, dont l’éditeur producteur Jacques Canetti. On l’encourage à faire de la scène, mais il se sent trop timide pour se produire devant un public. Moustaki hésite encore entre la peinture et la musique, quand, en 1954, il fait la connaissance d’Henri Salvador, à qui il propose d’écrire des chansons.

C’est le début de la grande aventure et la rencontre avec Édith Piaf, qui est alors une star parmi les stars, l’étoile incontestée du music-hall. Elle lui demande de lui écrire des chansons. Il admirait Piaf, mais n’aimait pas particulièrement son univers. Il se sentait plus proche de l’esprit de Saint-Germain-des-Près, des chanteurs comme Philippe Clay, Mouloudji, Juliette Gréco. Il se rend cependant régulièrement boulevard Lannes, où Piaf habite et a l’habitude de recevoir ses amis. Peu à peu, leur relation se fait plus complice et leur passion pour la chanson va les réunir. Invité à la suivre en tournée, il l’accompagne à l’étranger, en Europe, aux États-Unis. Mais Moustaki a besoin de respirer, de vivre par lui-même et non à travers une personne, fût-elle Piaf. Ce qui ne l’empêche pas, à vingt-huit ans, de lui écrire ce qui deviendra un tube, Milord, chanson qui fit le tour du monde et qui, il faut bien le dire, n’a pas vieilli d’un pouce.

Un cycle s’achève. Moustaki, qui a découvert le métier avec la plus grande des chanteuses, rêve à son tour d’être reconnu comme auteur-compositeur-interprète. Il gratte quelques accords à la guitare et écrit pour Colette Renard, Yves Montand, Barbara. Il sort quelques 45 tours, dont Eden Blues, les Orteils du soleil, les Musiciens. Moustaki renoue avec ses racines grecques, fait plusieurs voyages dans son pays d’origine, rencontre Melina Mercouri, qui interprétera le Métèque et En Méditerranée, des chansons qui, pour elle, étaient comme des actes de résistance en pleine époque de la dictature des colonels.

Il y aura aussi la rencontre avec Reggiani. C’est Barbara, pour laquelle il écrira et chantera en duo la Longue Dame brune, qui lui fit connaître l’acteur de Casque d’or aux côtés de Simone Signoret. Reggiani, à ce moment-là, cherche à se diversifier et entreprend une carrière de chanteur. Les deux hommes vont sympathiser et prendre plaisir à travailler ensemble. C’est ainsi que naîtront quelques-unes des plus belles chansons écrites par Moustaki et que Reggiani popularisera en un premier temps sur la scène de Bobino, dont Sarah, Votre fille a vingt ans, Ma liberté, Ma solitude.

Moustaki a beau se présenter ici ou là sur scène, il ne connaît pas encore le succès en tant qu’interprète. Peu après 68, sort alors un 45 tours, le Métèque. Le succès est immédiat et lui permet d’enregistrer son premier 33 tours. Un répertoire qui le conduit jusqu’à Bobino, où il se produit en 1970. Son tour de chant comprend des titres comme Ma solitude ou le Métèque et déjà le public est séduit par l’atmosphère mélancolique et voyageuse que le chanteur et ses musiciens installent sur scène. Ce sera désormais la marque de fabrique de Moustaki, dont chaque spectacle est marqué par cette convivialité. On vient voir Moustaki sur scène comme si on était à la maison, écouter des chansons comme Donne du rhum à ton homme ou Dans mon hamac. Attiré par la culture du «  tropicalisme  » au Brésil, il part en tournée à Rio, lors du Festival international de la chanson populaire, où il rencontre des artistes comme Jorge Ben, Chico Buarque ou Gilberto Gil, et se familiarise avec les rythmes et la musique brésilienne. Des sonorités qui imprégneront de plus en plus son univers. Il reprendra ainsi Carlos Jobim chantant les Eaux de mars, dont le titre original est Aguas de março.

Le Métèque est devenu un hymne antiraciste

Il aime voyager et découvrir les cultures dont il s’inspire pour ses créations. Sa rencontre avec Mikis Theodorakis fut l’une des plus importantes. Grâce à lui, il prend conscience que l’on peut être poète et un artiste engagé. Les mots peuvent à eux seuls changer le cours des choses. Moustaki les utilisera avec sensibilité pour défendre ce en quoi il croyait  : le respect des hommes et des femmes, l’amour de son prochain, le brassage des cultures… C’est ainsi que le Métèque est devenu un hymne antiraciste. Une chanson qui célébrait le droit à la différence «  comme un cri de révolte de toutes les minorités  » (1), disait-il.

D’autres rencontres encore ont marqué sa vie, celle avec Marguerite Monnot, à qui l’ont doit des chansons restées dans la mémoire collective telles que l’Hymne à l’amour, les Amants d’un jour, Mon légionnaire, etc., et dont le talent impressionnait Moustaki  : «  Je lui dois d’avoir mis en musique Milord et quelques autres. Concertiste de talent (…) elle aurait pu composer des ouvrages symphoniques et savants. Elles s’est tapie dans l’ombre de Piaf pour lui écrire quelques joyaux.  » Bien que d’un tempérament solitaire, il aimait partager ses enregistrement avec les voix qu’il appréciait, collaborations que l’on retrouve dans différents albums (Joujou, Ballades en Balade, Tout reste à dire), tels Maxime Le Forestier, Paco Ibanez, Richard Galliano, Areski Belkacem, Nilda Fernandez ou Enzo Enzo.

Autant de rencontres musicales qui lui ont valu la reconnaissance des anciens comme des plus jeunes. À l’image de son dernier album, en 2008, dans lequel il avait tenu à interpréter quelques-unes de ses plus belles chansons en duo avec Cali, Stacey Kent, China Forbes, Sarah Murcia ou Vincent Delerm. Son nom inscrit au Larousse témoigne du fait qu’il avait su devenir un des grands classiques de la chanson française.

Durant quarante ans, la chanson, la scène, les voyages, les amis, le public, lui ont donné le souffle de continuer à nous enchanter et nous faire rêver jusqu’à ce 8 janvier 2009. Un jour de tristesse où il annonça sur la scène du Palais de la musique catalane, à Barcelone, qu’il chantait pour la dernière fois. «  Le public a réagi par un silence ému, plus bouleversant que les plus grandes ovations  », se souvenait-il. Nous ne reverrons plus sa belle silhouette dans les rues de son île Saint-Louis qu’il aimait tant, où il avait perché son nid. Adieu l’artiste  !

Victor Hache, L’Humanité


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