Jean-Claude Michéa, la gauche, le socialisme et le capitalisme

jeudi 4 avril 2013.
 

1) Jean-Claude Michéa « Pas de société socialiste 
sans valeurs morales communes »

Pour Jean-Claude Michéa, libéralisme culturel et libéralisme économique sont les deux faces d’une même médaille  : un système qui n’accepte plus de limites. Contre ce qu’il appelle la « métaphysique du Progrès », responsable, selon lui, de l’atomisation du monde contemporain, le philosophe mise sur la « décence ordinaire » des classes populaires.

Dans votre dernier livre (1), vous expliquez que toute la gauche se serait, 
peu ou prou, ralliée au libéralisme 
et qu’en conséquence, si l’on veut vraiment rassembler le peuple 
sur un projet de société postcapitaliste, 
il faut renoncer au nom de « gauche ». Pourtant, les orientations sociales-libérales 
ne font pas, loin s’en faut, l’unanimité dans 
la gauche. N’est-il pas décisif, aujourd’hui 
plus que jamais, de se battre pour arracher 
le terme de « gauche » à ceux qui l’usurpent  ?

Jean-Claude Michéa Le nom de gauche ne me paraît plus suffisamment rassembleur aujourd’hui. Pour deux raisons, l’une conjoncturelle, l’autre structurelle. La raison conjoncturelle, c’est que trente ans de politique mitterrandiste ont massivement discrédité ce nom aux yeux des classes populaires. Pour un nombre croissant de gens, et notamment dans cette France «  périphérique  » abandonnée et méprisée par les élites, il se confond désormais, avec ce libéralisme culturel – omniprésent dans le monde du show-biz et des médias – qui ne représente que la face «  morale  » de l’économie de marché. L’autre raison, c’est qu’au XIXe siècle, la droite, ou «  parti de l’ordre  », désignait d’abord les nostalgiques de l’Ancien Régime et du pouvoir absolu de l’Église, alors que la gauche, ou «  parti du mouvement  », regroupait essentiellement les «  classes moyennes  » – depuis la grande bourgeoisie libérale et industrielle jusqu’à la petite bourgeoisie jacobine et républicaine. Quant au mouvement ouvrier, il ne songeait, à cette époque, qu’à préserver sa précieuse indépendance politique et culturelle. C’est pourquoi Marx ne s’est jamais défini comme un homme de gauche  ! Ce n’est que lors de l’affaire Dreyfus, face à la menace imminente d’un coup d’État réactionnaire, qu’un compromis historique dit de «  défense républicaine  » s’est noué –  sur des bases au départ strictement défensives –- entre cette gauche originelle et le mouvement ouvrier socialiste. Ce compromis défensif – réactualisé dans les années trente face au péril fasciste – avait évidemment ses vertus et il reste à l’origine de la plupart de nos conquêtes sociales – du Front populaire à la Libération. Le problème, c’est qu’au fur et à mesure que la vieille droite «  historique  » disparaissait du paysage politique – la droite moderne ne se réclame plus de l’Ancien Régime, mais bel et bien du libéralisme économique des Lumières –, il était condamné à perdre peu à peu sa cohérence initiale. Car l’ennemi principal des peuples, aujourd’hui, ce n’est évidemment plus «  l’alliance du trône et de l’autel  ». C’est l’accumulation illimitée du capital, c’est-à-dire ce processus d’enrichissement sans fin de ceux qui sont déjà riches, dont la critique définissait le sens même du projet socialiste. En validant progressivement l’idée que cette critique conduisait inexorablement au «  goulag  », la gauche se condamnait donc à redevenir ce simple parti du «  progrès  » et du «  mouvement  » comme fin en soi qu’elle était déjà avant l’affaire Dreyfus. C’est ainsi qu’on est logiquement passé de l’idée qu’«  on n’arrête pas le progrès  » à l’idée, aujourd’hui dominante, qu’on n’arrête pas le capitalisme.

Considérez-vous que toutes les réformes sociétales ne servent jamais qu’à faire diversion  ?

Jean-Claude Michéa Bien sûr que non  ! Mais il est clair qu’on ne saurait les imposer aux classes populaires sur les seules bases de l’idéologie libérale, c’est-à-dire en se plaçant au seul point de vue du droit abstrait et «  axiologiquement neutre  » de tous sur tout. C’est cette «  vision juridique du monde  », selon l’expression de Marx, qui conduit, par exemple, un Pierre Bergé ou une Marcela Iacub à considérer la «  profession  » de mère porteuse ou de prostitué(e) comme un «  métier comme un autre  » (chacun étant libre, à leurs yeux, de faire ce qu’il veut de son corps ou, comme Depardieu, de son argent). Or une société socialiste, à la différence d’une société libérale, ne saurait se passer d’un minimum de valeurs morales et philosophiques communes – ne serait-ce que pour dénoncer l’indécence de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la domination masculine ou de la persécution des minorités. Il faut donc considérer chacun de ces projets de réforme au cas par cas et selon des critères qui ne soient jamais exclusivement juridiques. Sans quoi, comme l’écrivait déjà Engels, la revendication socialiste d’égalité «  tombe nécessairement dans l’absurde  ». Jusqu’à amplifier, comme aujourd’hui, tous les effets de la logique libérale.

Vous reprenez à Castoriadis l’idée que 
le capitalisme est un «  fait social total  », 
qui ne se combat donc pas seulement 
au niveau des conditions de production 
mais aussi au niveau de la consommation. 
Du coup, vous exprimez une certaine sympathie à l’égard des idées de «  décroissance  ». 
Reste que si nous sommes tous pris dans 
un mode de vie consumériste, certains vivent de leur travail, d’autres de l’exploitation des travailleurs. N’est-ce pas là le problème fondamental  ? Votre critique du capitalisme comme mode de vie n’a-t-elle pas tendance 
à diluer le caractère central, pour 
le dépassement de ce système, de la lutte contre la marchandisation de la force de travail  ?

Jean-Claude Michéa. Au contraire. C’est parce que la dynamique de l’accumulation du capital conduit à creuser toujours plus l’écart entre les maîtres du monde et ceux qui ne possèdent plus que leur seule force de travail que le capitalisme est confronté, depuis l’origine, au problème des «  débouchés  » (à qui vendre ces marchandises qui s’accumulent à l’infini  ?). Problème qu’il a provisoirement réussi à régler, au XXe siècle, par la double invention du crédit et de la consommation comme mode de vie et source d’identité. Les formes d’existence mutilantes et aliénées que je critique ont donc bien leurs racines dans le principe même de la production capitaliste. Mais la réciproque est vraie. Sans les nouvelles pistes qu’ouvre sans cesse le libéralisme culturel – certaines peuvent évidemment être reprises sur d’autres bases –, le marché ne pourrait pas s’emparer continuellement de toutes les activités humaines, y compris les plus intimes. Si on «  oublie  » ce versant du libéralisme, on s’exposera donc à voir rentrer par la fenêtre le système qu’on croyait faire sortir par la porte. Et ce qui lie ces deux versants, c’est le concept de «  croissance  ». Or, même si j’observe une certaine évolution du côté du Front de gauche, celle-ci est encore trop souvent comprise comme une réalité purement technique et positive. Mais, en réalité, elle n’est jamais neutre. Elle conduit, par exemple, à produire des «  valeurs d’échange  » non seulement privées de toute utilité réelle mais, de plus en plus souvent, nuisibles pour la nature et l’humanité. C’est en ce sens que la «  décroissance  » doit devenir la vérité de tout socialisme moderne. Ce concept invite, en effet, à remettre radicalement en question la logique d’un monde fondé, disait Marx, sur la seule nécessité de «  produire pour produire  » et donc de transgresser sans cesse «  toutes les limites morales et naturelles  ».

Il y a déjà eu, par le passé, des critiques virulentes du libéralisme culturel. Dans 
les années 1970, Michel Clouscard dénonçait le libéralisme-libertaire, un système 
qu’il décrivait comme «  répressif pour 
le producteur et permissif pour 
le consommateur  » et auquel il opposera le projet d’un «  parlement du travailleur collectif  ». 
De votre côté, vous en appelez davantage au «  petit peuple  » et à ses traditions qu’aux producteurs situés dans un face-à-face immédiat avec 
les propriétaires des moyens de production…

Jean-Claude Michéa Le noyau dur du «  marxisme-léninisme  » – qui néglige allégrement les dernières réflexions de Marx sur les communautés paysannes russes – est la «  théorie des stades  », autrement dit, la conviction «  progressiste  » que le capitalisme constitue une étape «  historiquement nécessaire  » de l’évolution humaine et qu’il contribue, à ce titre, à mettre en place «  la base matérielle du socialisme  ». Comme si la bétonisation du monde, la prolifération des déchets toxiques ou l’accumulation infinie des gadgets les plus absurdes pouvaient constituer le fondement logique d’une société réellement humaine  ! Derrière cette croyance, il y a l’idée que le «  petit  » doit partout et toujours disparaître au profit du «  grand  ». La petite paysannerie devrait ainsi se dissoudre définitivement dans l’agriculture industrielle et l’artisanat, ou la petite entreprise, dans la grande industrie. C’est cette façon de penser qui a conduit toute une partie des classes populaires à se détourner du socialisme, alors même qu’elles y avaient toute leur place. En un mot, le marxisme officiel a trop longtemps considéré que le seul producteur du futur était l’ouvrier de la grande industrie et qu’il fallait donc, pour arriver au socialisme, généraliser à l’infini le principe industriel. Mais si on cesse de voir dans le mode de croissance actuel la seule base possible d’une société décente, la question des alliances de classes se pose nécessairement de façon nouvelle. C’est là tout l’intérêt de la tradition populiste – et anarchiste – du XIXe siècle. On commence, par exemple, à comprendre que l’un des grands problèmes du XXIe siècle sera celui de la survie alimentaire de l’humanité et que, dans un tel contexte, l’agriculture paysanne retrouvera sans doute une place importante dans une société socialiste. Il s’agit donc de rompre avec l’idée que le cœur du socialisme, c’est la grande industrie héritée du capitalisme, même si l’industrie, sous des formes nouvelles, aura évidemment toujours un rôle à jouer. Cela implique, bien sûr, qu’on sache se déprendre de cette mystique du «  progrès  » qui était au cœur de la philosophie des Lumières. Et donc que l’on apprenne enfin à penser avec les Lumières contre les Lumières.

Les Lumières n’étaient-elles pas une philosophie de l’émancipation et de la responsabilité  ? «  Aie 
le courage de te servir de ton propre entendement  », écrivait Kant, pour la résumer. Cela semble très éloigné de l’idée d’un progrès automatique…

Jean-Claude Michéa N’oublions pas que la philosophie des Lumières n’a jamais été homogène. Rousseau, par exemple, refusait l’idée d’un «  sens de l’histoire  ». Et si les premiers socialistes reprenaient à leur compte le souci égalitaire propre à cette philosophie, ils ne remettaient pas en question l’idée même de «  monde commun  ». L’émancipation des individus implique certes le rejet de tous les liens fondés sur l’exploitation et la domination. Mais non pas qu’on s’émancipe du lien social lui-même, puisqu’il y a aussi des liens qui libèrent, comme l’entraide et l’amitié. C’est là toute la différence entre le projet socialiste, qui pense l’homme comme un animal social, et le projet libéral qui pense l’homme comme un individu « indépendant par nature » et qui tend donc inévitablement à voir dans toute obligation morale, selon la formule de Foucault, une simple « dictature de l’autre ». De là cette atomisation présente du monde que dénonçaient déjà Marx et Engels.

Dans cette perspective, vous appelez 
au respect du «  fait communautaire  ». 
Ne risque-t-on pas de glisser très vite dans 
le communautarisme, par définition incompatible avec le principe d’une société socialiste  ?

Jean-Claude Michéa C’est tout le problème  ! Comment émanciper les individus et les peuples sans détruire, du même mouvement, le lien social lui-même, et donc l’humanité  ? Comment, en d’autres termes, permettre aux différentes sociétés de trouver par elles-mêmes les médiations nécessaires à l’intégration des valeurs universelles de liberté et d’égalité, sans pour autant que cette intégration ne conduise à détruire – comme dans le processus d’«  émancipation  » libérale – les fondements mêmes de leur originalité historique  ? Si, faute de comprendre le potentiel émancipateur des traditions populaires, on ne parvient pas à résoudre concrètement cette dialectique de l’universel et du particulier, l’humanité n’aura alors plus d’autre choix qu’entre le repli «  communautariste  » et sa dissolution suicidaire dans l’univers glacial et uniformisé du droit et du marché.

(1) Les Mystères de la gauche, de l’idéal des Lumières 
au triomphe du capitalisme absolu, Éditions Climats, 
2013. 14 euros.

Sortir du capitalisme « Pourquoi j’ai rompu avec la gauche ». C’est ainsi que Marianne titrait un entretien que lui a accordé récemment Jean-Claude Michéa. Pourtant, dans 
les Mystères de la gauche, son dernier livre, sa réflexion prend son origine dans une réponse respectueuse à un courrier de Florian Gulli, lui-même philosophe, membre 
du Parti communiste français et contributeur de l’Humanité, qui l’interpellait sur son refus de conserver le nom 
de gauche comme nom du nécessaire rassemblement populaire. Certes, celui qui se dit volontiers «  anarchiste conservateur  » n’en démord pas  : pour lui, la référence 
au clivage droite-gauche a perdu de sa pertinence. 
Mais, attention, ce n’est pas là un jugement abstrait, encore moins une concession au «  ni gauche ni droite  » de l’extrême droite ou d’un quelconque centrisme. 
Il n’a de sens que par rapport à un enjeu  : la sortie du capitalisme, qui reste la boussole du philosophe. Celui-ci pense que la gauche telle qu’elle existe a globalement renoncé à cet objectif, ou alors, pour celle qui est encore sincère, qu’elle s’est privée des moyens de mener 
le combat. Il faut alors s’entendre sur le sens des mots, 
le rapport au peuple et à l’histoire. C’est tout le débat !

Entretien réalisé par Laurent Etre, L’Humanité

2) Jean-Claude Michéa : "Le socialisme est incompatible avec l’exploitation capitaliste. La gauche, non"

(Marianne, 2 mars 2013)

"[...] Le compromis historique forgé, au lendemain de l’affaire Dreyfus, entre le mouvement ouvrier socialiste et la gauche libérale et républicaine (ce « parti du mouvement » dont le parti radical et la franc-maçonnerie voltairienne constituaient, à l’époque, l’aile marchante) me semble désormais avoir épuisé toutes ses vertus positives. A l’origine, en effet, il s’agissait seulement de nouer une alliance défensive contre cet ennemi commun qu’incarnait alors la toute-puissante « réaction ». Autrement dit, un ensemble hétéroclite de forces essentiellement précapitalistes qui espéraient encore pouvoir restaurer tout ou partie de l’Ancien Régime et, notamment, la domination sans partage de l’Eglise catholique sur les institutions et les âmes. Or cette droite réactionnaire, cléricale et monarchiste a été définitivement balayée en 1945 et ses derniers vestiges en Mai 68 (ce qu’on appelle de nos jours la « droite » ne désigne généralement plus, en effet, que les partisans du libéralisme économique de Friedrich Hayek et de Milton Friedman). Privé de son ennemi constitutif et des cibles précises qu’il incarnait (comme, la famille patriarcale ou l’« alliance du trône et de l’autel ») le « parti du mouvement » se trouvait dès lors condamné, s’il voulait conserver son identité initiale, à prolonger indéfiniment son travail de « modernisation » intégrale du monde d’avant (ce qui explique que, de nos jours, « être de gauche » ne signifie plus que la seule aptitude à devancer fièrement tous les mouvements qui travaillent la société capitaliste moderne, qu’ils soient ou non conformes à l’intérêt du peuple, ou même au simple bon sens). Or, si les premiers socialistes partageaient bien avec cette gauche libérale et républicaine le refus de toutes les institutions oppressives et inégalitaires de l’Ancien Régime, ils n’entendaient nullement abolir l’ensemble des solidarités populaires traditionnelles ni donc s’attaquer aux fondements mêmes du « lien social » (car c’est bien ce qui doit inéluctablement arriver lorsqu’on prétend fonder une « société » moderne - dans l’ignorance de toutes les données de l’anthropologie et de la psychologie - sur la seule base de l’accord privé entre des individus supposés « indépendants par nature »).

La critique socialiste des effets atomisants et humainement destructeurs de la croyance libérale selon laquelle le marché et le droit abstrait pourraient constituer, selon les mots de Jean-Baptiste Say, un « ciment social » suffisant (Engels écrivait, dès 1843, que la conséquence ultime de cette logique serait, un jour, de « dissoudre la famille ») devenait dès lors clairement incompatible avec ce culte du « mouvement » comme fin en soi, dont Eduard Bernstein avait formulé le principe dès la fin du XIXe siècle en proclamant que « le but final n’est rien » et que « le mouvement est tout ».

[...] Je persiste à penser qu’il est devenu aujourd’hui politiquement inefficace, voire dangereux, de continuer à placer un programme de sortie progressive du capitalisme sous le signe exclusif d’un mouvement idéologique dont la mission émancipatrice a pris fin, pour l’essentiel, le jour où la droite réactionnaire, monarchiste et cléricale a définitivement disparu du paysage politique. Le socialisme est, par définition, incompatible avec l’exploitation capitaliste. La gauche, hélas, non. Et si tant de travailleurs - indépendants ou salariés - votent désormais à droite, ou surtout ne votent plus, c’est bien souvent parce qu’ils ont perçu intuitivement cette triste vérité.

[...] Dès lors, en effet, que la gauche et la droite s’accordent pour considérer l’économie capitaliste comme l’horizon indépassable de notre temps (ce n’est pas un hasard si Christine Lagarde a été nommée à la tête du FMI pour y poursuivre la même politique que DSK), il était inévitable que la gauche - une fois revenue au pouvoir dans le cadre soigneusement verrouillé de l’« alternative unique » - cherche à masquer électoralement cette complicité idéologique sous le rideau fumigène des seules questions « sociétales ». De là le désolant spectacle actuel. Alors que le système capitaliste mondial se dirige tranquillement vers l’iceberg, nous assistons à une foire d’empoigne surréaliste entre ceux qui ont pour unique mission de défendre toutes les implications anthropologiques et culturelles de ce système et ceux qui doivent faire semblant de s’y opposer (le postulat philosophique commun à tous ces libéraux étant, bien entendu, le droit absolu pour chacun de faire ce qu’il veut de son corps et de son argent). Mais je n’ai là aucun mérite. C’est Guy Debord qui annonçait, il y a vingt ans déjà, que les développements à venir du capitalisme moderne trouveraient nécessairement leur alibi idéologique majeur dans la lutte contre « le racisme, l’antimodernisme et l’homophobie » (d’où, ajoutait-il, ce « néomoralisme indigné que simulent les actuels moutons de l’intelligentsia »). [...]

S’il n’y avait pas, parmi les classes populaires qui votent pour les partis de droite, un attachement encore massif à l’idée orwellienne qu’il y a « des choses qui ne se font pas », on ne comprendrait pas pourquoi les dirigeants de ces partis sont en permanence contraints de simuler, voire de surjouer de façon grotesque, leur propre adhésion sans faille aux valeurs de la décence ordinaire. Alors même qu’ils sont intimement convaincus, pour reprendre les propos récents de l’idéologue libéral Philippe Manière, que seul l’« appât du gain » peut soutenir « moralement » la dynamique du capital (sous ce rapport, il est certainement plus dur d’être un politicien de droite qu’un politicien de gauche).

C’est d’ailleurs ce qui explique que le petit peuple de droite soit structurellement condamné au désespoir politique (d’où son penchant logique, à partir d’un certain seuil de désillusion, pour le vote d’« extrême droite »). Comme l’écrivait le critique radical américain Thomas Franck, ce petit peuple vote pour le candidat de droite en croyant que lui seul pourra remettre un peu d’ordre et de décence dans cette société sans âme et, au final, il se retrouve toujours avec la seule privatisation de l’électricité !

Cela dit, vous avez raison. La logique de l’individualisme libéral, en sapant continuellement toutes les formes de solidarité populaire encore existantes, détruit forcément du même coup l’ensemble des conditions morales qui rendent possible la révolte anticapitaliste. C’est ce qui explique que le temps joue de plus en plus, à présent, contre la liberté et le bonheur réels des individus et des peuples. Le contraire exact, en somme, de la thèse défendue par les fanatiques de la religion du progrès.

Les Mystères de la gauche, de Jean-Claude Michéa, Climats, 144 p., 14 €.."

Lire Jean-Claude Michéa : "Pourquoi j’ai rompu avec la gauche".


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